Omnipotence

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Je m'active.

Je ne descends pas vraiment. Cette idée de placer ma demeure dans le ciel — et d'appeler ce lieu Paradis pour ensuite donner le même nom à un camping fictif — c'est typiquement humain. Mon Œuvre est plus subtile. C'est pas comme ça que ça fonctionne, c'est pas des Legos qu'on empile. Je ne descends pas, je synchronise mes vibrations personnelles avec celles de l'endroit de l'Univers où je veux être, être vu, être entendu. Je me rends... perceptible.

J'ai choisi un lieu particulier. Un moment particulier. Je peux me synchroniser avec toute ma création, n'importe où et n'importe quand. J'aurais pu reprendre le boulot au moment même où j'ai commencé ma sieste. Ou juste après mon réveil, c'est à dire maintenant. Mais j'ai décidé de remonter un peu en arrière. Je ne veux pas perdre mon temps à réunir les soi-disant puissants de cette Terre, alors je m'immisce dans une réunion pré-organisée par eux. Un évènement absurde guidé par l'ignorance. C'est pas ce qui manque. J'aurai pu choisir une commémoration de Noël sur la Place Saint Pierre — et leur expliquer que Pierre, Jésus et les autres c'est du flan — ou un jour d'affluence à La Mecque — et leur ouvrir le rideau parce qu'il n'y a que la vérité qui compte — ou encore un jour de finale de coupe du monde, apparaître sur le terrain et mettre des buts des deux côtés en même temps avec un seul ballon — mais là, c'est la commémoration religieuse la plus absurde qui soit, toutes époques confondues ; sans déconner, le premier qui me lance sur le sujet, j'annule sa naissance sur trente générations.

J'ai donc choisi un évènement prêt à l'emploi, une réunion des fameux premiers de cordée, des puissants élus ou désignés venus se mentir les uns aux autres et faire la promesse de caresser la Terre dans le sens du poil. Ils appellent ça la COP 25. Ils sont tous là à constater les dégâts tranquillou. Ça me hérisse, ça me défrise même un peu. Je connais leur avenir — j'en viens à l'instant — et je sais quelles conséquences leur imprudence va avoir — Omniscience, on suit dans le fond, merci. Ils y sont tous. Tous ? Non. Un petit village chilien accueille ceux qui se sont donnés la peine de venir, ceux qui se cherchent une bonne conscience à l’International. Les autres, j'en ai pas besoin.

Ils me voient. Personne ne me reconnaît, évidemment. On envoie la sécurité. Je suis à portée de main du podium et on prend peur pour la vie du président qui parlait de je ne sais quoi — si, je sais, mais sa promesse déjà obsolète ne m'intéresse pas — avant mon arrivée. Le service d'ordre s'approche donc, fondant sur moi tels des vautours sur un mulot, puis chacun recule. Ils regardent tous par terre et cherchent des petits cailloux comme un enfant perdu chercherait ses billes. J'allais pas les savater, quand même. Je montre d'abord que j'ai bon fond.

Mais personne n'a rien compris. Alors je demande au gars devant moi de regagner sa chaise. Il est parti en me tendant le micro. J'hésite à faire une vanne en introduction. Je suis un grand comique, quand on regarde ma création dans ses moindres détails, y'a de quoi se marrer. Je fais exprès. J'ai même prévu une private joke dans l'intestin de ces grands singes sages. Mais je crois qu'ils ont pas encore compris l'objectif de l'appendicite.

— Bonjour.

Gros bide. Un silence de mort. Sympa l'ambiance. J'insiste et je démarre.

— Non seulement vous avez pourri le sol qui vous a vus naître, mais en plus vous êtes malpolis. Bonjour !

C'est à ce moment précis que certains comprennent que tous les traducteurs se sont tus. D'où qu'ils viennent, je parle à chacun dans sa langue. Normalement, ça impressionne. Du miracle de premier choix. Ils y ont même pensé dans un film français autour des fameux Rois Mages, avec trois comiques. Quand je vous dis que j'ai de l'humour.

Tout le monde cause en même temps. Les humains présents dans la salle entendent un brouhaha multilingue informe. Je distingue les propos de chacun, bien clairement. Dix ont répondu à mes salutations. Vingt-deux se demandent dans dix-sept langues qui est le connard — encore — qui les invective — c'est moi bande de nases. Quatre se sont mis à prier. Sept sont endormis et deux n'ont rien écouté, préférant discuter de leur appétit respectif. Les autres, passons.

— Prenez votre temps pour accepter la situation, je vous en prie. On est pas aux pièces.

Quelques secondes plus tard, j'en ai déjà assez. Je décide de les aider en projetant dans leur petites têtes un flot massif de réponses à l'ensemble de leurs questions existentielles. Je maîtrise le flux, en douceur, car je sens que certains sont moins agiles du bulbe que les autres et risquent l'apoplexie, ou l'épilepsie. Leurs cerveaux n'ont pas l'habitude. Deuxième miracle — Omnipotence quand tu nous tiens.

— Puisque je viens de répondre sans effort à vos questions, je vous remercie de ne plus m'en poser. Pour ceux qui auraient encore des doutes : oui, c'est moi.

Des doigts se lèvent. Ils se croient à l'école. J'ai pas que ça à faire, mais je pense que ça peut être drôle, alors je m'y plie, pour l'exemple. A chaque doigt levé, je pointe l'humain de mon index et donne ma réponse, brève et sans appel. Même pas besoin d'écouter la question, en vérité je vous le dis, et je pense que les autres convives vont vite être perdus.

