Prologue : la Bête

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Essoufflé et écrasé par le poids de son armure, l’homme arriva enfin en haut. Ici, l’air était plus frais que dans les sphères basses parmi lesquelles il évoluait. Plus frais, et plus dense aussi. L’ascension avait été plus dure qu’il ne l’aurait cru. À cause de l’oxygène, trop rare. Et glacial, râpeux.

Avisant un rocher, il s’y assit le temps de reprendre son souffle. De ce promontoire, la vue était spectaculaire. Yrion baissa la tête et tenta de retrouver le chemin dans la jungle qu’il venait de traverser. Il apercevait la lande en contrebas, et plus loin, le marais. Le portail dimensionnel devait en toute logique se trouver au-delà, avant la forêt. C’était par là qu’il était arrivé. Il avait affronté mille dangers pour se retrouver ici : bêtes sauvages, insectes suceurs de sang… et cet soleil étrange et brûlant qui baignait tout dans une aube sans fin. Mais il était un mercenaire. Un champion mandaté pour accomplir une quête, aussi lucrative que glorieuse.

Le soldat passa la chevelure trempée et, replaçant son arme sur son dos puissant, il se leva. Les planteurs d’Uria, la planète où menait ce portail, lui avaient dit que beaucoup de preux de sa trempe étaient morts ici, dans ce monde suspendu dans un éternel présent. La bestiole constituait un ennemi des plus redoutables. C’était, paraît-il, un saurien énorme, blanc comme une nuit boréale. Et cruel comme elle. Les ossements jaunis des innombrables anonymes qui avaient tenté de l’éliminer étaient visibles jusque dans la plaine en contrebas, éparpillés parmi les pièces d’armure rouillées venues des quatre coins de l’univers. Certains visages marrons et parcheminés portaient encore la trace de l’intense terreur qui les avaient pris, au moment ultime. Leurs orbites vides, leurs chicots rongés, étaient là pour témoigner de la férocité de la créature. Souvent, elle n’avait même pas pris la peine de les manger. On disait qu’elle préférait d’autres proies.

Yrion resserra la sangle qui barrait son torse nu et musclé. La différence entre lui et les autres, c’est que lui était un nettoyeur de wyrms. C’est pour cela que les gens d’Uria lui avaient parlé de cette quête. Des dragons, il en avait déjà tué avec succès, et pas qu’un peu. Celui-là était blanc et particulièrement vicieux, certes. Mais cela ne l’empêcherait pas d’en venir à bout. Et alors, il remporterait le prix : la psionnique aux yeux de nuages.

Cette captive mythique que l’animal diabolique détenait était, d’après la légende, d’une beauté à couper le souffle. Sa peau avait la couleur du lait frais. Ses cheveux, ceux du bois profond, poli et lustré. Ses yeux étaient d’un bleu pâle et mystérieux, qui évoquait les sphères célestes. Sa bouche appelait le baiser, ses courbes, les caresses. Mais surtout, elle avait la capacité de prédire l’avenir, et possédait un utérus organique en état de marche, ce qui n’existait plus sur Uria. Précieuse et désirable, elle attendait le preux qui saurait la délivrer du dragon et de sa virginité du même coup. Pour l’instant, captive de l’immonde bête, elle vivait une semi-existence presque immortelle, figée pour toujours dans les limbes sans temps ni plaisir du wyrm.

Yrion savait qu’il aurait bientôt à affronter les deux gardiens de l’épreuve, avant le dragon lui-même : deux âmes damnées d’un espace-temps oublié, dont l’un n’était pas humain. Il avait préparé ce qu’il fallait pour les défaire : des munitions renforcées à la poudre de fer jamais passé au feu pour l’un, le non-humain, et une bonne provision de plasma brûlant pour l’autre. Ces deux substances permettraient de les faire disparaître. Alors, il ne resterait plus que la bête.

Il était quasiment arrivé au sommet. Il y était presque. Mais le dernier éperon – où, d’après ce qu’on lui avait dit, gîtait le wyrm – était encore à 500 mètres au-dessus de lui : il lui fallait de nouveau s’élever. Or, cet éperon était un véritable mur, inaccessible. Mais il pouvait le contourner en effectuant une traversée, ce qu’il fit.

Cette traversée était peu technique, mais hasardeuse. Une sorte de chemin existait, mince comme un cheveu de femme. Si on le surprenait ici… Il aurait du mal à tenir ses positions. La main appuyée contre la paroi rocheuse, qui, légèrement bombée, l’obligeait à se déverser le haut du corps vers le vide, il évita avec soin de laisser ses yeux errer sur l’abime vertigineux en dessous de lui. Deux pas, encore un… Il était passé. Soulagé, Yrion déboucha sur une petite plateforme, menant à un chemin entre deux rochers qui évoluait vers le sommet. Celui-là était moins exposé que le précédent. Il l’emprunta sans hésiter.

Alors il vit l’homme. Les cheveux immensément longs, et d’un blanc de neige, qui reflétaient la lumière du soleil au point de faire cligner les yeux d’Yrion, il dardait son regard de mercure miroitant sur lui. Des yeux de foudre, aussi pétrifiants qu’un orage. Sa peau était comme le bronze, aussi polie qu’un bouclier de guerre. Les mèches brasillantes retombaient jusqu’à ses chevilles, et deux immenses ailes blanches étaient repliées sur sa nudité. Cette taille immense, cette silhouette longiligne et anguleuse... Yrion sut tout de suite qu’il ne s’agissait pas de l’un des deux acolytes. C’était le wyrm. Par le truchement de quelque épouvantable maléfice, il avait pris une forme d’homme. Un homme à l’apparence aussi divorcée de l’humanité qu’on pouvait s’y attendre.

Yrion s’empara immédiatement de son épée dans son dos. Il la brandit devant lui, menaçant.

— Je suis venu te défier, Avakel, récita-t-il. Et clamer la femme que tu gardes captive dans ton antre. Soumets-toi ou bats-toi !

Alors, la créature déploya ses ailes immenses. Elle sembla enfler et doubler de volume. Juste avant qu’elle ne change de forme, Yrion eut le temps d’apercevoir une blessure dans son ramage. Une pointe de flèche, soigneusement plantée à la jointure supérieure. De son épée, il frappa de toutes ses forces dessus, l’enfonçant un peu plus. Il vit brièvement la créature plisser les yeux, puis elle changea. Et alors le dragon fut sur lui.

Il était encore plus immense – et mille fois plus terrible – que tout ce que les légendes pouvaient raconter. Mais Yrion n’eut pas le loisir de le conter. Avakel ouvrit grand sa gueule, et le rôtit dans son armure.

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