31. Croire en mes tripes

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" J’ai une armée.
Nous, on a un Hulk."
The Avengers

Je surfe sur une vague de contentement depuis trois jours. C'est bon. Je n'éprouve pas franchement de soulagement, cela viendra peut-être un jour, mais plutôt une saine satisfaction : the job is done. J'ai nettoyé le bousin et à cet instant, je le maintiens entre mon pouce et mon index très fermement. Je contiens à mort. Mais comme je ne suis pas une fille naturellement tranquille ni optimiste, j'écoute le message que m'envoient mes tripes : Ne. Te. Relâche. Pas.

Mon petit copain de guéguerre est connu pour ses attaques sournoises par mutation surprise. Il me faut donc garder une tête d'avance, ne pas tomber dans une routine fléchissante. Je dois continuer le sport et l'intensifier, perfectionner le régime et avancer dans le chantier bien-être émotionnel. Et la spiritualité, faut pas l'oublier non plus celle-là. J'ai encore beaucoup d'idées et s'il agit sournoisement, moi j'attaque vicieusement.

Je compte aussi bénéficier des meilleurs soins possibles et obtenir la pleine et entière attention de Médecine Moderne. Mais il y a un couac. Je ne suis pas tout à fait satisfaite. Le bout de gras est à discuter et quelques explications sont à obtenir car je me pose pas mal de questions depuis la bonne nouvelle. Tout est parti d'un petit coup de chauffe interne à la suite d'une première analyse de la situation, une colère grandissante que je dois apprendre à canaliser et utiliser intelligemment.

Mon oncologue et le comité décisionnel m'ont proposé il y a cinq mois une chirurgie et/ou une radiothérapie en se basant sur des résultats d'IRM. Coup de bol, j'avais un petit truc de prévu au printemps qui m'a obligée à repousser cette prise de décision et à bien prendre le temps d'y réfléchir. Il y a un mois, à la suite des examens quadrimestriels, rebelotte, nouvelle proposition de Coco l'onco : opération ou radiothérapie, voire les deux, il y a une promo.

Les derniers résultats d'IRM ne montraient pas de baisse flagrante de l'activité cancéreuse. "Au sein, c'est stable" dixit Coco en guise de traduction du compte-rendu. C'est vrai que deux prises de contraste suspectes y sont mentionnées. Suspectes étant le mot clé dans l'histoire. Je lui ai réclamé un autre examen via TEP scan pour s'en assurer, mais "non non non Madame B., le TEP n'est pas aussi précis que l'IRM, ça ne servirait à rien".

À rien.

Sauf que le TEP, finalement obtenu après marchandage avec ma future radiothérapeute, m'indique qu'il n'y a plus d'activité cancéreuse dans mon nichon, ou tout du moins si faible qu'elle n'est pas discernable. Flora, la charmante interne qui m'a annoncé la bonne nouvelle en prem's (oui les internes n'ont pas de nom de famille à l'hosto, juste des prénoms), m'a répondu, me voyant interloquée : non mais l'IRM montrait juste deux petites zones suspectes, mais pas une activité cancéreuse stable. L'air de dire, ben oui, c'est écrit dessus, comme le Port-Salut.

OK, c'est absurde. C'est stable, mais en fait ce n'est pas stable. C'est suspect, mais pas tant que cela. Mêmes mots, plusieurs sens. Je réalise alors que pour la première fois depuis mon arrivé à Cancerlandia, je suis suivie par des médecins différents. L'univers de David Lynch n'est plus très loin de mon esprit qui sombre dans une frénétique quête de sens. Un nain va débarquer en salle de scanner pour faire une partie de poker, le manipulateur en radiologie était en fait le tueur de Laura Palmer et mon double de moi-même version blonde prévoit un rituel satanique sur Oncologie Bld.

Un-fucking-believable.

Je joue mes organes sur des comptes-rendus aussi précis pointus qu'une rédaction de mon fils sur la première guerre mondiale. Il est en CM2 et laissez moi vous dire qu'il n'est pas fan d'histoire-géo. Je joue mon nichon sur des descriptions floues, parce qu'au lieu d'écrire "prises de contraste suspectes de telle épaisseur à tel endroit qui pourraient être résiduelles, à vérifier par TEP scan", un radiologue a noté "prises de contraste suspectes". L'ensemble des médecins qui constituaient le comité décisionnel ce soir-là s'est dit : OK, c'est suspect, on lui avait proposé une mammectomie il y a quatre mois, alors si on lui enlevait son nichon maintenant ?