— Oui. Non. Oui, les dinosaures c'est moi aussi. Non, jamais. Quarante-deux, renseignez-vous. Elvis. Non, un quark n’est pas le plus petit composant de la matière. Oui, certaines particules peuvent dépasser la vitesse de la lumière. Un petit pois dans un ascenseur. Adam et Ève ? Un peu de sérieux... Je peux faire ça aussi longtemps que nécessaire, mais vous serez tous morts de faim et de soif avant que j'aie fini. On s'arrête là.

Et tous les doigts se baissent, les voix se taisent, les bipèdes s'assoient. Ma dernière phrase était peut-être un peu péremptoire. Mais je suis pas venu jouer à Qui Veut Gagner Des Millions. On va conclure.

— Vous êtes réunis ici parce que vous avez compris que ce que vous appelez l'opinion publique était inquiète de l'état de santé de la Terre. Je partage cette inquiétude et je vous en tiens pour responsables, tous ici et ailleurs, vivants et morts depuis deux mille ans. Vous avez scié la branche qui vous sert de planète.

Des rumeurs d'indignation et de contestation s'élèvent. Je les fais taire d'un regard.

— Aucun d'entre vous ici ne peut prouver qu'il n'est pas responsable à minima de la situation. Je suis venu vous annoncer que je vais remettre de l'ordre dans tout ça. Alors, non — arrêtez de penser à ce que je dis, j'entends vos questions — pas de déluge, pas d'astéroïdes, pas d'armaggedon ni de cavaliers. Tout ce qui vous est tombé sur la tronche depuis deux mille ans, c'est entièrement de votre faute. J'étais même pas là. Votre plus grande force est devant vous: vous avez tout pourri vous-même. Et même si j'en ai le pouvoir, je n'ai pas envie de faire des réparations à la va-vite. On va faire ça bien. J'ai besoin...

Non, soyons honnête avec moi-même, j'ai pas besoin de ces pignoufs. J'ai juste envie de les engueuler plus longtemps, plus fort. Je leur ai laissé le libre arbitre, il serait temps qu'ils découvrent d'eux-mêmes que je vais pas les sauver comme ça...

— J'ai décidé d'emmener l'un d'entre vous avec moi, pour qu'il assiste aux réglages rendus nécessaires par votre comportement.

Je sais déjà qui je vais prendre, mais un peu d'humilité leur fera le plus grand bien.

— À vous de me convaincre que vous êtes l'heureux élu.

Ça a mis une de ces ambiances... Un bordel sans nom. Les plus fanatiques — religieusement j'entends — se sont carrément entretués. Ils ont gueulé comme des putois que Dieu, Allah, Yahvé ou Anubis leur accorderait le pardon car ils faisaient couler le sang au nom du Seigneur. Oh, les pégus ! Seigneur ça prend un E pas un A. Arrêter de vider les artères des voisins en mon nom. En plus vous êtes pas foutus de savoir comment je m'appelle... Bande de moules — les moules, ça c'est un truc que j'ai carrément bien réussi: filtration de l'eau, regard paisible sur l'océan, du goût pour les poissons, faut bien qu'ils mangent. Mais c'est un peu caoutchouteux. Et voilà, je les vois se buter les uns les autres et je pense à la mer — amer...

Le Français se tient à l'écart de la baston, moins téméraire que pendant ses meetings. En même temps, il reste en vie.

Le Coréen menace tous ceux qui s'approchent, il est armé d'un stylo. Autant, il a mis quelques atomes de côté au pays — et ça m'irrite quelque peu — pour le reste, son stylo est déchargé, il va pas faire de mal à grand monde.

L'Anglais et l'Allemande se le jouent à pierre-feuille-ciseaux. Je me marre.

Bon, et y'a le champion. J'ai de suite entendu ses pensées, j'ai su que j'avais bien choisi mon élu. Depuis qu'il a compris qui j'étais, je me suis fait un top cinq des pensées les plus débiles qui l'ont traversé. Pendant que les autres s'imaginent visiter le paradis avec moi ou mourir dans les flammes de l'enfer, lui il a successivement:

5 - pensé que je n’étais venu QUE pour lui

4 - envisagé de me vendre un immeuble à New York pour que j'aie moins de trajet à faire la prochaine fois

3 - préparé une amorce de campagne à sa réélection avec mon fils — spoiler : j'en ai pas — en vice-président

2 - tenté de live-twitter l'événement tout en s'efforçant de bien se relire — un petit Covfefe de derrière les fagots s'immisce sur son écran tous les 140 caractères environ.

1 - imaginé que j'allais partir en hurlant "Make our planet great again" et lui devoir des droits d'auteur.

Un cador. Un hôte de choix.

— Ok. C'est bon, merci. Vous avez vraiment fait des efforts pour me montrer, la plupart d'entre vous, à quel point vous étiez aussi intelligents que vos ancêtres quadrumanes. Merci beaucoup de votre élan de partage et de solidarité. Oui, tas de crétins, j'ai aussi créé le second degré, notamment pour pouvoir vous supporter vous et vos âneries. Et ça marche !

Silence sur la basse-cour. J'en profite pour jeter un œil sur la petiote. Je suis aussi venu pour elle, et elle a deviné. Elle n'ose pas y croire, mais si. Je vais pas me farcir le canard tout seul, elle devra le supporter avec moi. Le faisan c'est pour l'esbroufe. C'est elle que je veux rencontrer.

J'annonce la couleur au micro — j'ai pas besoin de micro, mais c'est de la tribune qu'on me voit le mieux — et tout le monde reste coi. J'emmène l'Américain et Greta. Les autres, rentrez chez vous.

Je décroche le micro, tends le bras et le laisse tomber. Au son du choc, je suis parti avec mes invités.

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