Chapitre 12

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Gordon la regarda avancer d’un pas ferme en direction de l’hélicoptère. Elle avait du cran, cette petite. Le souffle de l’hélice plaquait ses vêtements contre son corps, faisait voler ses cheveux en tous sens. Quand une voix lui ordonna de s’allonger sur le sol, il plia légèrement les genoux. La tension montait en lui. Il avait l’impression que des étincelles électriques parcouraient ses nerfs. Bientôt.

Kathy obéit sans hésiter. La fluidité de ses mouvements indiquait que ce n’était pas la première fois qu’elle adoptait cette position. Elle croisa ses chevilles, entrelaça ses doigts sur sa nuque. Elle avait l’air presque fragile, ainsi allongée sur le sol. Pourtant, Gordon ne s’y trompa pas. Si ces hommes lui demandaient d’adopter cette position, c’était parce qu’elle représentait un danger. Un danger dont elle n’était même pas elle-même consciente.

Après quelques secondes, quatre hommes s’approchèrent d’elle. Ils avançaient genoux pliés, armes braquées dans sa direction. Leurs déplacements reflétaient une souplesse animale. Des améliorés. Leurs index sur la détente annonçaient qu’ils n’hésiteraient pas à tirer. Si Gordon intervenait maintenant, elle serait morte avant qu’il ait parcouru la moitié de la distance qui les séparait.

Gordon lança un regard en arrière. Que faisaient donc Lilith et Christobald ? Malgré l’assurance qu’il avait affichée devant Kathy, une pointe d’inquiétude vrilla son cœur. Envoyer autant d’améliorés pour récupérer une jeune femme comme Kathy n’annonçait rien de bon. Il avait besoin d’eux, et maintenant. Surtout de Lilith. Parce que s’il ne doutait pas des talents du succube, ceux du nécromancien restaient à évaluer.

Arrivé près de Kathy, l’un des hommes lui lança un objet métallique qui atterrit juste devant son nez. Sourcils froncés, Gordon reconnut un lien de vif-argent. Cet alliage rare était utilisé pour maîtriser les métamorphes. Or Kathy n’avait pas l’odeur typique de ces exogènes. À nouveau, elle réagit comme si elle avait déjà vu de nombreuses fois ce type d’objet : elle décroisa lentement ses doigts, ramena ses bras devant elle et saisit le lien métallique. Toujours avec des gestes mesurés, elle le passa autour de ses poignets, puis utilisa ses dents pour le resserrer.

L’homme qui la tenait en joue aboya :

— Encore !

Sans s’offusquer de sa rudesse, Kathy recommença l’opération et tira plus fort sur l’extrémité métallique, au risque de se fendre une molaire. De là où il se tenait, Gordon vit le métal s’incruster dans la chair tendre de ses poignets. Il plissa les yeux de colère.

L’homme ordonna :

— Accroupie.

Kathy bascula sur ses talons, en évitant tout mouvement brusque. Lorsqu’elle fut dans la position demandée, elle ne releva pas le visage. Elle fixait le sol devant ses pieds, la nuque ployée en une attitude de soumission. Une bouffée de rage acide remonta le long de l’œsophage de Gordon. Jamais une exogène n’aurait dû avoir à se tenir ainsi, comme un chien assis devant un homme, fût-il un amélioré.

Alors qu’il focalisait son attention sur elle, il remarqua son infime changement de posture. Les trapèzes tendus à se rompre de Kathy s’assouplirent. Un demi-sourire caché remonta la commissure de sa lèvre. Au lieu de rassurer Gordon, cette attitude le tendit. Si son conditionnement avait encore été pleinement actif, elle aurait dû être terrifiée. Or, elle ne l’était pas, bien au contraire.

— Enfile ça, lança encore l’homme.

Il lança devant elle une paire d’entraves métalliques destinée à ses chevilles. Kathy y glissa ses pieds, puis les resserra d’un geste plus ferme que nécessaire, comme un défi.

— Debout.

Elle se redressa lentement. Pour la connaître sur le bout des ongles, Gordon remarqua que sa gestuelle n’était pas celle qu’il connaissait. Il avait l’impression d’observer une autre Kathy. Et dans cette Kathy inconnue, il identifiait un prédateur. Comme lui.

— Maintenant, tu bouges pas, ordonna l’homme.

Il combla l’espace qui les séparait, puis, d’un geste vif, referma un large collier sur son cou. Elle grimaça au contact du métal froid, mais n’eut pas un geste de rébellion.

L’homme articula à voix haute :

— Colis sécurisé.

Une voix dut lui répondre dans son oreillette, car il jeta un regard à l’hélicoptère.

— On y va, exclama-t-il. (Il poussa que Kathy du canon de son arme.) Avance jusqu’à la corde.

Les chevilles entravées, Kathy se dirigea à petits pas en direction du filin qui oscillait dans le vent soufflé par les pales. Elle avant la tête et les épaules basses, la démarche hésitante. L’image brûla les rétines de Gordon : il se remémorait les exogènes réduits en esclavage qu’il avait lui-même fait monter sur un bateau, des siècles plus tôt. À cette époque lointaine, il croyait encore agir dans son bon droit.

Les hommes se replièrent en cercle autour de Kathy, deux d’entre eux la surveillant, deux autres surveillaient les alentours. Il ne doutait pas que les deux derniers étaient parés à le cribler de balles s’il ne montrait que l’ombre de son bras.

Une nouvelle fois, il regarda en arrière. Soit Lilith et Christobald étaient morts, soit ils se battaient encore, soit ils avaient décidé d’aller boire un café et de le laisser tout gérer lui-même. Ce qui, au fond, ne l’aurait pas vraiment étonné de la part du succube.

Impatient d’agir, il fit craquer sa nuque, passer son poids d’une jambe sur l’autre, puis détendit sa mâchoire. Son regard brûlant se braqua sur l’hélicoptère. Dès qu’elle aurait atteint l’habitacle, il n’aurait qu’une seule chance. Il évalua la distance, le vent provoqué par les pales, les risques liés aux tireurs. Rien de bien compliqué en temps normal, mais ce qu’il vivait depuis la veille n’avait rien de normal.

Quand Kathy eut rejoint la corde, l’homme lui attacha un harnais autour de la taille. Aussitôt, son corps frêle fut entraîné dans les airs. Avec ses poignets et ses chevilles entravés, elle ne parvenait pas à se stabiliser. Elle oscillait comme une poupée de chiffon, malgré ses muscles tendus pour compenser le balancement.

Au moment où elle arriva en dessous de l’habitacle, des mains se tendirent pour l’attraper et la hisser à bord. Gordon se tint prêt. Dès que trois hommes supplémentaires seraient montés, il interviendrait.

Mais la corde ne redescendit pas.

Les yeux écarquillés par la stupeur, Gordon regarda l’hélicoptère s’éloigner, abandonnant six améliorés sur le toit.

Il venait de livrer Kathy, pieds et poings liés, à ses pires ennemis.

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