Claire

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Les deux prochains chapitres contiennent des passages difficiles.

Tout autant à lire qu’à écrire.

Claire monte tranquillement à l’étage pour arriver devant les toilettes. Elle semble hésiter, appuie sur la poignée… Un rayon lumineux lui chauffe le dos. La porte se referme. Elle s’oriente vers la salle de bain à l’opposée et s’y s’enferme à double tour. Le soleil est bas, sa lumière lui agresse les yeux. Les rideaux sont distraitement tirés. A présent, elle est dans une semi-pénombre, c’est comme revenir dans le ventre de sa mère. On se sent… isolé, protégé. Elle remonte la pièce, prend place dans la baignoire, toute habillée.

C’est donc ici ?

Elle observe son environnement. Elle est dans les combles. Le mur est penché, trahissant la courbure du toit. Ça sent le frais, une odeur de linge propre. D’ailleurs, quelques chaussettes et pantalons à repasser ont été distraitement posés sur le lave-linge. La machine est collée à la baignoire sur laquelle traînent quelques produits de soins et une rampe de soutien aux personnes âgées. Le mur a été peint en rose clair avec quelques oiseaux bleus en plein envol vers la fenêtre. Deux serviettes sont posées sur leur séchoir, l’une est encore humide. Elle reconnaît celle de Symphonie, avec ses petites vaches bleues sur fond violet. L’autre est jaune vif, probablement celle d’Hélène. Elle ne paraît pas avoir été utilisée… ça la fait sourire, Hélène est rebutée par la douche, elle déteste se sentir nue ailleurs que sous les draps du lit. Symphonie s’en est vite rendu compte et la taquine régulièrement à ce sujet. Il y en a également une verte, probablement la sienne. Elle la touche d’un doigt distrait, le contact est très doux, lui fait regretter de ne pouvoir l’utiliser.

Le lavabo brillerait presque tant il est finement entretenu par la grand-mère d’Hélène. Elle peut voir un savon de Marseille trôner fièrement sur son petit piédestal à côté du robinet. Un miroir a été fixé au mur le surplombant. Sur le bord inférieur droit, quelques fleurs ont été collées contre la vitre. De par la faible lueur présente, elle remarque une légère fluorescence en émaner. En les observant plus attentivement, son regard est attiré par le reflet d’une étagère de l’autre côté de la pièce. A mieux y regarder, de petites incisions horizontales, de quelques centimètres de profondeur, ont été faites dans le bois sombre. Il y a un chiffre à côté de chacune d’entre elle qui marque la taille d’Hélène au fil du temps. Claire sort lentement le couteau chipé dans le tiroir de la cuisine. Elle en étudie le manche usé et la lame tordue à force d’avoir été aiguisée.

Si ça se trouve, c’est ce couteau qui a fait ces entailles.

Elle sourit en refermant ses doigts sur l’ustensile, le cachant aux yeux du monde. De son pied nu, elle ouvre lentement le robinet. L’eau coule, d’abord froide. Elle progresse lentement, traverse ses vêtements en lui donnant la chair de poule. Elle sent sa culotte se mouiller, pense avec soulagement que ce sera la dernière fois qu’elle aura cette horrible sensation de porter un vêtement humide. Ses jambes se replient contre son torse pour tenir tout entière dans la baignoire. L’eau finit enfin par chauffer. Ses orteils sont les premiers à en profiter.

Elle resserre lentement sa poigne, commence à voir du sang couler d’entre ses phalanges. Quelques gouttes glissent sur sa peau.

‘’Ploc. Ploc.’’

Fascinant.

La sève vitale se dilue dans l’eau. Claire ne s’est jamais sentie aussi calme de toute sa vie. Elle ouvre le poing, libère la lame colorée de rouge. Quelques bouffées d’air sont expirées alors qu’elle remonte les manches de son pull noir aux motifs de sapins blancs. Elle se met à fredonner la comptine favorite de sa mère en posant la lame sur son poignet mit à nu. Le bras s’appuie sur le genou replié, les doigts s’agitent, lui permettent de cibler au plus précis ses veines. Il ne faut pas qu’elle coupe trop profond, elle aura besoin de ses tendons pour l’autre poignet. Sans trop savoir pourquoi, elle attend un moment précis de sa chanson pour bouger la lame.

