27. Signes

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"Frappe fort, Merrill !"
Signes

Se découvrir un cancer, c'est un peu comme un film de M. Night Shyamalan, mais sans Bruce Willis ni Mel Gibson. J'aime beaucoup ses premiers films : Incassable, Sixième sens, Signes. Il y égrène une kyrielle d'indices imperceptibles, invisibles, et c'est à la dernière minute que le spectateur, avec le héros, découvre le fin mot de l'histoire. Je ne suis pas super douée pour ça. Quand le voile se lève,  je partage la stupeur du protagoniste. La vie, c'est pareil : il y a des signes, tu peux les lire ou pas.

Par contre un cancer, ce n'est pas du tout comme Alien. Il ne t'explose pas le bide en s'exclamant "coucou, je suis là, avec ma tête pleine de dents. Où sont tes copains, que je les bouffe aussi ?". Non, c'est plus sournois comme approche, silencieux. Surtout, ce n'est pas un autre organisme qui te colonise, un parasite. Ce sont tes propres cellules qui se mettent à dysfonctionner, tes gènes qui mutent, comme si ton corps devenait un labo, un de ces labos absurdes à clonage de chiens. Tes propres défenses immunitaires qui te laissent tomber. Parce que finalement, un cancer, c'est un peu comme une  petite rébellion interne. Ton burn-out cellulaire personnel. Ta grève de toi-même.

Je n'ai pas de problème avec les grèves, j'ai protesté à foison. Au lycée, ensuite à la fac, puis j'ai poursuivi une fois salariée, si la cause me paraissait valable. J'ai tout une collec' de grèves à mon actif. Manifester, c'est sympa. Tu peux chanter en plus. Ou tu peux faire grève et rester à la maison, aller au ciné, à la piscine, chez l'esthéticienne ou au resto avec les copines car tu n'as de compte à rendre à personne. Pour mon corps, c'était pareil. Il n'en avait plus rien à foutre des règles et je n'avais pas réalisé qu'il était en grève immunitaire pendant de très très longs mois. Totale myopie.

Quand j'y repense, j'avais perçu quelques signes précurseurs de la maladie, comme ces moments de fatigue inhabituels où une petite sieste s'imposait. Ces cernes sous mes yeux, des valises spéciales mauvaise mine. Mais bon, rien de bien gênant m'empêchant de fonctionner au quotidien. Il y avait eu aussi, bizarrement, des appels du pied de mon inconscient. J'avais réfléchi longuement à mon avenir professionnel : voulais-je essayer quelque chose de nouveau ou carrément stopper ma petite mission en cours et revenir à un truc plus pépère ? Je sentais que j'arrivais en fin de cycle. Ouais, fin de cycle alright, vu que j'allais arrêter le boulot tout court.

Un truc un peu flippant : j'écoutais en boucle la chanson d'un petit nanard pour ados vu au ciné avec ma fille, je l'avais même choisie comme sonnerie de portable. Cups du film Pitch Perfect. Effrayant, je sais. En plus, je n'ai même pas honte. Mais ce n'est pas là où je voulais en venir. J'ai fredonné cette chanson tout le mois de novembre. J'ai été diagnostiquée en décembre. Les paroles du refrain ? Les voilà :

When I’m gone

When I’m gone

You’re gonna miss me when I’m gone

You’re gonna miss me by my hair

You’re gonna miss me everywhere, oh

You’re gonna miss me when I’m gone

Bon, ça ne vaut pas la fin de Sixième sens mais c'est troublant quand même.

Mes différents spécialistes du chantier bien-être émotionnel - qu'il est chiant celui-là - m'ont tous conseillée d'être plus attentive aux signes. J'essaie. J'entrevois des petites choses qui s'accumulent, qui m'interpellent. Un contrôle de la sécu bien chelou, plusieurs pannes de voitures pile-poil pour des rendez-vous du foutu chantier. L'écriture d'un billet sur le refus d'une chirurgie et rencontrer le lendemain une collègue qui se fera opérer quatre jours plus tard de la même chose. Après des mois d'angoisse, enfin décider de comment se passera ma fin de vie et voir un film une semaine plus tard qui décrit exactement la même situation, la même décision. Ou encore entendre un deuxième médecin de Cancerlandia en moins de deux semaines me dire texto, sans même que je la pousse dans ses retranchements, qu'elle ne sait pas vraiment ce qu'elle fait avec moi.

Bon. Que déciderait le honey badger en cas de signe sur son chemin ? Par exemple, il voit passer un cobra qui se ballade tranquillou. Alors HB, tu fais quoi ? Comment analyses-tu la situation ?

Tu fuis ? Tu te caches ? Tu attends ?

La réponse est très simple : Il attaque le cobra, il lui arrache la tête, fait un coma de deux heures à cause du venin puis se réveille comme une fleur pour reprendre son repas. Et il le dévore en entier. Subtil. J'adore cette bestiole.

Je vais suivre mon animal totem et zieuter les signes plus attentivement. Pas pour psychoter, m'angoisser ou laisser les autres décider. Je vais m'en saisir et tout ce qui peut m'être profitable, je l'utiliserai. Je m'endormirai sereinement dessus puis je le boufferai.

Médecine Moderne, si tu ne sais pas vraiment ce que tu fais avec moi, ce n'est pas grave. Je prends la main et j'ai plein d'idées : on va recommencer ce foutu test que vous me refusiez depuis quelques mois, on va observer calmement la situation pour viser au mieux la zone qui bénéficiera de la radiothérapie. Pendant que tu m'enverras tes petits rayons comme autant de sabres laser jedi et que mon corps se transformera en néo-Fukushima, moi, je ferai ma chanson des rayons avec chorégraphie dans ma tête. On est d'accord ? Allez, check.

Je coche trois cases dans ma To Do List : Prise en main de ma santé, Spiritualité et Intuition.

Well done Badger !

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