34. Cet été, ce sera montagne et escalade topless

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"J'ai appris que l'essentiel dans la vie, ce n'est non pas d'être fort, mais de se sentir fort. Et le but, ce n'est pas d'aller le plus loin mais c'est le chemin pour y arriver."
Into the Wild

Depuis quatre semaines, je bénéficie d'une radiothérapie et c'est tellement cool. Je fais toujours attention à bien utiliser ce mot, "bénéficier", en rendez-vous avec mes médecins et soignants, avec ma famille et mes amis ou même quand je me parle à moi-même. J'emploie le terme "bénéficier" car elle n'était tellement pas gagnée à la base, cette radiothérapie, que je la savoure à fond.

Il y a vingt mois, on m'avait proposé de radiothérapier mon dos si les douleurs des métastases devenaient trop insoutenables. Un soin "de confort" ponctuel pour lequel il n'est pas possible de dire "joue encore" avant une longue période. J'avais refusé. Finalement, c'est mon sein qui accède à ce traitement pour éliminer un maximum de cellules cancéreuses qui joueraient à cache-cache. Comme la sécurisation d'une scène de crime, la recherche de restes d'explosifs post-attentat. J'embrasse ma rottweiler intérieure, je suis un chien d'intervention qui a eu du bol et a pu planter ses crocs dans la chair du criminel. Je l'ai secoué, je l'ai traîné jusqu'à ce qu'il arrête de se débattre et je me suis assise sur lui pour l'immobiliser. Malgré ses cris, je ne pas desserré les mâchoires. Lassie, chien fidèle sous stéroïdes.

Cette radiothérapie, je ne la vis pas comme une épreuve ou une contrainte. Elle est ma récompense personnelle, mon petit nonos avec grattage de bidou et félicitations. Tu as été une brave, brave Lassie. Ne relâche pas encore le monsieur.

C'est un one-shot, car à moins d'un progrès médical important dans les années à venir, je ne pourrai plus bénéficier d'une radiothérapie sur le sein. Un dosage trop important de rayons X administrés sur une même zone entraîne des conséquences fâcheuses pour l'intégrité physique, du genre nécrose. Le corps n'évacue jamais l'énergie des petits photons, cela ne se recycle pas. Comme j'ai gagné une dose 33% plus forte que la classique à la tombola de la radiothérapie, mon nichon n'est pas près de revoir l'accélérateur linéaire.

Donc, cette année en juillet, je suis privée de plage, mais ce n'est pas grave. À défaut de bronzette au soleil, je fais du seins nus sous les rayons X.

J'avais décidé, avant le démarrage, d'optimiser mentalement l'efficacité du traitement par une rigolote chorégraphie dans ma tête à chaque séance, histoire de me concentrer sur du positif. Aussi, l'idée de danser mentalement la Macarena en me faisant bombarder de photons était plutôt séduisante. Il ne faut pas se priver de petits plaisirs. Je n'avais pas prévu que, dans la salle des rayons, il y ait la radio. Celle qui diffuse de la musique, Radio Caroline ou Hit West ou un truc du genre, ce qui est plutôt sympa. Mais du coup, danser pendant la page de pub ou sur le bulletin météo, ça le fait un peu moins. Je n'ai pas demandé aux manipulateurs d’éteindre pour passer ma musique à la place, bonjour la grosse chiante, et j'ai recherché une autre activité motivante.

Curieusement, mon choix s'est arrêté sur un sport que je trouve très douloureux : l'escalade.

J'ai essayé il n'y a pas longtemps et on peut qualifier mon niveau de médiocre. Nan, plus honnêtement : extrêmement nul. C'est très dur de grimper, surtout pour les bras car il faut se tracter et se maintenir avec. Cela nécessite d'avoir le haut du corps très musclé. Je suis fichue comme beaucoup de femmes avec une répartition du poids 40/60 : j'ai une concentration de gras et de muscles beaucoup plus importante dans la partie inférieure de mon anatomie. Classique. C'est pratique pour faire des réserves en cas de disette, rouler des hanches comme une déessse de salsa ou accoucher par voie basse sans trop de soucis, mais pas super pour l'alpinisme. Évidemment, n'avoir jamais exercé ses bras et s'être gavée de chocolat pendant trente-huit ans, cela n'aide pas non plus.

Mais dans ma tête, je suis hyper forte en escalade. J'ai débuté par le mur d'entraînement et j'ai suivi les parcours imposés avec les codes couleurs. Après, j'ai tenté des petites escapades en milieu naturel : moyenne montagne, paroi de canyon ou le long d'une chute d'eau tropicale. De beaux décors pour grimper comme un chamois. Cela permet de passer les quelques minutes de chaque séance journalière d'une façon plus réconfortante que de laisser mon cerveau divaguer sur la raison pour laquelle je me retrouve à cet endroit, avec interdiction de bouger tandis qu'une machine me bombarde d'énergie létale. Ou que ça commence vraiment à faire suer cette aisselle poilue pendant cinq semaines, merdouille, ça fait bizarre avec l'autre que j'ai le droit de raser. J'ai un look d'allemande baba cool asymétrique sous les bras.

Alors oui, une radiothérapie n'est pas une virée à la fête foraine, mais ce que je vis n'est pas un traitement lourd invalidant. J'ai juste droit à un coup de soleil, des douleurs diffuses à cause des tissus qui se tapent une petite fibrose et le plus pénible : des bons coups de pompe. Surtout, il y a la salle d'attente, certainement le pire moment pour le moral. Mon kit "protection, désolée les gens" y est pas mal efficace : gros casque sur les oreilles, super playlist, Kindle ou Candy Crush sous les doigts. Même les lunettes de soleil parfois. Je dis bonjour quand même, je ne suis pas une sauvage. Heureusement, les équipes de manipulateurs sont très sympas, ça aide beaucoup. Je leur apporterai des macarons à la fin.

En grimpant, je me renforce dans mon objectif : atteindre ce moment, cet endroit, là-haut. Où toutes les "traces suspectes" ont été dégommées et où mon sein et mon épiderme sont aussi purs que les neiges éternelles. Même si mon échelle de survie bringuebale ou qu'il y a du mou dans la corde à nœuds, je continue d'escalader à chaque séance. Je reste calme, focus. Ce n'est pas le moment d'être déséquilibrée, d'avoir peur; d'être énervée ou démotivée. Je me concentre sur le positif, tout ce qui peut m'aider à me propulser et je prends de la hauteur. Je ne veux pas chuter, alors je m'accroche et je suis résolue à donner aux photons tueurs les meilleures conditions possibles pour éliminer durablement la menace.

Pour avoir un nichon cancer-free, nickelisé.

J'avance laborieusement car mes ascensions ne durent que quelques minutes par jour, mais j'aperçois le sommet. J'arrive à la fin de ma grimpette la semaine prochaine, j'espère avoir une belle vue. Je vais prendre de jolis clichés et quelques selfies.

Résultat de l'album photos à l'IRM dans deux mois.

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