De jour jamais tu ne chemineras : IV

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Amryliw refit son apparition dans la nuit. Ou plutôt, Lalaith le sentit. Elle perçut sa présence en s’éloignant du camp pour aller faire ses besoins avant de reprendre la route, et, captant son odeur, elle se figea, à la bordure d’une rangée d’arbres.

— Je sais que vous êtes là. Montrez-vous.

La silhouette de l’aisteor se détacha lentement de l’arbre à sa droite. Il avait un don pour le camouflage, c’est certain.

— Pourquoi ne vous montrez-vous qu’à moi ?

Elle le vit ouvrir ses grandes mains en signe d’impuissance.

— Je ne veux pas perturber votre expédition. On m’a dit de vous suivre sans me montrer… Et puis, vous êtes la cheffe, non ?

Lalaith apprécia que ce comédien-guerrier d’un certain âge la vouvoie.

— C’est exact, dit-elle en redressant inconsciemment les épaules. Comme je me suis portée volontaire, mon père m’a appointée responsable de cette expédition.

Lalaith vit Amryliw s’accroupir sans un bruissement. Elle sentit qu’il souriait.

— Un commandant de cair charismatique, votre père, observa-t-il avec respect. On dit que son aïeul était filidh ?

— Son géniteur, Śimrod Surinthiel, est né dans une troupe de filidhean, mais il était sidhe, comme Père, corrigea Lalaith.

Le visage à demi dissimulé du barde se fit plus pensif.

— Ah, je vois. Et donc, obligé de servir de reproducteur à tout un clan, c’est cela ?

Lalaith fronça les sourcils.

— Pourquoi dites-vous une telle chose ?

— Tu as dit géniteur, pour parler de ton grand-père Śimrod.

Il s’était mis à la tutoyer. Mal à l’aise, Lalaith fit un léger pas en arrière. Tout petit, imperceptible.

— C’est ainsi que cela fonctionne, dans les grandes maisons, crut-elle bon d’expliquer.

— Mais pas dans la tienne, n’est-ce pas ? Ton père n’est le mâle que d’une seule femelle : ta mère.

— Nous ne sommes pas une grande maison, objecta Lalaith, méfiante. Contestez-vous cette coutume ? Les mâles présentant des qualités doivent appartenir à toutes les femelles…

Lalaith s’était faite plus hésitante. Amryliw s’était relevé. Il le regardait, menton baissé, la dominant de toute sa hauteur. C’était probablement l’ædhellon le plus grand devant lequel elle ne s’était jamais tenue. À bord de l’Elbereth, il lui avait paru beaucoup moins impressionnant.

— C’est ce que tu penses ?

La jeune perædhelleth n’avait jamais réfléchi à cette question. Jamais elle n’avait songé aux mâles.

— Je ne sais pas…, hésita-t-elle.

— Tu accepterais, si tu aimais un mâle, de devoir le partager avec d’autres femelles ?

Lalaith secoua la tête avec véhémence.

— Non. Je n’accepterais pas.

— Alors, tu as ta réponse, répondit le rusé troubadour en haussant les épaules.

Il lui tourna le dos, et fit mine de s’enfoncer dans la forêt à nouveau. Lalaith le regarda s’éloigner, les bras ballants. L’espace d’une courte seconde, elle eut envie de le rappeler, de lui demander de cheminer avec elles. Mais elle était trop fière pour lui avouer que, finalement, elle avait décidé de suivre son conseil, et de marcher de nuit. Alors, elle tourna le dos à son tour et s’éloigna dans la direction opposée, vers le camp.

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