Chapitre 39

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Point de vue Thomas :

Merde qu'est-ce qui se passe, ma mère ne me laisse jamais de message comme cela d'habitude. Je compose immédiatement son numéro, tandis que Chloé me regarde d'un air interloqué.

-Maman, c'est moi, qu'est ce qu'il se passe.

Elle a du mal à parler, elle aussi pleure, mon inquiétude s'aggrave, j'ai peur de comprendre.

-C'est papa, il ne va pas mieux ?

Ma mère finit par se calmer un petit peu le temps de me dire ces quelques mots définitifs :

-Non Thomas, il est mort. Il s'est levé cette nuit et je l'ai retrouvé dans son fauteuil devant la télé, son cœur avait cessé de battre.

Mes larmes se remettent à couler de plus belle, je suis sous le choc. Je ne dis plus rien, je me mets à réaliser que je ne verrai plus jamais mon père. Pourtant nous aurions eu tellement de choses à nous dire. Il y avait tellement d'incompréhensions entre nous qui ne pourront plus jamais être dissipées. Mon imagination s'agite à une vitesse folle. Je me demande qui s'occupera du jardin maintenant, puis je me rends compte de la connerie de ma réflexion. Ma mère interrompt mes pensées.

-Thomas, Thomas, tu es là ? Parle-moi.

-Oui je suis là maman, est-ce que tu veux que j'appelle tata Bernadette pour qu'elle vienne te rejoindre, il ne faut pas que tu restes toute seule. Moi je me débrouille pour rentrer tout de suite, si tout va bien je te rejoins ce soir.

-Non ne t'embêtes pas, je vais l’appeler. Contacte moi quand tu arrives à l'aéroport, pour que je vienne te chercher. Bisous, mon cœur, je t'aime plus fort que tout.

Je raccroche et repose doucement la main qui tient mon téléphone, je reste à le regarder quelques secondes, commençant à pleinement prendre conscience de ce qui vient de se passer. Chloé me sort de ma hébétude en me demandant :

-C'est ton père c'est ça ?

-Oui il est mort cette nuit.

Le simple fait d'énoncer ces mots en rende toute l'intangible réalité. Les sanglots me saisissent. Je vois toute la sollicitude dans les yeux de Chloé. Je ne peux m'empêcher de me dire, qu'elle est passé par là, elle sait ce que c'est. Nerveusement elle m'ouvre ses bras, m'invitant à m'y réfugier. Je n'ai pas envie de céder à son appel, pas après ce qu'il s'est passé et pourtant comme par réflexe, mes jambes couvrent la distance qui nous sépare et je viens poser ma tête dans son giron, trempant son corps de mes larmes. J'ai l'impression d'y rester des heures en laissant mes yeux couler à torrent. Je finis par me bloquer lorsque je sens ses lèvres se poser sur ma joue. Non ça elle n'en a plus le droit !!! Surtout pas maintenant.

Je me retire instantanément et lui dis.

-Merci de ta compassion, mais je vais te laisser, il faut que j'aille voir PJ pour lui demander d'organiser mon retour, même si cela m'arrache la gueule de devoir lui demander quelque chose.

-Je comprends, est-ce que tu veux que je m'en occupe ?

-Non c'est à moi de le faire. A moins que tu sois pressée d'aller le revoir ?

Je vois que mes mots lui font mal. Son regard s'attriste. Mais elle me répond doucement :

-Non surtout pas, je le disais juste pour te soulager.

-Excuse-moi, je le sais, tu n'es pas comme cela.

C'est vrai, Chloé a toujours été quelqu'un de très empathique, c'est cette capacité à embrasser la douleur des autres qui l'a amené à choisir son métier. Indépendamment de tout ce qui a pu se passer, je sais que cette aspect de sa personnalité ne changera pas. Sa proposition était vraiment faite pour me soutenir. Je me dis que si le décès de mon père s'était passé à un autre moment, elle aurait été la personne idéale pour m'aider à affronter mon deuil. Elle en a décidé autrement, mais je ne peux m'empêcher de regretter de ne pas réussir à lui laisser cette place dans ma vie. Elle me dit alors :

-Quand tu le verras dis-lui juste de me prendre une place dans le même avion. Pas obligatoirement à côté de toi, je te laisse décider. Mais je veux être là pour l'enterrement de ton père. Ne t'inquiète pas je me ferai discrète, je ne veux pas rendre la situation plus difficile pour toi. J'aimerais être à tes côtés, mais je comprends si tu ne me veux pas là. Par contre c'est important pour moi d'être présente. Et puis, honnêtement si tu pars, je ne vois aucun intérêt à rester ici.

Je me dis dans ma tête qu'elle pourrait rester pour parfaire sa connaissance du corps de nos hôtes. Mais cette méchanceté gratuite, reste inexprimée. Elle ne m'apporterait rien. Au contraire, je décide de lui rendre la délicatesse dont elle fait preuve.

