19. Muchas gracias

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"Hier est derrière, demain est mystère, et aujourd’hui est un cadeau, c’est pour cela qu’on l’appelle le présent ! "
Kung Fu Panda


Pendant les grandes vacances, chez papi Jean, j’ai découvert dans un magazine de développement personnel la gratitude et ses bienfaits. La gratitude, c’est dire merci. Merci à la vie, à ton ange gardien, à Dieu ou à je ne sais quoi que tu considères comme le chef de service de ton destin. Concrètement dans l’article, il était expliqué que remercier trois choses avant de se coucher permettrait d’être plus positif et de se sentir mieux.

C’est un journal qui était dans les toilettes de mon beau-père depuis Mathusalem. L’été précédent, déjà, je l'avais feuilleté, mais cette page ne m’avait pas vraiment sauté aux yeux et je m’étais plus concentrée sur la tendance color-block jaune pour la belle saison.

Je me suis dit : pourquoi ne pas tenter ? Cela ne coûtait pas grand chose. J’essayais bien chaque soir, pendant de très longues et pénibles minutes, de rentrer dans un état méditatif avec des applications sur mon téléphone. Donc j’ai commencé à dire merci. Il fallait trouver trois trucs nouveaux chaque soir. C’était pas si facile que ça.

Merci pour le beau soleil aujourd’hui.

Merci pour ces bons moments en famille.

Merci pour ces courgettes, délicieuses, vraiment.

Merci pour mon cancer. Connard.

Merci d’avoir été tellement aveugle et stupide que tu t’en es rendu compte trop tard pour guérir.

Merci pour la piscine chauffée.

Je n’ai pas pratiqué la gratitude longtemps, peut-être deux semaines, et cette habitude nocturne s’est évanouie dans l’oubli avec sa copine la méditation. Soulagement.

Merci de ne plus m’obliger à faire ça.

Je ne comprenais pas vraiment le concept et au vu de ma situation, cela me semblait finalement risible. Remercier je ne sais quelle entité de la beauté de ce qui m’arrivait. Mes dents ont grincé chaque soir, mes mâchoires se sont contractées à chaque remerciement tandis que ma rottweiler intérieure grognait méchamment.

Merci de me gâcher mon début de nuit, c’est parfaitement foutu pour dormir maintenant.

Et puis je me suis concentrée sur d’autres choses : le sport, le régime, rencontrer de nouveaux médecins, essayer d'autres techniques et tactiques, me faire opérer, me remettre, lancer le chantier « bien-être émotionnel ». Bien chiant celui-là.

Merci d’être une têtue maniaque, bitch.

Les mois passent vite, même quand tu ne travailles pas. Tu ne fais rien et finalement tu fais beaucoup de choses. Le quotidien est rythmé par les rendez-vous avec les médecins et les spécialistes, les examens, les injections. Née en Ouganda, mon espérance de vie ne serait pas la même, la France n’est pas le pire des pays pour avoir un cancer.

Merci pour l'accès aux soins. Merci pour la Sécurité Sociale.

Chaque semaine, j'ai rendez-vous avec mes amis, mes amis très chers, et depuis plus d'un an, ils sont d'une fidélité infaillible. Je vois tous les autres aussi, mes midis solitaires sont clairsemés dans mon agenda. Je raffole des potins du boulot, je donne mon opinion hautement qualifiée concernant leur vie car j’adore savoir tout ce qui leur arrive. J'aime les chambrer, qu’ils me chambrent, qu’on soit toujours une équipe et pouvoir continuer à partager ces moments comme si rien n’avait changé.

Merci mes amis.

J’ai réussi à caser des petites escapades entre les IRM et les injections, car comme dit mon oncologue, c’est important de garder le moral. Je suis partie en exploration du monde plusieurs fois avec mon chéri, avec ma fille et ma sœur. En vacances en famille, en week-end solo. Mon frère s’est tapé des heures et des heures de route pour venir me voir plusieurs fois dans l'année. Quand tu as une famille aimante, tu en profites. Et quand tu as une super maman qui gère tes mômes pendant tes voyages, tu peux t’échapper du quotidien.

Merci merci mon frangin, merci SuperFrangine, merci maman.

Le rythme scolaire, c’est pas mal aussi pour que le temps s’écoule vite, comme dirait le Père Fouras. Les devoirs, les évaluations, les réticentes tables à apprendre par cœur, les gâteaux du vendredi pour la récolte de sousous de l’école, les inscriptions au collège pour l’année prochaine... Les Trolls n’arrêtent pas de grandir, ils cartonnent, ils sont hyper autonomes. Ils se font leur petit dej’ tout seuls, ils ne m’offrent plus des dessins mais des vidéos. J’ai des enfants 2.0. Ils sont en bonne santé, ils sont heureux.

Merci, merci pour mes enfants.


Merci pour Netflix, merci pour le cinéma. Merci pour France Inter et les podcasts radio.

Merci pour les shiratakis de konjac.

Merci d’avoir de la volonté et de ne pas t’être laissée tomber. Tu peux continuer plus loin ma vieille.

Merci pour le chien.

Punaise qu’est-ce qu’il perd comme poils. Merci pour cet aspirateur de la mort qui aspire et nettoie à l'eau en même temps.

Merci pour mon mari qui gère tout ça comme un champion, à sa place j’en serais à deux boites d’antidépresseurs par jour. Ou peut-être que je me serais enfuie.

Merci pour mes quarante ans, je vais les savourer. Je vais tellement en profiter que les trentenaires seront jaloux de moi.


Merci, vraiment merci, pour ce premier cheveux blanc. Je compte bien commencer un élevage.

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