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La suite des festivités vint avec l’ouverture du bal et la valse des mariés. Une musique se fit entendre et dès les premières notes, je reconnus « La valse de l’empereur » composée par Johann Strauss, un siècle plus tôt. Dès lors, les mariés s’avancèrent sur la piste de danse.

Me sachant à mon aise en ce qu’il s’agissait de danser, j’avais la volonté de faire valser Jiznée. Alors mon courage au creux des mains, je me lançai et lui dis d’une voix fluette : « Veux-tu m'accompagner sur cette valse ? ». Elle me regarda, les yeux enchantés et me répondit d’une voix émue : « Oui, avec joie ». Je la pris par la main et la conduisis sur la piste.

Sous les lumières de quelques lampions, entourés de convives joyeux, je saisis sa taille de guêpe dans l’étreinte de mon bras droit accueillant. Un contact mille fois espérée depuis notre baiser dans « la claire fontaine » et qui, n’en déplaisent aux jaloux, m’enchantait plus que tout. À un tel point que tout mon être en frémissait de désir. Les yeux dans les yeux, avec l’allonge de nos deux bras mi tendus rejoints par nos deux mains bien tenues, je la fis valser aux rythmes si particuliers que procurent à chaque fois les temps cadencés d’une valse. Quelle sensation de bonheur que d’être là avec ma Jiznée, dansant majestueusement sous un ciel d’une belle nuit étoilée. L’atmosphère était magique en cette soirée, palpable et sublimée par l’appétit de déguster avec ma Jiznée un moment fort et à la fois irréel.

L’élégance de nos pas de danse opérait à chaque mouvement et cela en harmonie avec la divine musique. Troublée par mon assurance de danseur, Jiznée se mit à rire nerveusement, la tête baissée, comme intimidée par notre si sensuelle proximité ainsi que par l’allure séduisante que je dégageais. Puis elle me regardait, regagnant son sérieux, et de nouveau elle riait, pouffant dans son menton, comme gênée d’être la partenaire d’un aussi bon danseur. Il n’y avait pas à dire, deux couples se distinguaient dans la ronde des valseurs, les mariés ainsi que Jiznée et moi-même. Des regards attendrissants se posaient sur nous, et nous, en retour, étions flattés par tant de considération.

Après que la valse soit terminée, Jiznée me remercia de l’avoir fait danser, elle baisa ma joue et me dit à l’oreille « Suis-moi ».

C’est alors que, ma main dans la sienne, sans que je m’y attende, elle me conduisit à l’intérieur d’une guimbarde qui trônait là, légèrement en retrait à quelques mètres où se tenait la fête. Cette voiture, qui datait d’une époque assez proche des années cinquante, faisait office de décoration dans ce jardin dont la propriété devait appartenir à un des hôtes de la soirée.

L’endroit était confiné, propice au rapprochement et aux confidences. J’étais, en ce temps-là, d’une timidité maladive, toutefois, je fis entendre ma voix avec une question qui me brûlait les lèvres :

« Qui es-tu ? »

Elle sourit sagement mais n’apporta pas de réponses. « Dis-moi, au moins, ton prénom ?

— Jiznée. Je m’appelle Jiznée.

— C'est dingue mais je m’en doutais. J’en aurais mis ma main à couper ! J’en étais sûr que tu allais dire Jiznée. Que c’était toi. Que tu existes. Vois-tu, je rêve souvent d’une fille dont je suis amoureux et qui se nomme…

— Jiznée ?

— Oui, c’est ça.

— C’est fou ce que tu me dis là !

— Alors, c’est que je suis fou parce que c’est la vérité et que tu es réelle.

— C’est peut-être juste une coïncidence.

— Il n’y a pas de hasard. Pas avec toi. Pas avec nous deux. Nous étions destinés à nous rencontrer. Dis-moi, es-tu la fille de mes rêves ?

— Possible.

— Mais comment es-tu venue jusqu’à moi ?

— Je ne saurais vraiment te l’expliquer, Joseph. Je suis là, avec toi, j’imagine que c’est ce que tu voulais depuis longtemps.

