Mission de secours : I

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— Alfirin, fit la voix autoritaire de la femme-wyrm. Laisse-moi m’en occuper.

D’une main douce, mais ferme, Elbereth repoussa Ren de la console de navigation. Je vis ce dernier se raidir, mais il obtempéra sans rien dire. Avec humeur, il agita son panache derrière lui, puis battit en retraite.

— L’Elbereth à bâtiment, annonça cette dernière en empruntant la voix de sa compagne, l’IA de bord, Dea. Laissez-nous passer. Nous sommes en route pour une affaire urgente qui ne souffre aucun retard, et mon commandant m’a donné l’ordre de tirer si vous ne rompez pas votre formation immédiatement. Il s’agit d’une sommation. Je vous précise au passage que notre cair est armé d’un collisionneur CERG.

— Envoie-lui une charge de plasma, lui intima Ren sombrement. On n’a pas de temps à perdre.

Dea tourna son œil céruléen vers lui.

— Il s’agit de vaisseaux républicains, mon commandant, lui rappela-t-elle.

Ren se crispa.

On n’a pas de temps à perdre, répéta-t-il sur un ton plus impérieux. S’ils ne dégagent pas la voie dans trois secondes, je les pulvérise !

Heureusement, les bâtiments devant nous rompirent leur barrage. Ils avaient reconnu l’Elbereth. Je pris la grande main de mon époux, et la serrai brièvement, mais fortement.

— Tout va bien se passer, Ren, lui murmurai-je autant pour le rassurer que pour me rassurer moi-même. J’ai confiance en eux.

Le susnommé baissa le nez, avant de me jeter un regard rapide. Je savais qu’il se faisait violence pour ne pas exploser.

Depuis ce terrifiant appel qu’il avait reçu de notre fille Cerin, Ren ne tenait pas en place. Il m’avait tirée du lit en pleine nuit, me sortant de ce demi-sommeil nébuleux dans lequel j’avais réussi tant bien que mal à noyer mon angoisse. Nous n’avions plus de nouvelles de Caëlurín, et ni les Manami ni les Dibate n’arrivaient à joindre leurs enfants. Cela, ajouté au silence de Lathelennil… De toute façon, depuis l’annonce de l’existence de Ciann, ce sixième petit qu’on m’avait pris au berceau, je pressentais que quelque chose de funeste allait arriver.

Je m’étais sortie de mes cauchemars inquiets pour voir Ren debout devant notre lit, cette nuit-là. Il portait son armure. Droit et immense, telle une fantastique créature de fer noir. Ses longs cheveux blancs, qu’il portait pourtant nattés serré depuis la mort de son père, pendaient librement jusqu’à ses reins.

— Debout, m’avait-il dit. On décolle.

Je l’avais regardé sans vraiment comprendre.

— Quand ?

— Maintenant.

Et Ren avait déterré l’Elbereth. Il avait mis toute sa famille dedans : ses enfants, son troupeau, le chien, la wyrm… même notre maison, qu’à ma grande surprise il avait envoyés d’une pichenette dans la cale terraformée où s’ébattaient les carcadann (« On la mettra ailleurs plus tard, avait-il dit aux enfants qui s’ébattaient en s’égosillant. Allez prendre vos quartiers dans votre cabine. »). Le chapitre Pangu était bel et bien terminé.

Ren était passé en mode guerre. Et je savais que rien ne pourrait le calmer avant qu’il n’ait oblitéré quelque géoformation, ou tué quelqu’un.

Nous nous étions beaucoup interrogés sur la marche à suivre. Fallait-il d’abord aller s’enquérir de Lathelennil à Dorśa, ou se rendre sur Æriban, là où notre fille avait contacté son père ? Ren était tellement furieux qu’il voulait « atomiser Ymmaril » sans attendre. Mais je lui avais rappelé la priorité : nos enfants. Même Lathelennil m’en aurait voulu d’aller d’abord le chercher lui, avant nos petits.

— Lathé est soit enfermé quelque part, ou bien déjà mort, lui avais-je annoncé calmement. On ne peut rien pour lui pour l’instant. Allons chercher nos gosses.

Ren avait donc mis le cap sur Æriban. Il aurait pu y aller sans nous, bien sûr, mais il refusait de nous laisser seuls, à présent que Dorśa avait hissé haut ses couleurs.