Mon Hulk intérieur est en train de se réveiller, il a juste pris le temps de digérer la bonne nouvelle du TEP limpide avant de bien comprendre ses implications. Il me pousse à réagir. Il ne m'envoie pas toujours vers la meilleure prise de décision, mais c'est un sacré bon moteur.

Alors au final, un petit instant rédactionnel pour tout mettre à plat, c'est pas mal quand on a envie de :

a - balancer par mail à son oncologue une vidéo d'un "you're fired !!!" trumpesque avec postillons et moumoute orangée frétillante

b - lui envoyer un télégramme chantant de Fuck you de Lily Allen... Fuck you, fuck you, fuck you very very muuuuuuch, avec chorégraphie en canotier et costume à rayures

c - débarquer en plein comité décisionnel en sous-vêtements et masque de poussin pour chanter "au revoir président". Pas vraiment de rapport mais j'ai toujours rêvé de faire ça.

d - de façon peu originale, éclater un clavier.

Mon Bruce Banner intérieur me rappelle que mes médecins font au mieux, ils ont des milliers de patients et ils ne m'ont forcée à rien, juste proposé des options. Ils m'ont laissé du temps pour décider toute seule. Ils font ce qu'ils peuvent et je devrais les remercier de ne pas me mettre la pression plutôt que rentrer dans un conflit inutile. Peut-être qu'ils ne se plantaient pas en me proposant une mammectomie car c'est un moyen sûr et efficace d'enlever toute trace "suspecte" d'un organisme. C'est une technique qui permet de sauver des vies, littéralement. Elle est même utilisée en prévention pour des personnes qui ont des prédispositions génétiques comme Angelina Jolie.

Bon, depuis la généralisation de la mammectomie dans le traitement du cancer du sein dans les années 60, aucune étude, aucune, n'a pu prouver que cette technique influençait positivement la durée de vie dans le cas d'un stade 4. Souffle Banner, souffle, si tu ne veux pas craquer le chemisier. Comprendre précisément les résultats d'examens et obtenir une explication claire serait certainement une bonne idée plutôt que s'en prendre à un clavier innocent. En tout cas, je dois tirer les conclusions de ce petit chapitre de mon parcours de cancéreuse.

Médecine Moderne fait au mieux, mais les médecins ne sont pas Dieu, Madame Irma ou Docteur House. Même avec des scanners, des IRM, des super machines, plus de dix ans de formation et des réunions d'experts, ils ne possèdent pas toutes les réponses. Personne n'en a, car il n'y a pas de bonne réponse. Et visiblement, ils font des économies sur les TEP scan. Ils font ce qu'ils peuvent quoi. La vache, ça me rappelle grave le boulot.

Il n'y a pas qu'une seule route à emprunter pour combattre ce qui m'habite et mes médecins me le répètent à l'envie, ils ne savent pas vraiment ce qu'ils font. Alors je renouvelle la confiance que j'ai placé en mes tripes car elles ont prouvé leur valeur jusqu'ici. Je les sens bien bien connectées aux chemins hors parcours Cancerlandia que j'emprunte. Je crois que je touche du doigt la notion de croyance et de confiance en un truc plus grand que moi, de fait de spiritualité. Elle me frôle de temps en temps comme un chat qui passe entre les jambes mais ne veut pas se faire attraper.

Je me transforme en Tripes Woman, la super héroïne qui parle à l'oreille des Andouillettes. Combinée à Super Sceptique, cela donne une fragrance un peu spéciale. Mais ça tombe bien, je collectionne les parfums. Sentir tous les jours la même chose, je trouve cela aussi passionnant que porter tout le temps la même couleur, écouter en continu la même musique, manger chaque jour le même plat. J'aime bien varier les plaisirs.

Je change de parfum selon l'humeur et j'enfile à la suite ma tenue de Super Sceptique ou Tripes Woman, Bullshit Girl, Honey Badger, Jemenfoutor, Supermaman ou Supermèreindigne.

Parfois, Hulk.

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