33. La mélodie du bonheur

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"Les petits cons qui veulent aller plus vite que la musique, hé ben ils se cassent toujours la gueule."
La vérité si je mens !

Tout est parti d'une dissonance.

La dissonance, c'est quand il y a une rupture de l'harmonie. Une fausse note qui fait tache dans la jolie musique. La mienne est répétée à l'infini dans ma tête : cancer du sein stade 4. Un son désagréable dont je n'arrive pas à me débarrasser, mon acouphène personnel.

Pourtant, ma vie était réglée comme du papier à musique avec une mélodie du bonheur impeccablement orchestrée : mariée, trois enfants, un boulot plaisant, des amis, une famille sympa. Vu de l'extérieur comme de l'intérieur, une existence parfaitement satisfaisante. Je gérais comme une boss ma vie professionnelle, sentimentale, familiale, amicale. À la fois chef d'orchestre de moi-même et ensemble instrumental, prise dans sa valse à mille temps.

Je l'ai déjà écrit, mais bon, comme je réflexionne pas mal là-dessus en ce moment, je me répète : un cancer peut avoir différentes sources, par exemple avoir trop fumé, trop bu, avoir été exposé à des sources radioactives très élevées ou un virus infectieux, avoir une prédisposition génétique. Si aucune de ces pistes ne s'avère être une possibilité, il reste des questionnements sur un niveau de stress élevé, des douleurs émotionnelles intenses, des moments de souffrance ou d'épuisement et tout un catalogue d'accidents de la vie du même acabit. Des choses graves. Des choses insoupçonnables. Cela fait réfléchir à comment mener sa barque.

Quand on parvient à éliminer un maximum de maladies pour se donner du temps supplémentaire, quand on a ce privilège de gagner des mois, peut-être des années, peut-être même la possibilité d'attraper le train des labos et de la recherche en marche, quand on a cet espoir là, il ne faut pas gâcher sa chance. Alors je dois changer mon tempo pour créer une harmonie avec cette note dissonante bloquée sur le clavier et inventer un tout nouveau morceau.

Ce n'est pas un solo, parce qu'on est plusieurs dans l'orchestre. Il faut composer avec tous les instruments car si je choisis de changer ma cadence, cela nécessitera pas mal d'ajustements de la part des autres musiciens. Il va y avoir des fausses notes, des grincements de cordes, des silences pesants et certainement beaucoup de travail et de répétitions avant de passer l'étape de la cacophonie.

Souvent, la beauté d'un orchestre symphonique réside dans la complémentarité de ses instruments. Ils se chevauchent et se complimentent en reprenant la mélodie à tour de rôle, ce qui les rend à la fois interchangeables et uniques. L'auditeur peut ainsi apprécier la répétition des sons sans se lasser car le rendu en est différent. Il n'y a pas d'instrument star, il n'y a pas de second rôle. Juste un ensemble qui avance en cohésion sur la même partition.

Pour atteindre cette performance de groupe, paradoxalement, je fais un peu ma diva, comme ces grandes chanteuses qui ne parlent plus avant leur concert pour préserver leur voix. Je regarde beaucoup mon nombril, peut-être que je me MariahCarey-ise ? Mais dans l'hypothèse où la vie que je menais m'a conduite à ce résultat-là, si je veux continuer à jouer de mon instrument (c'est le pipeau évidemment, mais je suis forte en triangle aussi), la solution est d'embrasser des accords inédits. Adopter un rythme plus lent, passer de la Marche Turque au Canon de Pachelbel et surtout, surtout ne plus s'envisager comme la soliste ou pire que tout : la femme-orchestre. Sinon, cela finit comme un concert de Rémy Bricka, c'est un peu risible et très vite soûlant.

Les plus belles musiques ne sont pas toujours les plus faciles ni celles qui sonnent le plus juste. Cela vaut pour tous les styles : le classique, le jazz, la soul, peut-être même la country. Le flot de bruit blanc qui submerge mes oreilles à coup de vagues d'angoisse sporadiques ne recouvrira pas la bande-son de ma vie. Je peaufine ma nouvelle ritournelle, ce petit air qui rythme mes journées, ce tempo intime qui bat à la veine de mon cou et résonne dans mes tempes à la mesure de ma détermination.

Ce soir, j'ai répèt'.

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