Chapitre 16

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Le temps passait et je n’arrivais plus à me convaincre du contraire. Seule dans ma cellule, frigorifiée et épuisée, je n’arrivais plus à réfléchir correctement. Dans ma tête, tout se mélangeait tel un capharnaüm. Je suis un monstre, je ne le suis pas. Véra m’aime, elle ne m’aime pas. Elle va me sortir de là, elle ne viendra jamais. Impuissante, une larme coula dans mon cou malgré mon bandeau. Ma robe était lourde, comme si elle portait toute les pensées impures que j’avais pu avoir depuis que j’étais ici.

Finalement, Margot avait raison. Mon amitié avec l’Impératrice n’aurait jamais dû avoir lieu. Mes sentiments pour elle étaient faux, indécents, contre nature et pervertis. J’avais faim, soif, sommeil mais la seule chose qui me venait en tête, c’est que j’étais un monstre. C’était de ma faute si l’Impératrice s’était éprise de moi et encore de ma faute si je l’avais détournée du vrai mariage. Plus jamais je ne pourrais la regarder dans les yeux sans voir le monstre que j’étais devenue.

Quand on me libéra enfin de la chaise, se fus pour me remettre les menottes de fer et enlever mon bandeau ainsi que le tissu dans ma bouche. Même s’il n’y avait pas beaucoup de lumière dans ma cellule, le peu m’aveugla, amplifiant mon mal de tête qui s’était formé à cause de toutes mes pensées. Une sorte de baignoire m’attendait dans un coin de ma cellule. Margot me fit m’allonger dedans, habiller. L’eau était glacée, à nouveau.


— Le démon est en toi, tu dois être purifiée avant ton exécution.


Elle retroussa ses manches et appuya sur mes épaules pour immerger ma tête sous l’eau. Ne pouvant plus respirer, j’essayais de me débattre en vain. Mes menottes m’empêchaient de m’accrocher à quoi que ce soit. Elle était beaucoup plus forte que moi, malgré son veille âge. Quand je me sentis partir, toute force m’abandonnant, elle me sortit de l’eau et vida la baignoire sur moi. Cherchant à reprendre de l’air, je toussais, crachant mes poumons qui me brûlait. Pourquoi ne m’avait-elle pas laissé me noyer ? Je ne méritais que ça et nous le savions toutes les deux.

N’ayant plus aucune force, pas même celle de tenir sur mes jambes, deux gardes m’empoignèrent par les bras pour me sortir de ma cellule. Des larmes coulèrent quand les paroles de Margot me revinrent en mémoire. J’allais être exécutée, pour avoir embrassé une femme. Pour avoir aimé l’Impératrice. Une porte s’ouvrit, la lumière m’aveugla et je baissais la tête, mes jambes traînant derrière moi. Les gardes devaient me porter. Autour de moi, les cris et les insultes m’assourdissent, indiquant une exécution publique. Que penserait ma mère en me voyant là ? Que penserait ma sœur ? J’aurais dû les écouter, elles m’avaient prévenue de ce qui allait m’arriver. Quand ils me lâchèrent enfin, j’atterris à plat ventre, sur mes poignets, ce qui me coupa la respiration.


— De quoi est-elle coupable ?

— Qu’importe ! Ce démon sera pendu d’une seconde à l’autre !


On me releva pour m’approcher d’une corde que je voyais désormais. Un sourire démonique sur les lèvres, Margot me passa la corde au cou. J’étais toujours soutenu par des gardes. Ils leur auraient suffi de me lâcher pour que la corde mette fin à mon supplice.


— Ce n’est qu’une enfant !

— Relâchez là !

— Démon ! Tuez là !


Criaient ceux qui vont assister à mon exécution. Pourquoi certains prenaient ma défense ? J’étais un monstre, je ne méritais que de mourir. Ma vue se brouilla par les larmes.


— Je vais enfin me débarrasser de toi. Tu n’es qu’une gamine insignifiante, personne ne réclamera vengeance ou même ton corps. Pas même ta misérable famille. Bourreau, c’est à vous.


