A l'aide !

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Le papier s’humidifie. Je m'étais mise à pleurer sans m'en rendre compte. Elle me tend à nouveau son mouchoir. Je peux voir l’espoir briller dans son regard. J’attrape sa main en arrivant tant bien que mal à parler d’une voix hachée.

  • Je…je suis désolée..

Elle-même est au bord des larmes. Les autres clients nous regardent bizarrement, je les éclipse, quittant mon siège pour aller me coller à elle.

  • Tu veux vraiment... savoir ?... Je ne sais pas… si j’y arriverai…

Silencieuse, elle rapproche doucement mon thé puis empoigne son stylo avec lequel elle écrit sur le dos de sa main « Oui. »

Je renifle en réchauffant mes doigts sur la porcelaine brûlante. Lentement, mes lèvres se libèrent. Je parle tout bas afin de n’être entendue que d’elle seule.

Je n’oublie aucun détail, parlant de Marguerite, de son veau, de leur arrivée, le combat entre eux et nous… Je m’emballe plusieurs fois. Elle me force à ralentir, à reprendre après m’être calmée. Sa prise sur moi se renforce à mesure que s’écoule le flot de paroles. J’enchaîne sur mon réveil, sur ce matin… Je parle du cadavre de l'animal, du saccage de la ferme, de ma course désespérée, de l’arbre…

Je m’arrête de parler, je n’y arrive plus. De toute façon, elle connaît la suite. C’est grâce à elle s’il y en a une.

Nous n’avons pas touché aux tasses. Symphonie me force à boire quelques gorgées alors que ses propres yeux s’humidifient. Je peux la voir être tendue comme un arc. Son regard m’inquiète, il est éteint. Elle pose le dos de sa main ouverte contre le bois de la table et y appuie de son index à plusieurs reprises. Elle doit se faire mal vue comment la peau se tord.

[J’aurais dû être là.]

Ses paupières se ferment alors qu'elle tente de maîtriser sa respiration en plaçant son poing contre son front. Quelques sanglots étouffés percent à travers son immobilité.

Elle est dévorée par le remords.

En effet, elle aurait dû être là. Elle était censée être avec nous la veille, mais elle avait préféré rester chez elle, rester avec son aimée. Elle doit se sentir monstrueuse, une sale égoïste à présent.

Elle avait été là, chaque jour, chaque soir, nous soutenant, mon père et moi. C’est elle qui avait préparé les repas, aidé à entretenir la ferme, alimenté les abreuvoirs, même préparé les rations du matin. Elle avait mis en pause sa vie et son travail pour nous aider. Et quand elle aurait vraiment dû être là…

C’est à mon tour de la forcer à me regarder. Elle ose à peine lever les yeux, je remarque ses ongles en sang, elle se les est arrachés. Je vais doucement placer ma paume contre sa poitrine. Je peux sentir son cœur battre à toute allure.

[Je ne t’en veux pas.] Lui dis-je. Plus que mon geste, c’est mon regard qui traduit ma pensée. Elle attrape mes doigts, ne les lâche plus. Elle pleure pour de bon, sans un bruit.

Je ne peux m’empêcher de sourire en imaginant la scène avec Symphonie à nos côtés… Elle aurait été capable de les tuer.

Les gens commencent à vraiment nous regarder de travers. Nous prenons la fuite d’un commun accord.

Une fois dehors, nous respirons un grand coup. On se regarde sans bouger. Je me rends compte que je ne l'avais jamais vue pleurer en quatre ans. J’utilise son mouchoir pour lui sécher les yeux. Elle émet un léger rire, se force à prendre plusieurs inspirations.

Elle se redresse de toute sa hauteur. J’affiche un sourire triste. La voilà revenue, aussi forte qu’il y a cinq minutes. Comment font-ils tous pour encaisser ?

Ne sachant pas à quoi je pense, elle me montre la direction du centre-ville. Elle me tire sur le chemin sans attendre ma réponse. Nos mains ne se sont pas quittées. Je me laisse faire, soulagée de nous sentir à nouveau proches.

Il reste cependant un point à éclaircir.

  • Symph’, Tu ne veux pas me dire ce que tu caches ? Pourquoi vouloir gagner du temps ?

Elle ralentit légèrement le pas, finit par me lâcher pour avoir ses deux mains libres.

