48. Je vous mets au parfum ?

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"J’ai soudain le sentiment étrange d’être en harmonie avec moi-même, tout est parfait en cet instant, la douceur de la lumière, ce petit parfum dans l’air, la rumeur tranquille de la ville. J’inspire profondément car la vie me parait alors si simple, qu’un élan d’amour me donne tout à coup envie d’aider l’humanité tout entière."
Le fabuleux destin d'Amélie Poulain

Pas vraiment de rapport avec les autres chapitres, mais bon, c'est l'une de mes réjouissances journalières. Et qu'est-ce qu'on a dit à propos des petits plaisirs ? On ne s'en prive pas ! Voici donc un billet en odorama et aux mille senteurs. Mille, oui, car porter chaque jour le même parfum, c'est comme manger à chaque repas le même plat, s'habiller tout le temps pareil, écouter la même musique en boucle ou vivre en monochrome. Je trouve ça chiant. Vive la variété ! Cela tombe bien, il y a des parfums pour chaque occasion, saison, humeur.

Il y a des parfums qui collent à un moment, une ambiance, on les porte parce qu'ils sont adéquats. Un petit fleuri au printemps, un ambré moelleux à l'automne, une odeur de monoï tahitisante en août. A contrario, il y a aussi des parfums qu'on enfile comme une petite robe noire ou une armure, pour qu'ils nous donnent confiance en nous, nous fassent paraître plus pros ou encore nous rendent sexy. Des fois, les trois en même temps.

Cela peut sembler ridicule, car il n'existe pas d'odeur qui évoque le professionnalisme, n'est-ce pas ? Eh bien pourtant si. Culturellement, on a des attendus par rapport aux odeurs. Nous sommes éduqués depuis tout petit pour en apprécier certaines, être rassurés, dégoûtés etc... par des odeurs. Notre nez est forgé aux desideratas et attendus de notre société et quand on change de continent, on le sent, littéralement. Odeur de propre et muscs blancs lessiviels dans le métro japonais, pas vraiment pareil que chez nous par exemple.

Bien sûr, il y a aussi les goûts de chacun qui interviennent et complexifient la donne.

Tout cela est traversé par les grands courants de la mode olfactive qui durent quelques années et embaument l'atmosphère à coup de patchouli fruité ou d'aquatisme citronné, le Gulfstream des odeurs à la pêche des consommateurs. Il est difficile de ne pas tomber dans le filet des marketeurs qui nous tentent à coup d'icônes, celles qui adorent l'or et ont une vie super très belle, tant les publicités sont ressassées à la télé comme un chant de sirène hypnotique. Est-ce que j'aurais les soixante-douze dents de Julia Roberts si je me parfume comme elle ?

En assemblant tous ces ingrédients dans un shaker, on obtient un cocktail passionnant à siroter et détricoter.

Il y a des parfums un peu snobs, très chers, exclusifs, parfois très beaux et parfois... ben il y a des daubes aussi. Il y a des petites merveilles au Yves Rocher du coin, créées par de grands nez de la parfumerie. Il y a des gens qui n'achètent leurs parfums que d'occasion, j'en fais partie et je plébiscite le partage et le recyclage des bonnes odeurs. Le parfum n'appartient pas à une classe sociale, il n'a pas de sexe non plus. Un parfum dit "de femme" peut se développer extraordinairement bien sur une peau d'homme, comme une prune bien mûre que l'on se réprime de croquer.

L'univers des parfums est un mélange captivant d'histoires, de chimie, de créations, de tendances, de goûts et préférences, une façon originale de s'éduquer et de se faire plaisir, une expérience sensorielle et aussi sensuelle qu'une rose confiturée.

Voui, pensez-y à votre prochain pschitt, le bouton poussoir y gagne en majesté.

Aussi, il y a les noms des parfums. C'est mon petit plaisir coupable dans le monde olfactif, et j'y suis plus sensible qu'à une pub télé. Certains sont magiques, ils roulent sous la langue comme des incantations, des sortilèges. Coromandel, Chergui, Idole, Méharées... je suis sorcière à Poudlard, j'invoque à coup d'épices orientales et de patchouli terreux. D'autres sont bruts de pomme, ils annoncent sobrement la couleur. Pour quand tu veux être cash, ce sera un jour pas compliqué. Concentré d'orange verte, Rose Flash, Tonka, Santal Cardamome...