Je relevais la tête, pour voir une dernière fois ce palais qui m’avait fait revivre et qui pourtant avait aussi signé mon arrêt de mort, alors que je n’étais même pas majeur. À ma gauche, j’entendis le bourreau tirer sur la barre qui allait ouvrir la trappe sous mes pieds. Pourtant, au loin, je vis l’Impératrice apparaître. Pour son bien, elle devait me laisser mourir. Elle se marierait ensuite avec un homme et aurait des enfants. En restant en vie, je l’empêchais de faire son devoir d’Impératrice.


— Arrêtez ! cria-t-elle, faisant taire tout le monde et accélérer mon cœur.


Je fermais les yeux, laissant mes larmes couler de plus belle alors que mon propre corps ne m’écoutait plus. Au simple son de sa voix, mon cœur s’était accéléré alors qu’il n’aurait pas dû. Elle ne pouvait pas prendre ma défense, elle devait me laisser partir. Si elle n’avait pas été Impératrice, ils l’auraient exécutée avec moi. Si elle avait eu un héritier, ils l’auraient exécutée avec moi. J’étais un monstre, possédée par le mal. Elle devait m’oublier et passer à autre chose.


— Majesté, reprit la voix remplie de haine de Margot, cette fille est coupable de haute trahison. Vous ne pouvez rien faire.

— Aucun jugement n’a eu lieu, Margot ! Tu ne peux pas l’exécuter sans preuve ni procès. De toute façon j’ai signé un document officiel. Élia est désormais sous ma protection. Quiconque lui fera du mal sera sévèrement puni. Maintenant, relâchez-là.

— Majesté…

— C’est un ordre !


Non ! Elle ne pouvait pas faire ça. Je n’étais rien, un monstre possédé par un démon. Elle ne pouvait pas me laisser en vie, je devais payer pour mon crime. Pour avoir osé l’aimer et l’embrasser. Je devais payer pour avoir commis l’erreur de la regarder, pour m’être laissé submerger par mes pensées abjectes, par mes désirs indécents. Ma mort, tel était ma sentence. Pourtant quand on enleva la corde d’autour de mon cou, quand mes poignets furent libérés, je respirais à nouveau. Je gardais toujours la tête baissée, je ne pouvais pas la regarder.


— Vous deux, ramenez là dans ma chambre. Quant à vous, aucune exécution n’aura lieu aujourd’hui, rentrez chez vous !


Ne pouvant toujours pas marcher, l’un des gardes qui m’avaient amené ici me prit dans ses bras pour me raccompagner jusqu’à la chambre de l’Impératrice. Elle m’avait sauvée alors que j’étais un monstre.


— Posez là sur mon lit et allez me chercher le médecin.

— Majesté, vous ne pouvez pas…

— Tu es virée, Margot ! T’en prendre à une enfant et surtout à elle, tu as dépassé les bornes !

— Vous n’avez pas le droit ! L’amour qu’elle vous porte est criminel !

— Plus maintenant ! Dès demain je remets en place la loi qui l’autorise, celle que tu as supprimée. Tu as une heure pour ramasser tes affaires et disparaître. Et ne parle à personne de ce qu’il y a entre Élia et moi où c’est toi qui finiras la corde autour du cou. Me suis-je bien fait comprendre ?

— Oui, Votre Majesté.


Allongée sur le lit de l’Impératrice, j’avais de plus en plus froid. Ma robe gorgée d’eau et gelée ne m’aidait pas à me réchauffer. Devant mes yeux, un voile m’empêchait de voir quoi que ce soit. Je fermais les yeux et rapprochais mes genoux de ma poitrine.


— Tout va bien, mon ange, je suis là maintenant, commença Véra en me serrant dans ses bras.


Sa voix provoquait en moi une tempête de contradiction. Rassurante, elle me donnait envie de me réfugier dans ses bras. Pourtant, je savais que je n’en avais pas le droit. Je voulais m’éloigner d’elle, la repousser mais je n’y arrivais pas. J’étais trop fatiguée pour ça. Quand elle enleva ma robe, je me laissais faire. Je n’avais qu’une envie, fermer les yeux et m’endormir pour ne plus jamais me réveiller. Une vingtaine de minutes plus tard, vêtu de ma tenue de sport que Margot détestait tant, le médecin arriva dans la chambre.


— Elle est en hypothermie, en sous-nutrition et en état de choc, expliqua-t-il après m’avoir examiné. Combien de temps a-t-elle été enfermée ?

