De jour jamais tu ne chemineras : I

3 minutes de lecture

Lalaith garda les yeux fixés sur l’astre rougeoyant, énorme, qui montait au nadir. Shëol s’approcha d’elle.

— Tu crois que c’est une lune, ou un soleil ? demanda sa sœur en plissant ses petits yeux rouges.

— Une lune, répondit Lalaith de sa voix douce. C’est l’une des trois lunes d’Æriban. L’une des trois lunes qui, durant des millions d’années, a éclairé les nuits de nos ancêtres.

Puis elle se tourna vers sa sœur.

— Va monter la tente, Shëol. Appelle Shelwë.

La petite reine redressa le menton. Elle était très fière de ce titre honorifique, qui n’était octroyé qu’aux femelles ældiennes nées avec deux paires d’yeux. Il sembla même à sa sœur qu’elle écartait un peu les bras, à la manière d’une arachnide menaçante.

— Ne nous commande pas ! siffla-t-elle.

Lalaith la considéra calmement.

— Il a dit que je serais à la tête de cette expédition, Shëol.

Il ? Qui ça ? Si ce n’est pas Premier-Père qui l’a dit, cela n’a aucune valeur !

— Premier-Père l’a dit, ainsi que Maître Amryliw.

— Le vieux barde ?

— C’est un honorable aisteor. Il est là pour nous aider.

— C’est qu’un vieux mâle sénile. J’ai entendu Mère l’appeler ainsi !

— Ne discute pas. Va aider Shelwë à monter la tente.

Shëol parada ainsi pendant quelques instant, ses bras soulevés comme si elle avait des ballons gonflés à l’hélium dessous. Puis elle battit en retraite. Lalaith la regarda s’éloigner, comme un petit nuage chargé de colère électrique.

— Si vous acceptez le conseil d’un vieux sénile, comme dit votre mère… fit une voix derrière elle. Je vous suggère de commencer à cheminer maintenant, et de vous reposer pendant la journée. Vous monterez la tente plus tard.

Lalaith se retourna. Une haute silhouette venait de sortir de l’ombre. C’était Amryliw. Dès leur arrivée sur Æriban, il s’était volatilisé comme le vent, mais depuis, il les suivait de loin.

— Pourquoi ? demanda Lalaith, un peu vexée de ne plus être l’autorité suprême de cette expédition.

L’adulte croisa les bras sur son torse. Ses mouvements firent miroiter les écailles sur sa combinaison, même dans le noir.

— Regardez-votre petite équipée, fit-il en désignant du menton les trois femelles qui s’activaient autour de la tente donnée par leur mère. Vous êtes deux sil-illythirii, et toutes de lignée dorśari. Parmi vous quatre, une seule seulement supporterait les rayons écrasants du soleil d’Æriban : la petite Elarya. Il vaut mieux que vous cheminiez de nuit.

Le visage n’exprimant aucune émotion, Lalaith considéra le vieil ældien.

— Vous êtes déjà allé sur Æriban ?

— Moi ? Non. Si c’était le cas, je n’aurais pas pu descendre avec vous. C’est la première fois pour moi… Comme pour vous toutes.

— Alors comment savez-vous, pour le soleil d’Æriban ?

Le rire d’Amryliw résonna. Il parut à Lalaith moins clair que sur le cair de ses parents.

— Bonne question. Vous êtes loin d’être bête…

— Je ne fais que vous demander d’où vous tenez vos informations. Comme lorsque vous avez présumé que j’étais une dorśari : ce qui est faux.

— Vous êtes la fille de Lathelennil Niśven, lui rappela le barde avec un sourire dentu, tout un pointant un doigt long et griffu sur elle.

Son bras droit était toujours collé contre son torse, la main cachée sous son aisselle.

— Vous présumez encore. Je suis la fille d’Ar-waën Elaig Silivren et de Lathelennil Niśven. J’ai deux pères. Ne voyez-vous donc pas que je suis bicolore ?

— Lathelennil aussi est bicolore, il me semble, objecta Amryliw.

— Encore faux. Ses deux yeux sont noirs. Sa robe devrait être noire. Si une moitié de ses cheveux est blanche, c’est un accident de parcours, pas une véritable bichromie.

Le mâle finit par décroiser les bras, et il regarda le sol. Il avait compris le message.

— Très bien… Je vais vous laisser faire votre propre expérience.

— Oui. Cela vaut mieux. N’intervenez que si c’est vraiment nécessaire.

— D’accord, concéda-t-il, aimable.

Et il disparut, s’évanouissant littéralement dans le noir des arbres.

Lalaith resta un instant debout, à regarder l’endroit où il se tenait et avait disparu. Puis elle alla rejoindre ses sœurs et les aider à monter la tente.

Annotations

Vous aimez lire Maxence Sardane ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0