Quand par chance, l'odeur est aussi belle que le nom, survient ce moment de grâce où le pshitt du matin t'arrose de bonne odeur et de poésie. Le bonheur. C'est magique de se parfumer du Baiser du Dragon par exemple, un si beau nom pour une fragrance qui parvient à souffler le chaud et le froid, car le vétiver, ce bad boy si cool, y étreint passionnément la douceur de l'amande.

L'air du désert marocain, Une nuit magnétique, Ninfeo Mio, La chasse aux papillons, Féminité du bois... Quelques exemples de mes petites minutes de joie quotidiennes.

En plus, il y a le visuel. Le flacon, bien que non essentiel, apporte la final touch de ce petit rituel du parfumage. Une finition léchée sympatoche de cette expérience olfactive, le dernier plaisir, celui des yeux. Mes flacons sont dans une vitrine, au sombre, dans une pièce où la température ne varie que très peu. Je peux donc les admirer de loin, ma petite armée de sent-bons, à chaque repas tout en les protégeant des méfaits de la chaleur et de la lumière.

En m'intéressant aux parfums, j'ai découvert le monde des perfumistas, ces fans hard-core des odeurs qui connaissent sur le bout des doigts et du nez les notes et molécules qui composent un flacon. C'est très intéressant de lire leurs impressions et descriptifs. Un petit combo littéraire de sciences et de poésie, où l'émotion joue à part égale avec l'érudition.

L'avis d'une personne évoquant des souvenirs d'enfance que lui rappelle telle odeur y sera autant apprécié que celui d'une autre qui instruira sur la composition chimique de la fragrance. C'est un chouette mélange des genres. Bon, le commentaire "j'aime ce parfum, ça sent super bon" est à bannir de ce type de conversation, sous peine de moqueries plus ou moins violentes. Sont pas toujours faciles les perfumistas, on ne fumistera pas avec les parfums, c'est du sérieux. Comme chez tous les spécialistes, un vocabulaire spécifique s'applique. Si je ne parle pas couramment le perfumistien, j'ai assimilé quelques mots rigolos de ce lexique, tant sur la composition du produit que sa tenue et son sillage, également sur sa provenance, par exemple parfum mainstream vs parfum de niche. Pensez blockbuster vs cinéma d'auteur.

C'est un univers qui n'est pas figé, il vogue au fil des nouvelles créations et s'enflamme en bien ou en mal pour les dernière sorties, il pleure également la disparition des grands classiques au champ d'honneur du marketing et des reformulations. Il se passe toujours quelque chose et on y apprend continuellement.

Il y a un an et demi j'ai presque arrêté de me parfumer. Ça ne me disait plus rien, j'avais perdu l'appétit des odeurs. Aussi, le parfum n'est pas vraiment un produit qui améliore la santé, c'est même plutôt le contraire. En effet, on y retrouve plein d'ingrédients chelous type phtalates ou muscs synthétiques qui sont cancérigènes. Alors forcément, cela m'a posé question et mes flacons sont entrés en mode Hibertanus. Cette période de creux a duré de longs mois, monotones et unidimensionnels pour mon nez, mais plutôt bénéfiques pour mon portefeuille. Car le fan de parfums se contente rarement de sa plus ou moins grande collection, il recherche le Graal, le prochain coup de foudre, la nouvelle pièce à rajouter à son olfathèque personnelle. Il y aura toujours une nouvelle vanille à découvrir, une vanille plus florale, plus ambrée, une vanille au whisky, une vanille marine, une vanille de poupée de notre enfance, une boisée, une caramélisée... des déclinaisons à l'infini de vanilles. Et je ne parle même pas des parfums qui sentent le cacao.

Et puis voilà, l'envie est revenue, en toute légèreté telle une petite brise hespéridée. Je resniffe avidement mes parfums avec régularité. J'ai recraqué pour un flacon, un magnifique jus qui me faisait de l’œil depuis longtemps. Maintenant le pschitt parfumé atterrit sur mon pull, mes cheveux, mais plus jamais sur ma peau, et une seule fois par jour. Je le savoure.

J'ai retrouvé ce grand plaisir complètement superficiel du parfumage, et pendant quelques secondes je suis à la fois vaine et attentive, à l'écoute de mes narines. J'appuie sur le bouton poussoir, je sens, je ressens. Paf, Sublime Balkiss s'est échappée de son flacon pour se lover félinement dans mon écharpe, elle ronronnera dans mon cou toute la journée.

Totalement mieux qu'éclater le papier bulle.

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