— Ça fait une semaine qu’elle… une semaine, docteur.

— Réchauffez là avec un bain, mais pas trop chaud. Je vais demander à ce que vous apporte de la nourriture et que quelqu’un vienne vous aider. Pourquoi a-t-elle été emprisonnée ?

— Pour… pour avoir aimé une femme.

— Dans ce cas, laissez-lui du temps. Je sais ce qu’ils font à… ce genre de personne depuis la loi. Je n’aimerais pas être à leur place.

— Merci.


Dès que la porte fut refermée, je sentis ses bras s’enrouler autour de moi pour m’aider à me relever. Prenant appui sur elle, je fis quelque pas jusqu’à la salle de bain avant de m’écrouler. Blottie contre sa poitrine, j’entendis l’eau couler dans la baignoire, en même temps que mes larmes.


— C’est pas vrai, Mademoiselle Élia, s’exclama alors une voix féminine. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

— Qu’importe Sandra, aidez-moi à la mettre dans le bain.

L’eau tiède me parut extrêmement chaude. Mes bras autour du cou de Véra, je ne parvenais pas à me détacher d’elle, pas après que Margot ait essayé de me noyer.

— Tout va bien Élia, tout va bien, je suis là.


Quand je réussis enfin à être rassuré, je me détachais et la laissais faire, perdu dans mes pensées. J’étais redevenu le même légume que j’avais été après la disparition de ma sœur. J’avais envie de serrer Véra dans mes bras, de me blottir contre elle et pourtant, je savais que je n’en avais pas le droit. Je savais que je l’aimais et que c’était un crime. C’était pour ça que Margot avait voulu me condamner à mort.


— Ma dame ?

— Oui Sandra ?

— Je parle au nom de tous les domestiques mais si vous avez besoin de quoi que ce soit pour Mademoiselle Élia, dites-le-nous. Nous l’aimons beaucoup et nous avons tous été terrifiés d’apprendre que votre dame de chambre voulait la faire exécuter. Élia est si gentille avec tout le monde.

— Ce n’est plus ma dame de chambre mais je vous remercie. Élia compte beaucoup pour moi aussi.

— Savez-vous pourquoi elle a voulu l’exécuter ?

— Oui mais c’est entre elle et moi seulement.

— Je comprends. Il y a un panier de fruits dans votre chambre. Avez-vous encore besoin de moi.

— Reviens dans une heure.

— Bien, Ma dame.



J’entendis la porte de la salle de bain s’ouvrir puis se refermer. Ma tête à moitié immergée dans l’eau, je fixais le plafond. J’étais aussi vide qu’une coquille.


— Je suis désolée, mon ange, c’est de ma faute. Je savais que nos lois nous interdisaient de nous aimer et j’ai quand même continué. Mais tout va changer maintenant, je te le promets.

Je restais dans ce bain pendant une heure. Régulièrement Véra enlevait l’eau pour en remettre plus chaud, pour me réchauffer petit à petit.

— Majesté ?

— Ah, Sandra, entre. Tu vas m’aider à la sortir de là.

— J’ai ramené une robe propre.

— Tu as bien fait.


Quand je sentis des bras passer sous moi, les miens s’enroulèrent automatiquement autour du cou de Véra. Je fermais les yeux. Je ne voulais pas la voir, ça faisait trop mal. Mais en même temps, dans ses bras j’étais rassurée et en sécurité.


— Dis-moi Sandra, tu travailles bien en cuisine ? lui demanda-t-elle en passant une serviette autour de moi.

— Oui, Ma dame.

— J’aurais besoin d’aide pour m’occuper d’Élia. Accepterais-tu de devenir ma demoiselle de chambre temporairement ? Le temps qu’Élia aille mieux.

— Oui, Ma dame, si c’est ce que vous voulez.

— Merci Sandra. Aide-moi à lui mettre sa robe de nuit et à la coucher, tu iras chercher tes affaires ensuite. Et annule tous mes rendez-vous au passage.

— Bien Madame.


Véra m’aida à mettre ma robe de nuit et me coucha dans son lit, à la place de la dame de chambre. Elle remonta la couverture sur mes épaules, je fermais les yeux et m’endormis pratiquement aussitôt. Trop épuisée mentalement et physique pour faire quoi que ce soit d’autre.

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