Les complots de la Cité Noire III

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C’était Aëluin. Uriel était à Kharë, servant probablement de chair fraîche aux voraces Mères Araignées : Mana était, paraît-il, volontiers prêteuse, et pas peu fière des prouesses accomplies par son mâle. Après tout, les Niśven étaient réputés dans tout le monde ældien pour leur savoir-faire inégalé dans le dressage des esclaves et les voies du plaisir sensuel. Mais la baie d’Aëluin était obstruée. Pourtant, c’était bien son cair. Pourquoi était-il venu à sa rencontre ? Voulait-il également le mettre en garde ?

Un tir d’antimatière mit fin aux interrogations de Lathelennil. Rhaenya hoqueta, et elle s’écroula, un trou fumant sur la partie ventrale de sa combinaison. Après lui avoir jeté un regard oblique, Lathelennil tira à nouveau sur le manche. Comme tous les pilotes chevronnés, biberonné au combat spatial, il se mettait en mode automatique dans ces situations-là. Il ne pensait pas. Son cerveau de super-prédateur avait pris le dessus.

Aëluin lui donna la chasse. Lathelennil entama un ballet entre les tours, enchainant loopings, décrochages soudains et autres figures acrobatiques. Cette fois, c’était sûr, Ialiel en aurait pour son argent. Dommage qu’il ne puisse pas entendre ce qu’on dirait de lui, après.

Lathelennil s’est bien battu. Il était certes bicolore et finalement indocile, mais c’était un excellent pilote. Cela, on ne pourra pas le lui enlever.

« Brèche dans le réacteur, clignota un glyphe énorme devant son nez. Nécessité d’abandonner le cair absolue. »

Rhaenya était hors d’état de marche, le système holographique avait pris le relais. Excédé, Lathelennil chassa le glyphe rougeoyant d’un geste agacé de la main, et se recentra sur le pilotage.

Abandonner le cair ? Jamais de la vie. Il était le prince d’une race fière et sauvage, des anges déchus sans pitié ni regret. Tant pis. Il allait mourir aux commandes.

Il se surprit à penser à Caëlurín, son neveu par l’alliance et par le sang. Comme lui, le jeune perædhel était un pilote né, fait pour arpenter l’Océan des étoiles, déployer ses ailes dans la Voie Lactée. Pourquoi pensait-il à lui, lors de ce moment ultime, plutôt qu’à son propre fils, celui pour qui il s’opposait à ses frères et cousins ? Non. Ce n’était pas pour lui. C’était pour Rika, bien sûr, qu’il faisait cela. Pour Rika, qui serait si malheureuse si elle perdait l’un de ses enfants.

Cela aurait dû lui amener de la satisfaction, du plaisir, même, de savoir Rika triste. Mais, pour la première fois, Lathelennil réalisa qu’il n’aimait pas voir l’humaine souffrir. Oh, certes, il aimait bien lorsqu’elle serrait les dents lorsqu’il faisait montre de sa passion avec un peu trop de vigueur et d’empressement. Et il aurait bien aimé goûter son sang. Mais il ne voulait pas la savoir malheureuse. Surtout pas.

En face de lui se dressait la tour la plus haute d’Ymmaril, Nazhargd-dun, la Tour d’Obsidienne. C’était la première chose que le Ténébreux avait fait sortir du sol, lorsqu’il était descendu du firmament. C’était là où se trouvait Fornost-Aran présentement.

Il n’y avait pas à tergiverser. Une fois de plus, Lathelennil agit impulsivement. Poussant à fond sur le manche, il se dirigea droit sur la tour.

*

De la baie derrière son vaisseau, assis au poste de pilotage, le visage sombre, Aëluin vit son frère mettre plein gaz sur Nazhargd-dun. Ses traits restèrent indéchiffrables. Sur son faciès marmoréen, seuls ses yeux abyssaux brillèrent étrangement, deux billes sombres sur le marbre. Ses longs cheveux d’un blanc polaire étaient détachés, comme il se doit à la guerre. Ils pendaient sur le glacis noir de son armure comme la cendre nucléaire sur les débris d’un bâtiment de chasse.

Adieu, grand-frère, pensa-t-il en voyant le cair de Lathelennil disparaître dans la Tour d’Obsidienne. Puisse Amarrigan nous accorder une autre chasse ensemble, dans de meilleures circonstances cette fois.

*

En contrebas, plus loin, deux cír luisant comme des carapaces de scarabée prirent leur envol. C’étaient ceux de Ialiel et d’Asdruvaal Niśven. L’un devait rester arrimé sur le Ráith Mebd, quelques cycles plus tard ; le vaisseau-monde, rendu furieux par la colère de son enfant chérie, lui ayant refusé le décollage. Celui de Ialiel allait par la suite faire le grand saut dans le Soleil Noir, le portail de Dorśa.

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