-Tu pourras bien sûr venir à l'enterrement. Je ne sais pas si je serais capable de garder des liens à long terme avec toi, mais je sais que pour le moment, j'ai au moins besoin de ton amitié.

Mes mots lui rende légèrement le sourire. Je me lève et quitte la pièce à la recherche de PJ. Je croise Cynthia en chemin et lui demande assez sèchement si elle sait où est PJ. Elle me répond qu'il est à côté de la piscine et me demande nerveusement si je vais bien. Je ne lui répond pas et me dirige d'un pas décidé vers l'extérieur. Elle me dit alors dans mon dos.

-Excuse-moi pour tout Thomas, je n'ai jamais voulu te faire de mal, ce qui s'est passé avec Chloé n'était pas calculé de ma part.

Je me retourne vers elle, elle semble sincèrement ému. Je me rappelle alors la façon dont elle s'est occupée de moi la nuit dernière. Je n'arrive pas à lui en vouloir, je sais que c'est une bonne personne qui n'a pas eu de chances dans la vie. Je décide de le lui dire.

-Je ne t'en veux pas Cynthia, j'aurais pu pardonner à Chloé si il n'y avait eu que toi et puis je sais que tu as choisi ton camp en ce qui concerne ce foutu pari. Mais là j'ai autre chose de plus grave à penser.

Je prends mon souffle pour pouvoir le dire sans me mettre à pleurer.

-Mon père est mort, il faut que je rentre chez moi.

-Oh mon dieu, je ne sais pas quoi dire. Je suis trop conne. Je suis de tout cœur avec toi. Est-ce que tu veux que j'aille demander à Pierre-Jean d'organiser votre retour ?

-Non c'est gentil, mais je veux le faire.

-Excuse-moi, je dois te le demander et je comprendrais tout à fait que tu me répondes non. Est-ce que tu accepteras ma présence à son enterrement ?

Je lui répond simplement :

-Mes amis sont les bienvenus.

Puis, je lui tourne le dos, cette fois fermement décidé à affronter Pierre-Jean. Lorsque j'arrive, je le vois allongé au bord de la piscine, endormi, sûrement encore fatigué par la soirée de la veille. Paradoxalement, je me sens en position de force. Ma douleur me donne toute légitimé pour me confronter à lui. Si je prenais les choses d'un point de vue rationnel, je sais que je ne devrais pas lui en vouloir. Après tout il a toujours été franc avec moi. Mais la rationalité n'a pas d'espace dans mon esprit à ce moment là, reste le ressenti. Et celui-ci m'inclinerait plutôt à le réveiller avec un coup de pied dans les parties. Je me contrôle et choisis juste de m'adresser directement à lui.

-Il faut que tu organises notre retour à moi et Chloé en France immédiatement.

Il ouvre les yeux, manifestement surpris par le ton employé et me répond de façon condescendante:

-Bonjour à toi aussi, il ne faut pas le prendre comme ça, tu as joué tu as perdu, c'est tout, reste à profiter de la fin des vacances.

-Alors je vais être clair, avec toi. Si je voulais rentrer à cause de ce qu'il s'est passé hier soir, je le ferais par mes propres moyens sans rien te devoir. Mais là mon père vient de décéder, j'ai besoin de rentrer en urgence, j'estime que tu me dois bien ça

Au fur et à mesure que mes mots s'impriment dans son esprit, je vois son attitude changer. Avec une certaine satisfaction, je vois du désarroi chez lui.

-Il est mort, merde, oui je t'organise ça, compte sur moi. J'imagine que ça te fait une belle jambe, mais sache que je partage sincèrement ta douleur, je suis déjà passé par là.

Immédiatement, il se saisit de son smartphone et réserve des billets d'avions sur internet. Innocemment il me demande ensuite :

-J'ai pris des billets d'avion pour moi et Cynthia en même temps, ça te dérange si je préviens ma mère, elle voudra sûrement être présente à l'enterrement ?

-Non fais le, par contre, je préfèrerais que tu ne sois pas là, ça va déjà être assez dur pour moi, j'ai pas envie de voir ta tête pendant toute la cérémonie.

Je vois que ma rebuffade l'a blessé, tant mieux. J'ajoute alors pour enfoncer le clou.

-En ce qui concerne le pari, oublie tout ce que l'on a pu dire. J'ai été con, je me suis laissé entrainer par la convoitise, mais je ne veux rien te devoir, juste ne plus te revoir quand on sera rentré en France.

-Si je deviens ton patron, ça sera difficile, non ?

-Je suis capable de me montrer tout à fait professionnel dans le cadre du travail. J'y réfléchirais quand la situation se posera.

