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Posé tel un comédien, le marié nous sourit longuement et balaya d’un regard ému toutes ces personnes venues si nombreuses célébrer son mariage. Dès lors, après une longue inspiration, il se lança dans un récital avec son lot de surprise dont un final inattendu :

« Mes amis, vous tous ici réunis, nous ne pouvions pas rêver plus beau cadeau ; merci de nous accompagner dans ce moment et d’avoir répondu présent aujourd’hui. En votre compagnie, nous sommes heureux de concrétiser notre rêve de mariage. L’amour qui nous unit, Kate et moi, vous en avez été les premiers à en être les témoins.

Bien que ma femme préfère en rire, vous tous, connaissez la singularité de notre couple qui a été fermement désapprouvée par nos deux familles, cependant vous êtes restés à nos côtés, loyaux, comme aux premiers jours.

Aussi, à ces mots, je profite de cette tribune sur laquelle je discours pour vous confier un secret. Oh, bien sûr ce n’est pas grand-chose mais j’y tiens. Voilà, je crois en la fidélité. Je dirais même que je suis pour la fidélité dans tout ce qu’elle a de plus noble. Et quoique de plus logique d’en parler le jour de son mariage, non ?

Depuis les évènements qui ont tourmenté nos deux familles, je ressasse sans cesse l’essence même du mot « fidélité ». Est-elle source de haine, malheur, de peur, de souffrance ? Ou est-elle au contraire source d’amour, de joie, d’hardiesse, d’allégresse ? J’ai toujours cru bon qu’il faille être fidèle à sa famille sans qu’il y ait en retour une forme de reconnaissance de leur part, ou une attente quelconque. J’ai depuis appris à mes dépends toutes les leçons qui découlent de cette affaire. Et bien que nous ayons coupé les ponts, bien que mon regard sur eux ait changé, je tiens à leur dire que mon amour reste intact. Ma colère ne suffira jamais à éteindre les lumières de leur sinistre peine.

Toutefois, je choisis d’être confiant en l’avenir. Je sais que je retrouverai leur amour même s’il faille attendre les derniers instants de leur vie. L’amour d’un parent pour son enfant ne peux se tarir, j’en ai l’intime conviction.

Et puisque j’ai cette confiance en ma possession, je peux me targuer d’être l’incarnation de l’optimisme ou, misère, de la crédulité même ! Ce qui est sûr, c’est que ma bonne étoile me dicte d’être fidèle, et cette fidélité, mutuelle, que se doivent deux époux, j’en fais aujourd’hui l’allégeance. J’entends déjà les félons rire de mon aveu. Ça m’est égal. Les renégats, les traîtres qui commettent l’adultère sont monnaie courante de nos jours. Ils courent les rues. Mais l’intégrité, la constance dans nos sentiments amoureux, de celui que l’on éprouve dès le premier regard jusqu’à celui qui nous fait dire « oui » le jour de son mariage, voilà la plus belle des vertus que nous sommes en droit d’exiger, nous humains.

Bref, je vous le redis : je crois en la fidélité. Je l’ai là, chevillée au corps, et seule la mort par son office rompra ce lien qui nous unit Kate et moi. Évidemment, vous êtes en droit de vous demander pour quelle raison je suis pieds et poings liés à cette croyance. Pour vous répondre j’aimerais vous raconter une anecdote.

À seize ans, j’ai fait la connaissance d’une fille du même âge qui m’a ouvert son cœur comme personne. Je venais d’arriver dans la métropole et je n’avais pas d’objectif réel à atteindre. J’épousais mon existence comme on effleure les pétales d’une rose ; j’y passais ma main, çà et là, mais sans jamais y prêter attention.

Ma comparaison vaut ce qu’elle vaut, toutefois mon quotidien d’alors, sans relief, où je me sentais aussi blasé que déprimé, me donnait l’impression d’être étranger au regard des autres si bien que je l’étais avec moi-même. Alors quand vint l’été, et que je fis la connaissance d’Adèle, elle fut le détonateur d’un déclic tant attendu afin d’éclaircir ma sinistre personne.

C’était un jeudi, mes parents m’avaient forcé à faire quelques brasses à la piscine municipale. Bien que réticent, je m’y suis rendu. C’est là que je l’ai vue pour la première fois. Elle pratiquait la natation. Cette fille ne nageait pas, elle volait sur l’eau. À cet instant une histoire d’amour sublime allait naître entre nous, et cela rien qu’en la voyant crawler. J’étais sous le charme. Je ne faisais que l’observer, immobile le corps immergé sous l’eau. Après quelques longueurs, elle s’arrêta à ma hauteur, me prenant pour une bouée. « Tu fais quoi au juste ? Tu nages avec moi ou tu restes planté là à onduler comme une bouée pour mieux m'épier ? » M’interrogea-t-elle, moqueuse, en m’intimant de la rejoindre.