— Plus jamais je ne permettrai à ma famille d’être éparpillée, avait-il déclamé. Et plus jamais je ne permettrai à quiconque de toucher à ma famille. J’ai déjà perdu mon père à peine retrouvé, c’était bien assez.

Suite à cette profession de foi, il avait embarqué tout le monde. On devait le suivre. Tous. D’abord, le sauvetage de nos mômes, et de ceux de nos voisins humains. Puis celui de Lathelennil. En dernier lieu viendrait la « juste rétribution », la punition que méritaient les dorśari pour s’être attaqués à nos enfants et à leurs amis. Ren avait même envoyé un message, laconique et menaçant, à Mana, sa sœur et mère de sa première portée.

— J’ignore dans quelle mesure toi et ton Uriel trempez dans les ignominies fomentées par Fornost-Aran. Je me fiche totalement de ses plans, mais là, il s’est attaqué à mes enfants. Dorśa va devoir se préparer à affronter ma colère. Si tu tiens à la vie, quitte Dorśa, avait-il dit à sa sœur.

Puis il avait coupé la communication, empêchant Mana de répondre. Il était si furieux qu’il refusait de lui parler.

— Je pourrais dire – ou faire – quelque chose de regrettable, avait-il grogné lorsque je lui avais demandé une explication.

Pour ma part, je pensais que tant qu’à contacter Dorśa, il valait autant essayer d’en savoir plus. Mais Ren refusait de discuter : il appelait cela « négocier ».

— Et je ne négocie plus. Ils paieront pour ce qu’ils ont fait, voilà tout.

— Mais ils sont au courant, désormais, avais-je dit à Ren.

— Qu’ils s’arment, alors, avait-il répliqué. Et qu’ils tremblent. Rien dans l’univers n’arrêtera ma colère. Tout va dépendre de l’état dans lequel je retrouverai les petits. S’ils ont souffert… Ou pire… Alors, on peut considérer que Dorśa n’existe déjà plus.

J’étais en colère, moi aussi. Mais surtout inquiète. Et inquiète pour Lathé, également. J’avais peur que ses frères lui fassent encore plus de mal, qu’ils se servent de lui comme otage.

— Lathelennil est un dorśari, m’avait expliqué Elbereth. Quoi qu’on lui fasse, il saura supporter et endurer. Et il préférera mourir qu’être une faiblesse pour vous. Ne t’inquiète pas de lui : ne pense qu’à tes enfants. Alfirin a raison, là-dessus. Toi-même, n’aie pas peur de les considérer comme une priorité.

Et c’en était une.

Jusqu’à Sibalba, le voyage s’était déroulé sans incident (si l’on met de côté, bien sûr, ce barrage républicain à la sortie du système de Pangu, vraisemblablement alerté par la population à la vue d’un vaisseau ældien. Depuis quelque temps, les dorśari faisaient beaucoup de ravages, et cette silhouette était malheureusement devenue familière, et un bien triste présage). L’Elbereth franchit le trou noir sans encombre, avec une expérience éprouvée. Mais la vue de l’astronef que nous avions offert à notre fils, qui stationnait dans le vide en tournoyant lentement sur lui-même, nous serra le coeur. En silence, le visage inexpressif, Ren observa les flancs rouillés du vaisseau qui apparaissaient sur la baie : dans l’Ethereal, le temps s’écoulait autrement, et il semblait bien que des siècles se fussent passés depuis la disparition de Caëlurín.

— Elle aura réussi, finalement, murmura Ren d’une voix atone. La Ténèbre. Elle aura réussi à me prendre mes enfants.

— Tu parles de Shemehaz ? murmurai-je.

Ren garda un silence éloquent.

Lorsque le nom du vaisseau, l’Amanokawa-maru, apparut devant nous, avec sa peinture écaillée et le dessin d’une pin-up hawaïenne abritée sous un parapluie huilé, son sourire à moitié mangé par la corrosion du vide stellaire, je m’écroulai en larmes dans les bras de mon mari.

Ce dernier referma ses bras protecteurs sur moi. Comme dans tous les pires moments de ma vie, je m’y réfugiais, au calme, pour pleurer. Ren avait cela de bien qu’il n’essayait pas de me dire de me calmer, ou de me mentir en disant que tout irait mieux bientôt. Il ne disait rien et me laissait pleurer. Mais il était là, solide comme une montagne, une ancre, un amer paysager pour la voyageuse éprouvée par la tempête que j’étais.

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