Il ne dit rien, encaisse et semble accepter mes mots. Mais après tout, je reste correct. Il m'a accueilli chez lui, a été franc avec moi. Si je dois en vouloir à quelqu'un c'est avant tout à moi. Il ajoute alors :

-Et Chloé, qu'est ce que tu as décidé pour elle ?

-Ça ne te regarde pas. C'est entre elle et moi. Pourquoi, tu veux savoir si je te laisse le champ libre ? De toute façon là, j'ai bien autre chose à penser.

Mon agressivité est remonté, mon ton est sec, presque sarcastique. Il ne semble pas en tenir compte en me répondant calmement :

-Oui bien sûr excuse-moi. Je sais bien que cela ne me regarde pas. Je voulais juste te donner un conseil. Vous vous aimez tous les deux, ne détruis pas tout pour une erreur, laisse toi le temps, avant de prendre une décision définitive. Comme tu vas t'en rendre compte par rapport à ton père, c'est difficile de vivre avec des regrets.

Ses mots me touchent, je sens les larmes monter. Mais je n'ai pas envie de craquer devant lui, surtout pas lui !!! Je me tourne en lui disant.

-Je vais préparer mes affaires préviens-moi quand nous pouvons partir.

Puis je quitte la pièce et retourne dans la chambre où j'ai la bonne surprise de voir que Chloé a déjà tout préparé.

Les heures suivantes s'écoulent comme dans un mauvais rêve. Je reste silencieux la plupart du temps, perdu dans mes pensées, je me laisse guider par Cynthia et Chloé tout au long de notre trajet de retour. Sporadiquement, le chagrin devient trop insupportable et mes sanglots incontrôlables. Je ne peux m'empêcher de m'apitoyer sur moi-même. Indifférent à tout ce qui m'entoure. Pierre-Jean a eu le tact de réserver sa place à distance de nous, ce qui fait que je n'ai pas à supporter sa présence. Lorsque je m'écroule, Cynthia se montre la plus présente auprès de moi, Chloé a bien compris, après une ou deux réflexions de ma part, qu'il faut mieux qu'elle soit sur la retenue. Malgré tout nous arrivons à discuter. Elle m'aide en parlant de ce qu'elle a vécu et en me disant que ça finira par aller mieux avec du temps. Je sais qu'elle comprend ce que je vis et a réellement mal pour moi. C'est elle qui se charge ensuite de toutes les démarches administratives, je lui en sais gré.

Lorsque nous sortons de l'aéroport, je vois que sa mère et son beau père sont présents en compagnie de la mienne. Elle me dit alors :

-J'ai pensé que cela serait mieux pour vous que vous vous retrouviez avec ta mère. En plus, cela t'évitera de te lancer dans des explications sur notre situation. Soit courageux, je t'aime, prends soin de toi et de ta maman.

J'hésite sur la marche à suivre, d'un côté elle a raison. Je n'ai pas envie du tout d'expliquer à ma mère ce qui s'est passé. De l'autre, si je ne veux pas qu'elle se doute de quelque chose, il faut que je joue la comédie. Je finis par me décider et me rapproche d'elle pour poser subrepticement mes lèvres sur les siennes. Un bref sourire illumine son visage, je le dissipe aussitôt en lui disant :

-N'imagine pas que je t'ai pardonné, je ne veux juste pas que ma mère se pose de questions.

Je fais ensuite une bise à Cynthia qui semble très émue. Elle me prend la tête entre ses mains et me souhaite un bon courage, disant qu'elle sera présente à la cérémonie.

Je me dirige vers ma mère et viens me blottir dans ses bras comme lorsque j'étais un petit enfant. Je peux enfin laisser totalement sortir mon chagrin, car ce n'est pas seulement le mien, mais le nôtre. La famille de Chloé prend nos bagages et nous emmène vers deux taxis. Je m'étonne de cela au vu de la distance, mais ma mère m'explique que tout a été pris en charge par Pierre-Jean qui les avait contacté dans la matinée pour leur demander leur accord. Intérieurement, je ne peux m'empêcher d'éprouver de la gratitude à son égard.

Le trajet de retour s'effectue dans un brouillard, entre les crises de larmes de ma mère, les questions que je lui pose sur les démarches à venir pour que je puisse la soutenir. Paradoxalement, sa présence atténue ma peine. Je me dois d'être fort pour elle, j'ai maintenant le but de la soutenir. Une fois arrivé à la maison, j'ai le soulagement de retrouver ma tante Bernadette, ainsi que son mari. Ils ont préparé le repas qu'ils partagent avec nous, avant de nous laisser. Ma mère terrassée par le chagrin et épuisée par sa journée, ne tarde pas à aller se coucher. J'en fais de même et regagne ma chambre d'enfance. Le sommeil me fuit pourtant pendant des heures et c'est l'épuisement qui finit par me permettre d'abandonner la réalité pour un temps trop court.

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