L’invitation me plaisait, seulement il y avait un hic : je ne savais pas nager. Elle s’en excusa, presque gênée. Je pense que je l’étais autant qu’elle. C’est alors qu’elle eut l’intelligence de vouloir m’apprendre. Je refusai, prétextant que ce serait impossible, que l’on n’apprend pas à une pierre à flotter. À cet instant, je ne fis pas preuve de discernement car visiblement cette fille voulait simplement me m’être à l’aise. Toujours est-il qu’elle ne lâcha pas l’affaire et insista pour faire de moi son élève. Je cédai devant tant de persévérance.

Durant tout l’été, elle me donna des leçons de natations. M’invita chez elle. Me fit rencontrer ses parents et ses cinq frères et sœurs. Ses amis. Ensemble, nous promenions son chien, fîmes du vélo. Apprenions à nous connaître. Au fil de nos activités, un lien s’est tissé entre elle et moi. Ça ne ressemblait plus réellement à de l’amitié, de la camaraderie mais bel et bien à une liaison amoureuse. Et ce qui devait arriver arriva, nous échangeâmes un baiser. Et c’est ainsi que je dis adieu à ma première jeunesse pour entrer dans le monde des grandes personnes.

Tout semblait être idyllique puisque nous étions amoureux. Jusqu’au jour où elle tomba malade. Cancer du sang. S’en suivit une lutte acharnait contre la maladie. Chimio, médocs et tout le tintouin ! Je vous passe les détails. Toutefois elle survécut. Elle guérit. Et pendant tout ce temps, je lui suis resté fidèle.

Le jour de sa grande rentrée au lycée, il faisait un temps ensoleillé, elle voulu s'y rendre à vélo. Moi ainsi que tous ses camarades de classe l’attendions afin de lui faire un accueil tonitruant. Mais jamais nous ne la vîmes arriver. Pendant son trajet, elle se fit percuter par un camion. Elle mourût sur le coup.

Elle s’appelait Adèle, elle avait seize ans et pour tout ce qu’elle m’a donné comme amour, à jamais elle restera mon amie la plus fidèle.

Ce qui se passa par la suite fut carrément improbable. Comme vous pouvez l’imaginer, toute cette histoire m’avait quelque peu perturbé. Mon amie n’était plus, qu’allais-je devenir sans elle ? J’étais sans réponse.

Dès lors, je me laissai aller à la retenue pour être, au fil des jours, à la merci d’une mélancolie des plus cafardeuse. De nouveau, j’épousai la vie comme on effleure les pétales d’une rose ; j’y passais ma main çà et là mais sans jamais y prêter attention. Bref, le refrain habituel d’une ritournelle redondante, me direz-vous.

Jusqu’au jour où la mère d’Adèle me conseilla de faire mon deuil. Et là, il se produisit un petit miracle qui allait à tout jamais changer ma vie. Mais, au juste, que pouvait bien signifier « faire son deuil » ? L’expression ne me parlait pas. Je n’avais jamais été confronté à devoir faire le deuil d’une personne. C’est alors que devant mon ignorance je pris mon dictionnaire afin de regarder la définition de « deuil ». Je la lus jusqu’au bout. Je compris aisément le sens. Cependant, je ne me voyais pas plus avancé. C’est alors que je commençai à lire machinalement la suite des définitions de mon dico. Et là, quelle ne fut pas ma surprise quand je tombai sur le mot suivant qui n’était autre que « Deus ex machina », une locution latine qui désigne une personne ou un évènement qui vient dénouer une situation dramatique sans issue.

« Deus ex machina » ! Le synonyme de « sauveur », comme le fut pour moi Adèle.

« Deus ex machina », ensuite, qui n’est rien autre que le titre de mon premier roman, celui qui m’a valu tant d’honneur.

« Deus ex machina », enfin, mon oeuvre qui m’a permis de rencontrer Kate.

Je suis sûr que peu de personnes, ici, connaissent la réelle histoire de ma rencontre avec Kate. Lorsque je l’ai rencontrée, j’avais vingt ans, c’était en 1986, chaque matin je prenais le métro pour me rendre à l'université. Bien que, cette année-là, j’avais déjà publié « Deus ex machina » et que le roman m’a fait connaître dans la France entière, il fallait bien que j’aille étudier afin d’obtenir mon DEUG en psychologie. Malgré ma notoriété croissante, j’étais un étudiant comme les autres au même titre que mes camarades de fac.

Dans ce métro, là où je m'étais assis, j’avais l'habitude d'avoir ma tête collée contre la vitre et, rêveur, j’avais de temps à autre des idées de roman ou de simples fulgurances littéraires. Je sais que cela fait très cliché comme image, je vous l'accorde, pourtant c’est comme cela que m’est venu l'idée d’écrire le début d’une histoire d’amour. Si mes souvenirs sont bons, elle commença par ces mots :

« Je ne vous ai jamais vue. Je ne sais rien de vous. Je ne vous connais pas. Pourtant vous habitez mon cœur.

