2

5 minutes de lecture

L’aube. Déjà les premiers rayons de soleil apparaissaient à l’horizon d’une journée pleine de promesse.

À peine avais-je eu en tête une seule idée claire, celle de prendre conscience de ma nudité en plein milieu d’une clairière du nom de « paradis », que les paroles d’une chanson enfantine me parvenaient jusqu’aux oreilles. Il s’agissait de « À la claire fontaine » chantée, non loin de moi, par Jiznée.

Elle était nue, accroupie, une main posée sur le sol, l’autre en poing sérré, sur ses genoux.

J’étais saisi par sa voix, teintée d’une douleur profonde, qui sans que je le comprenne avait surgit en elle comme un désespoir abyssal. Elle chantait sur un ton macabre et inquiétant avec un zeste de mélancolie. À l’écouter, j’avais des frissons.

Quel appel au secours allait-elle me lancer cette fois-ci ? Pourquoi m’avoir choisi afin de la désirer si intensément que même son amour pour moi n’avait en soi aucune logique ? Que me réservait-elle encore ?

Augurant le pire des scénarios, je m’approchai d’elle en posant ma main sur la sienne. Elle sursauta, interrompant son chant à l’amertume sans espoir.

« Joseph », me dit-elle, le visage blême et les yeux en sanglots. « Il est l’heure que je m’en aille, Joseph. Il est venu le temps de nous séparer. »

C’est là, sur ces dernières paroles qu’elle me fit découvrir, en entrouvrant son poing, un objet qui allait une nouvelle fois me refroidir. De suite je reconnus la lame de rasoir avec laquelle feu ma mère s’était donnée la mort. Je me souvins alors, accablé de regrets, que je l’avais mise dans une des poches de mon jeans. Elle enchaina :

« Viens Joseph. Viens te poser devant moi. Tu es un homme bon, tu sauras m’aider. » J’appréhendais avec effroi ce qu’il allait suivre. Je me mis en face d'elle.

«Tu as parcouru la Terre entière Joseph, tu ne le sais pas encore mais tu as voyagé à travers les âges et au-delà de l’infini, nul autre que toi peut me comprendre. J’ai moi-même fait un long voyage avant de te retrouver. Je t’ai longtemps cherché Joseph. Tu dois me délivrer. Tu as une mission à accomplir. »

Elle posa avec délicatesse la lame de rasoir dans l’une de mes mains. D’une voix claire et envoûtante, elle me teint ce langage telle une sentence à mon amour pour elle :

« Je vais dans un instant tendre mon bras et tu vas me couper les veines. Je sais que tu en es capable, tu es de loin le plus téméraire des hommes, ta bravoure est sans limite. »

Je me mis à réfléchir, essayant de trouver une solution à lui faire retrouver la raison.

« Non Jiznée, ne me demande pas ça, tu sais très bien que je t’aime. Pourquoi crois-tu que je puisse faire une chose pareille ? » Sans même m’écouter, elle reprit d’un ton monocorde :

« Courage Joseph, tu es flamboyant. Tu le sais, il n’y a pas d’alternative. Au fond de toi tu le sais, je lis dans tes yeux. » J’étais perplexe mais pas abruti par ses mots.

« Avant de me suicider, fais-moi une promesse mon amour, prie pour que je retrouve Itane Bel. Adresse-lui tes prières et dis-lui bien que je l’aime. Dis-lui bien qu’il me manque terriblement, douloureusement et que la vie sans lui ne vaut pas d’être vécue. Surtout dis-lui bien tout cela et bien plus encore. Dis-lui ce que ton cœur te dictera, l’avenir de l’humanité toute entière en dépend. Je t’apprécie Joseph, tu le sais et je t’admire, mais mon cœur ne saurait trahir celui de mon bien-aimé.

— Ton bien-aimé ? Itane Bel ? Mais il est mort et moi je suis vivant et je t’aime ! Que t’arrive-t-il Jiznée ? Je ne te comprends plus. »

Elle reprit son discours sans prendre en considération ce que je venais de dire.

« Juste encore quelques mots mon amour et bientôt tu deviendras éternel, promets-moi que l’on se reverra un jour. Un jour semblable à hier. Promets-moi de quérir l’amour et de le faire renaître de ses cendres afin de le partager avec tes semblables. L’amour existe encore Joseph, sois-en certain. Quant au bonheur, il existe aussi finalement. Il résonne dans chaque cœur des hommes et des femmes et qu’à jamais, je te le promets, sa définition ne sera tronquée. Tue-moi maintenant. »

— Je ne ferai pas cette bêtise, Jiznée. Tu le sais bien. Raisonne-toi, je t’en supplie, redeviens sensée.

— Si je ne meurs pas de tes propres mains, je vais errer tel un poison dans les veines des humains, dans la sève des arbres, les vergetures de la terre. Je vais contaminer par la racine cette terre superbe et d’ici demain ce sera le chaos. Je t’ai aimé Joseph, je n’aurais pas dû. Si je ne meurs pas, je ne pourrai jamais oublier ma faute. Puisse-t-elle me supprimer maintenant ou alors, je vivrai en éternel martyre. Tue moi où alors tu ne connaîtras jamais ton repos éternel, ce bien de la vie. Maintenant, je t’en supplie mon amour, suicide-moi, l’heure est venue, bientôt le soleil sera là, bien présent, éclatant de beauté. Aide-moi à te quitter. »

Je secouai la tête.

Alors, Jiznée, devant mon refus d’obtempérer à cette folie, reprit la lame de rasoir qu’elle m’avait remise. Prête à se donner la mort, je fus saisi d’une compassion inédite à ce jour. Sans que je comprenne pourquoi, je repris la lame de rasoir d’entre ses mains, et sans l’ombre d’un sentiment honorifique, sans plus aucun contrôle sur ma personne, hypnotisé par le regard de Jiznée qui doucement ferma les yeux et sous le contrôle d’une force étrangère, je m’exécutai à la tâche comme un lâche. Car il faut l'être pour avoir fait ce que je fis ce matin-là. Ce n’était pas la mort que je donnais, non, mais mon acceptation de fuir un amour naissant et cela c’était le pire des crimes.

SILENCE.

L’acte accompli, je revis toute la journée d’hier défiler dans ma tête avec ce sentiment étrange d’impuissance qui me glaça le sang tant je fus le pantin soumis d’une force étrangère. Et malgré l’envie bien présente d’écouter mon cœur afin de voir vivre pour toujours à mes cotés ma Jiznée, malgré cela, j’avais pris son bras et d’un geste barbare, je l’avais entaillé.

Dès lors, une goutte de sang, puis deux, s’étaient écrasées sur les herbes que la rosée du matin avait rafraichi.

Bientôt, le « paradis » allait baigner dans le sang de ma Jiznée, et moi, impuissant, je me mis à pleurer.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire David Watine ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0