Prendre la fuite

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Nous sommes assis autour d’une grande table rectangulaire. L’endroit est éclairé par plusieurs fenêtres desquelles perce une lumière naturelle. Une cafetière est en train de préparer du café à côté du rétroprojecteur vrombissant. Symphonie explique à grands renforts de gestes le déroulement de la matinée… et… de la journée précédente. Elle n’omet aucun détail à Hélène qui retranscrit ses pensées sur un ordinateur. C’est étrange, nous sommes plus de dix rassemblés, pourtant le calme règne. Nous ne sommes que deux à pouvoir comprendre le langage des signes, sans compter que Symphonie fait exprès de bordélifier son utilisation pour n’être comprise que de ses proches. Les regards s’orientent vers le mur sur lequel s'affiche sa… ma déposition. Hélène continue d’écrire en faisant répéter plusieurs fois Symphonie qui agite les bras plus vite qu'elle ne fait courir ses doigts sur le clavier. Le cliquetis des touches est semblable à des coups de poignard dans mon âme. Je suis collée au dos de mon amie, humant le doux parfum de ses cheveux à l’odeur de lavande.

Je voudrais être une petite souris…

Une éternité semble s’être écoulée lorsqu’enfin, Hélène s’arrête d’écrire. Aucun mot n’a été prononcé, l’ambiance reste lourde. Elle repousse sa chaise pour se rapprocher de nous. Sa main nous frotte à tour de rôle le sommet du crâne. Symphonie expire doucement tandis que je me sens rassurée par leur présence. Ses mouvements brisent l’état catatonique des lieux, les personnes présentes commencent à se mouvoir, à se servir du café et à échanger leurs impressions. Je préfère ne pas écouter.

  • Bon… Hum… Votre déposition a bien été enregistrée. Elle sera transmise à votre avocat commis d’office.

Celui qui s’est exprimé manque d’assurance. Je le plains. Il faut avoir un sacré caractère pour tenir tête au duo Symphonie-Hélène, surtout quand ces dernières vous ont dans leur ligne de mire. J’en profite pour légèrement me reculer et pouvoir étudier nos deux sauveurs.

Hélène est une grande femme de presque 30 ans. Tout en elle respire la force et l’assurance, surtout quand elle est accoutrée de son treillis militaire et de ses bottes renforcées. L’homme qui la seconde semble être sous ses ordres, une brute à la mâchoire carrée, mais au regard franc. Il me fait un fin sourire quand il remarque que je le détaille, ce qui me fait détourner le regard. Les deux ont les cheveux courts par soucis de propreté et de respect du règlement. Hélène regrette d’ailleurs cette mesure, elle qui était si fière de sa longue crinière dorée… C’est pour cette raison qu’elle oblige Symphonie à garder les siens au moins au ras des fesses. La fougueuse femme tolère ce caprice, à condition que ce soit elle qui les lui brosse et qui s’en occupe, quand elles arrivent à passer du temps ensemble.

  • Je vais vous demander de ne pas quitter la ville, le temps que l’affaire suive son cours.
  • C’est tout naturel.

Hélène emploie un ton volontairement froid en nous poussant toutes deux vers la sortie. Elle est sèche avec moi et tendre pour son aimée. Au fond, elle m’intimide. Je ne la connais pas beaucoup. Quand elle n’est pas en mission, elle reste à la caserne du coin ou en patrouille. De nature possessive, Symphonie s’en fait régulièrement expulser après y être entrée par effraction. Comme elle le dit elle-même, Hélène est semblable à une grosse madeleine. Dure à l’extérieur et douce à l’intérieur. [ Et il n’y a que moi qui y est droit ! ] répète-t-elle, hargneuse. Elles ont un peu plus de cinq ans de différence, ce qui ne gêne que les autres.

Alors que nous nous apprêtons à quitter la salle, l’inspecteur s’interpose.

  • Mademoiselle Marico, je peux vous parler ? Seul à seul ?

Il s’adresse à Hélène, mais nous fixe, Symphonie et moi, de son regard perçant. D’un commun accord, Hélène obéit, non sans tapoter l’épaule de son comparse qui nous emboîte le pas. Symphonie m’amène à l’écart en faisant une grimace doublée d’un pouce orienté vers le bas comme les empereurs romains aux combats d’arène.