  • Fais dodo …

Elle tend les muscles, fait aller sa main de gauche à droite. L’acier tranche la chair. Le sang coule, lentement, sûrement. Le contact du métal est presque aussi désagréable qu’avoir les vêtements mouillés. Elle est étonnée, voir… déçue. Ça fait moins mal que prévu. Enfin bon. Elle remue lentement ses doigts, ressent déjà des petits picotements à ses extrémités. Peut-être qu’elle n’a pas coupé assez profond… Bah. Elle ne veut pas insister. Elle ne veut pas s’y réessayer, craint de manquer de force pour la suite, car une sensation de malaise naît déjà au niveau du poignet. Ce frémissement remonte le bras, passe par l’épaule, se concentre au niveau du cœur. Elle en fait fi, empoigne le couteau de l’autre main. En serrant le poing, le flot sanguin s’accélère. En retournant le bras, les gouttes forment un léger filet allant colorer l’eau du bain. Le robinet la distrait, gâche ce merveilleux son. Elle le referme d’un mouvement inverse du pied. Satisfaite, elle rapproche la lame du bras droit. Le malaise grandit en elle. Le corps veut vivre, là où l’âme veut en finir. Les deux s’affrontent dans un violent combat interne. Il lui ordonne d’y faire quelque chose ! Des tressautements la saisissent au niveau des genoux, du cou, du bras. La lame se met à trembler, elle panique, coupe en hâte.

Aïe !

Elle tranche, plus profond, plus douloureusement que la première fois. C’est tout son corps qui chevrote à présent. Elle lâche le couteau qui chute dans le milieu aqueux. L’eau se trouble, elle ne le voit déjà plus. Son souffle s’accélère, elle tente de le calmer en prenant de grandes inspirations. Ses doigts s’agitent lentement devant elle. Chaque mouvement augmente ses nausées. Elle plie le cou, sent sa tête tourner. La serviette est toujours là. Elle pourrait s’en saisir, contenir ses blessures et appeler à l’aide. Un doute la prend. Le veut-elle vraiment ? Son bras droit s’extirpe difficilement de la baignoire, s’approche du tissu vert. Non. Elle veut vivre. Elle va mettre un gros pansement et redescendre voir Symphonie et Hélène, les embrasser sur le front et leur jurer d’aller mieux à partir de maintenant !

Mon Dieu… Le sang se répand partout. Dans la baignoire, au sol, sur la serviette… Elle tente de l’attraper, mais ses doigts ne lui obéissent plus. La main est posée sur le tissu, elle veut s’en saisir, mais le poing ne se ferme pas. Elle tourne lentement le bras, réalise qu’elle s’est sectionné les tendons. Ses forces l’abandonnent, le bras retombe dans l’eau. Elle se calme, le malaise s’éloigne. Tant pis, elle aura essayé. Elle tente de faire bouger ses doigts. Rien ne se passe. C’en est presque captivant, de commander à son corps, mais que celui-ci ne lui réponde plus. Son bras gauche est encore posé sur le genou. Elle le penche sur le côté, étudie la plaie. D’entre la chair coupée, elle voit le sang s’écouler par à-coups. Une autre manière de compter ses pulsions cardiaques en somme. Entre deux giclées, elle a le loisir de voir ses propres tendons blancs. Elle bouge les doigts, voit les cordons musculaires se tendre et se détendre suivant sa volonté. Elle commence à s’habituer à ce picotement aux extrémités. Elle ne sent plus son bras droit. Elle ne le voit même plus, l’eau est devenue trop opaque. Elle se sent sombrer, s’endort presque. Ses sens lui font défaut l’un après l’autre. Ce sont d’abord les sensations qui s’enfuient. Elle ne sent plus son corps, quand bien même elle peut encore en bouger certaines parties. Puis viennent successivement à l’abandonner le goût, l’odorat, puis la vue. Elle plonge dans un délicieux brouillard. Elle a l’impression de flotter, se rend vaguement compte qu’elle glisse dans la baignoire. Il n’y a que l’ouïe qui reste. Elle le sait, car elle entend des chocs sourds, lointains. Comme si quelqu’un tentait de traverser cette chape de brume, de la rejoindre. Elle ne le veut pas.

Des formes se créer, tourbillonnent autour d’elle jusqu’à se fixer. Les larmes lui viennent aux yeux.

Papa… Maman…

On tend des bras vers elle. Elle croit entendre son prénom être crié. Elle sourit, heureuse de retrouver ces êtres aimés.

  • J’arrive…

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