— Alors oui, tu es la fille de mes rêves. Comment est-ce possible ?

— Sans doute que les rêves finissent par devenir réalités quand on a foi en eux ».

Je réalisais avec discernement que la conversation avec Jiznée était des plus étranges, ce qui aurait dû me faire peur haut plus au point, mais en aucun cas je ne me sentais en danger, alors je n’interrompis pas notre conversation. « Pourquoi pleurais-tu, tout à l’heure, près du lac ?

—Je souffre d’avoir perdu celui que j’aime.

—Itane Bel, c’est bien lui dont tu pleures la perte ?

—Oui.

—Et, est-ce vrai qu’il est mort ?

—Oui.

—Je suis navré, Jiznée. Réellement navré de l’apprendre ».

Je ne connaissais pas la réelle cause du décès d’Itane, je ne pouvais en rien croire que ce soit moi qui l’ai tué, alors je lui demandais de me dire seulement ce qu’il représentait à ses yeux, histoire de mieux cerner son affliction. Elle me répondit que c’était son premier amour, qu’elle ne pourrait jamais l’oublier et que jamais elle ne saurait le remplacer. Mis sur un piedestal, Itane était pour elle comme un mythe, une icône dont elle vénérait la mémoire. Sa sacralisation lui donnait le rang de demi-dieu dont on ne pouvait en rien salir le nom. Je compris ensuite que Jiznée n’avait pas voulu faire le deuil de cet amour d’hier et que dans son cœur elle l’aimait encore. De cet amour fantasmé avec Itane, elle en avait fortement besoin telle une drogue jouissive et vivifiante. Malgré cela, la mort la hantait depuis quelque temps, elle souhaitait rejoindre Itane. Elle se disait contaminée par la folie des hommes et que bientôt, à son tour, elle n’aurait plus toute sa raison pour survivre à une vie torturée par l’absence de son âme-sœur.

Pourtant, auprès d’elle, moi j’étais bien là, présent et fou d’amour pour elle. Sans me méprendre, je pouvais croire en mes sentiments et qu’à travers moi je me sentais capable de lui insuffler l'espoir d'un nouvel amour, même si elle insista sur le point qu’elle aimerait Itane pour le restant de sa vie ainsi que pour les mille autres vies qui suivraient. « C’était mon premier amour » répétait-elle « et à jamais mon dernier. Je n’aime que lui. » La sincérité de ses propos me fendait le cœur, car moi, j’étais réellement tombé amoureux d’elle. Et la voir ainsi parlant avec passion de ce fantôme d’Itane Bel, me chagrinais. Mais je n’étais pas vaincu. Je saurai comment la séduire et cette nuit, elle sera à moi. Dès lors, pour la sortir de sa bulle, je lui fis part d’une confidence :

« J’ai fait un bien drôle de rêve tout à l’heure, avant que l’on se revoit près du lac.

— Raconte, car moi-même j’ai fait un drôle rêve avant que l’on se revoie.

— Eh bien, je courais dans un désert, en pleine nuit, sous un ciel chargé d’étoiles. Je ne savais ni où j’allais, ni pourquoi je courais. Puis, j’aperçu au loin un temple semblable à celui d’Athéna Aphi…Apha, ah ! Comment dit-on, au juste ?

— D’Athénia Aphaia ? Sur l’ile d’Egine, veux-tu dire ?

— Oui. Mais très peu de personnes connaît l’existence de ce temple.

— C’est aussi dans ce temple que se déroule mon rêve.

— Vraiment ?

— Oui.

— C’est à peine croyable !

— Drôle de coïncidence, en effet. Mais, je t’ai coupé. Continue, s’il te plait.