[ Toujours aussi désagréable lui ! ]

Je ne peux qu’approuver. Sa mimique absurde me fait légèrement rire. Nous attendons que son aimée nous rejoigne en compagnie de Boris, du moins c’est comme ça que le second militaire s’est présenté. Je suspecte qu’il se moque de moi. De retour dans le hall, nous les observons discuter hors de notre portée. L’échange est tendu. La militaire n'apprécie pas ses propos, mais hoche pourtant la tête de façon affirmative. L’inspecteur finit par lui tendre une main en guise de salut. Au lieu de la saisir, elle se rapproche et chuchote quelque chose de manifestement déplaisant au vu de la contorsion que fait son visage. Puis, elle revient vers nous, l’air satisfaite, achevant de nous faire quitter les lieux.

Sur le chemin, je fais un timide salut à Marcel et m'efforce de ne pas regarder dans la direction des journalistes et de… de l’autre. De toute façon, trois géants se dressent entre lui et moi.

Je cours presque vers la sortie. L’air frais rentre dans mes poumons et me libère de mon stress. Je manque de défaillir tant mon corps se relâche d’un coup. Boris s’adosse au muret à côté de moi, il a récupéré son équipement à l'accueil. Il sort une Gauloise de l’une de ses quinze poches. Il me fait signe de garder le secret en embrasant son extrémité à l’aide d’une allumette. Il m’en propose même une bouffée. Je refuse poliment en imitant sa position. Le froid contact du muret me fait du bien. J’en profite pour regarder Hélène et Symphonie être rejointes par Hugo ayant attendu tout ce temps dehors. Ils sont en pleine discussion…

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Vue de Symphonie.

Ouarf ! J’ai l’impression que cette journée a duré toute une semaine ! Je serre fort Hugo dans mes bras et l’embrasse sur la joue pour le remercier de son soutien. Hélène lui résume la sitation. Il se contente de hausser des épaules en jetant un discret regard à Claire et au sous-lieutenant Alexis Longillon. Dire que ce crétin s’est surnommé Boris… Je détecte un brin de jalousie dans son regard, je lui tape derrière la tête en me moquant clairement de lui.

  • Ça va oh !
  • Laisse-le tranquille, Symph’.

Je reporte mon attention sur Hélène. Moi qui étais si heureuse de la voir venue à mon secours, je m’inquiète à présent de son air courroucé. Elle ne m’en veut pas pour aujourd’hui quand même ?! Je m’apprête à me défendre alors qu’elle n’a encore rien dit, mais elle me prend à part en nous éloignant d’Hugo.

  • Symph’, je vais parler, tu ne m’interromps pas.

Elle me prend dans ses bras et rapproche sa bouche de mon oreille. Je hume son odeur, agrippe les deux poches habituelles à l’arrière pour bien me fixer à elle.

  • Que ça te plaise ou non, je crois que l’inspecteur a raison. Claire a subi un lourd choc émotionnel et ne va clairement pas bien, surtout après avoir entendu ton témoignage. Je sais que tu ne les aimes pas, mais ces types font leur boulot, et leur boulot leur dicte que ton amie a vu son père mourir, a elle-même tenté de mettre fin à ses jours ce matin même, et donc n’est pas à l’abri d’une rechute.

Je l’écoute sans moufter, bien que l’idée même que Claire pense à se suicider me paraisse inconcevable. L’image du couteau me revient en mémoire, mais je le repousse aussitôt. Elle voulait se défendre avec, pas se trancher les veines enfin !

Sur le moment, je suis convaincue de mon point de vue : Claire traverse une mauvaise passe, mais ça va aller mieux, car je vais tout faire pour l’aider ! En y repensant, j’étais aveugle, je ne voyais la situation que par moi, pas par elle.

En réaction, je la repousse et frappe ma tempe d'un geste agressif en prenant une expression contrariée.

[ Tu dis n’importe quoi ! ]

Elle ne la connaît presque pas, comment pourrait-elle savoir ce qu'elle pourrait faire ?! Je m’énerve, la mettant au défi de poursuivre. Elle n’ajoute rien, se contente de lever son poing en mimant le signe des métalleux, mais avec le pouce levé.

[ Je t'aime. ]

Je me calme aussitôt, baisse même les yeux, légèrement honteuse. Elle en profite pour me tapoter la tête sans modifier la forme prise par sa main.

[ Je t'aime, idiote. ]

J’émets une sorte de rire, ne riposte pas. Nous nous serrons une dernière fois dans les bras, puis prenons la direction d'Alexis et Claire. Un sourire naît sur son visage lorsqu’elle nous voit revenir. Ça me fait chaud au cœur. Je m’empresse de le lui rendre en écartant encore plus l’idée qu’elle puisse attenter de nouveau à sa vie.

  • Attendez !

Le cri provient de l'entrée du commissariat.

Je vois en sortir la jeune fille rousse vue précédemment. Elle tremble de toute part, mais son regard reste fixé sur nous.

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