[Les gendarmes veulent te voir. Je ne veux pas t’inquiéter, tu verras quand nous y serons.]

Elle amorce plusieurs fois le même geste, peut-être plus pour se rassurer, elle, que moi. [Je suis là. Je ne te lâche plus.] Un sourire se dessine sur son visage, lui donnant un air sauvage. C’est le genre d’expression qu’elle affiche avant un combat. Décidément, elle m’inquiète de plus en plus.

[Quant au détour, c’est que j’ai demandé à Hugo d’aller chercher Hélène en renfort. Elle doit être en train de patrouiller du côté de la gare, je devais gagner du temps. Et puis, s’il peut gagner des points avec toi, je peux lui demander n’importe quoi. Il est si manipulable.]

Je soupire, lasse. Hugo me fait la cour depuis des années. Lui non plus n’est pas du genre à abandonner, même si je lui ai clairement dit non à plusieurs reprises. « Tu changeras d’avis, un jour ! »

Au fond, il ne m’est pas désagréable, mais vivre avec un citadin… pouah ! Une fois, je me suis mise avec lui, un jour seulement. Je l’ai quitté le soir-même. Ça ne l’a pas arrêté, ça a même eu l’effet inverse. « Tu vois ! Tu cèdes lentement à mon charisme ! » Je n'aurais peut-être pas dû l'embrasser avant de rompre...

Nous faisons régulièrement des paris impossibles, avec moi comme récompense. Il m’amuse, je ne peux le nier. Le dernier en date consistait à me tuer par écrit. Il n’a jamais eu la patience d’aller jusqu’au bout, dommage.

Ces vieux souvenirs me paraissent bien amers à présent. Je hausse des épaules, me voulant moqueuse sans être plus rassurée qu’avant.

  • La dernière fois que tu as eu besoin d’Hélène quand tu y étais, c’était pour venir t’y chercher à la fin d’une garde à vue.

[Tu ne répondais pas au téléphone. Et puis, je n’avais fait que déboîter un bras !]

  • Si je me souviens bien, elle a aussi failli déboîter le tien tellement elle était furax !

Elle rentre la tête dans les épaules, apeurée en repensant à ce sombre moment de son existence. D’ailleurs, elle minimise les faits. Symphonie a régulièrement des déboires avec la police. Elle n’hésite pas à se battre dans les lieux publics face à tout ce qu’elle considère comme une injustice. Elle refuse d’assimiler la simple information ‘’d’appeler le 22’’ au lieu d’intervenir. Elle est même sortie avec quelques policiers à force de squatter chez eux.

Nous poursuivons le chemin. Ça me laisse le temps de réfléchir. Je réalise que je me repose beaucoup sur elle. Dès qu’elle n’est plus là, je recommence à avoir des idées noires, des idées suicidaires. J’ai du mal à le reconnaître, pourtant, j’en suis déjà à deux tentatives aujourd’hui. Je frémis de peur en repensant à l’épisode des toilettes… Si cette dame n’avait pas frappé contre la porte…

Symphonie me frictionne le dos. Elle a remarqué mon tremblement et doit probablement l’assimiler à la situation présente.

[Ça va aller, je suis là.]

Je reviens à la réalité en me rendant alors compte que nous sommes arrivées. J’hésite à lui avouer cette idée qui me ronge l’esprit, lui dire à quel point, ce gouffre, si proche, si terrifiant, me paraît soudainement terriblement attirant. Elle ne me regarde pas, étudie les lieux. Je me fais toute petite en me collant à elle. En cet instant, je ferais n’importe quoi pour qu’elle comprenne la détresse qui m’étouffe. Pourtant, je ne lui donne pas le moindre indice, si ce n’est un tremblement au niveau des jambes.

Symphonie… Je veux me suicider.

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Vue de Symphonie.

Il y a du monde cette après-midi. Pourquoi autant de gendarmes ?

J’ai l’impression qu’on nous observe… Rhaaa ! Je déteste cet endroit !

Claire se colle à moi. Je la sens trembler. Elle doit être effrayée, n’ayant pas l’habitude de la ville, des gens, des policiers. Je resserre ma prise sur elle tout en l’entourant d’un bras que je veux protecteur. Nous franchissons les portes comme si nous avancions en territoire ennemi.

Claire… Je suis là. Tu pourras toujours compter sur moi. Ne tremble pas, je suis là.

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