— Alors, curieux, je m’approchai de ce temple et de ma main je frôlai deux gigantesques portes, imposantes et massives, qui s’ouvrirent sur le champ. J’entrai. A l’intérieur, je découvris un musée avec des tableaux et des sculptures, puis, en levant ma tête, je vis des hommes et des femmes vêtus d’habits blanc planant dans les airs, ils étaient au moins une centaine. Tous, encerclaient une scène ou un homme gigantesque à la peau noire était prisonnier par des chaines. C’est alors que je me suis mis à vivre à travers cet homme qui, je le crois, était DIEU. Enchainé, j’étais impuissant, aucunement libre de mes mouvements. Soudain, tu m’es apparue, toi Jiznée, à quelques mètres devant moi sur un linceul où tu reposais, morte. Dès lors, je me mis dans une colère noire faisant tomber la foudre qui d’un éclair me délia de mes chaines. Enfin libre, je te pris dans mes bras et je pleurais. C’est alors que les hommes et les femmes nues se mirent en mouvement faisant deviner la fureur de leur mécontentement. Ils gigotaient et hurlaient comme des fous. Ils s’arrachèrent les cheveux, puis se déchiquetèrent la peau. Devant toute cette atrocité, même te sachant morte il fallait que je te protège de ces fous dépecés, c’est alors que je te pris dans mes bras. Dès lors, je m’engageai dans la direction d’un large couloir das lequel je me mis à courir à l’allure d’un cheval au galop. Les créatures en lambeaux de chair se mirent à nous suivre. Je courais vite, très vite, mais pas suffisamment pour les semer, et puis, petit à petit, ils nous rattrapèrent inexorablement. Et c’est là que je me suis réveillé avec une étrange question.

— Laquelle ?

— “Où se situe ma vie dans le temps ? ” Bizarre, non ?

— Pas si bizarre que ça Joseph, car ton rêve répond exactement au mien.

— Ah oui, vraiment ?

— Je t’assure que ton rêve est la pièce manquante à mon rêve.

— Et de quoi as-tu rêvé ?

— Dans mon rêve j’étais morte au sein de ce temple d’Egine dans un temps parallèle à celui que l’on est en train de vivre. Je trônais, comme tu l’as dit sur un linceul, où seul toi pouvais me voir, puis je ressuscitais d’un amour divin, étranger à celui d’Itane. J’étais stupéfaite. Que je puisse aimer un autre qu’Itane m’était impossible à croire. Et puis…

— Et puis ? Ca ne s’arrête pas là ?

— Non, ça ne s’arrête pas là, mais tu connais aussi bien que moi la fin de l’histoire.

— Eh bien, attends, je suis chez moi, dans ma chambre, pleurant la mort d’un être cher et toi tu arrives comme par magie et tu m’embrasses langoureusement.

— Eh ! Ça devient coquin ton histoire.

— Pourtant elle est vraie. Tu m’as envouté Jiznée tout à l’heure dans ma chambre. Je n’avais jamais ressenti cela auparavant. Ce baiser que tu m’as donné, jamais je ne pourrais l’oublier.

— C’est le genre d’exploit que je cultive, alors.

— Tu es incroyable. Jamais je n’ai rencontré une fille comme toi, Jiznée.

— Je fais dans l’originalité. Je suis très douée pour cela.

— Je serai doué pour d’autres choses moi aussi.

— Quoi, par exemple ?

— Par exemple, pour t’écouter, te parler, te consoler, t’aimer et même te sublimer.

— Et quoi d’autre ?

—Te redonner foi à la vie, en l’amour. La vie est belle, Jiznée, il faut en profiter au maximum. Ecoute ton cœur. Ne sens-tu pas le battre pour un autre qu’Itane en ce moment ? Saurais-tu me dire non ?

— Alors, est-il possible que…

— Oui.

— …je succombe aux charmes d’un autre garçon ?

— Tout le monde a droit à une deuxième chance, Jiznée, c’est là une des « vérités » de la vie, de nos existences.

— Et si nos lèvres se rencontraient, alors…

— Alors, je serais à jamais esclave de tous tes baisers. » Nous nous fixâmes d’un regard passionné, puis je l’embrassais.

« Qu’est-ce que l’amour si ce n’est être près de toi, Jiznée ?

— Sans doute rien. Fuyons !

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