Voilà quatre nuits que je fais le même rêve. Voilà quatre nuits que je jouis d’une émotion mémorable. Voilà quatre nuits que j’apprends l’art du sentiment. Voilà quatre nuits que je me réveille amoureux.

L’amour m’est venu aux heures de mes plus précieuses rêveries rusant d’un habile stratagème afin de jouer dans le théâtre de mon cœur une pièce romantique où une inconnue me donne l’envie de mourir d’un amour déraisonné.

Voilà venir la sainte nuit. Bientôt je vais prendre mon repos.

À vous l’inconnue de la nuit, je vous adresse une prière : j’aimerais vous donner un cinquième rendez-vous. Et dès que mon repos sera épuisé, apparaissez-moi en vrai, comme le ferait une divinité envers son fidèle, car oui, je vous aime ».

Arrivé devant l'université, je n’avais qu’une seule idée en tête, écrire la suite. J’ai donc séché les cours pour me rendre à la bibliothèque d’à côté afin de me retrouver au calme.

Alors que j’écrivais paisiblement une nouvelle histoire sur le papier, avec un titre très accrocheur « Qu’est-ce que la vie si ce n‘est être près de toi ?», je ne me doutais pas un instant qu’une nouvelle histoire allait naître dans la réalité.

Là où je m’étais assis, une jeune femme se trouvait à quelques mètres de moi, en train de m’épier derrière un bouquin. Je ressentais si intensément son regard posé sur moi que j’en étais troublé. Mais dès que le mien s'était posé sur elle, son regard s'était détourné sur son livre faisant mine d’être absorbée par sa lecture.

Je ne sais pas vous mais moi quand j’écris, je n’aime pas être observé. Je déteste ! J’ai l’impression d’avoir le regard inquisiteur de mon père rivé sur moi. Et ça, c’est bien une chose que je ne supporte pas. Du coup, je suis allé la voir pour lui dire de ne pas me regarder pendant mon écriture. J’arrive à sa hauteur, je me penche sur elle, ma bouche à son oreille et je lui susurre ces quelques mots :

“ Si vous pouvez arrêter de me regarder en train d’écrire derrière votre bouquin vous me rendriez un très grand service". C'est alors qu'elle me balance :

— Ça ne vous ennuie pas, vous, de me regarder en train lire !

— Vous êtes culottée ! C’est vous qui avez commencé en premier.

— Non !

— Si !

— Ah, non !

— Ah, bin si !

Bref, deux gamins. C’est alors qu’elle se lève et va voir ce que j’aie écrit. Elle prend mon carnet sans même me l’avoir demandé.

— Voyons, voyons, qu’est-ce que Monsieur désire tant écrire sans que je ne le regarde.

— Hé, rendez-moi ça !

Tutut ! Laissez-moi lire, Monsieur le voyeur : « Qu’est-ce que la vie si ce n‘est être près de toi ?» Oh, oh, c’est que Monsieur est un romantique. C’est moi qui vous aie inspiré ce titre ? Ha ! Ha !

— Euh !

— Je plaisante, Dom Juan ! Lisons la suite…Waouh ! vous avez une écriture de cochon ! « Je ne vous ai jamais vue. Je ne sais rien de vous. Je ne vous connais pas. Pourtant vous habitez mon cœur ». Mmm, j’adore ! C’est mystique votre truc ! « Voilà quatre nuits que je fais le même rêve. Voilà quatre nuits que je jouis d’une émotion mémorable. Voilà quatre nuits que j’apprends l’art du sentiment. Voilà quatre nuits que je me réveille amoureux ». Mmm génial ! Voilà quatre nuits que je me réveille les draps tachés. Ce ne serait pas un peu mieux, non ? Ça commence pas mal à m’exciter votre histoire ! « L’amour m’est venu aux heures de mes plus précieuses rêveries afin de jouer dans le théâtre de mon cœur une pièce romantique où une inconnue me donne l’envie de mourir d’un amour déraisonné ». Oh, là, là, c’est rythmé dans votre cœur à ce que je vois. Boum ! Boum ! Badaboum ! « Voilà venir la sainte nuit. Bientôt je vais prendre mon repos. À vous, l’inconnue de la nuit, je vous adresse une prière : j’aimerais vous donner un cinquième rendez-vous. Et dès que mon repos sera épuisé, apparaissez-moi en vrai, comme le ferait une divinité envers son fidèle, car oui, je vous aime ». Ah oui, je vois bien où vous voulez en venir avec ce cinquième rendez-vous.

— Ah bon ?

— Vous voulez la culbuter, n’est-ce pas ?

— Ah, ça suffit à la fin !

— …Par devant, par derrière…Coquin !

— Mais quel genre de femme êtes-vous ? Vous avez l’art de tout gâcher, ma parole !

— Je plaisante ! Détendez-vous ! Vous êtes tendu, non ? Voulez-vous que je vous masse ?

— Non !

— Ce que vous pouvez être susceptible ! Il est très bon votre texte.

— Vraiment ?

— Puisse que je vous le dis ? Vous avez un style, rien qu’à vous.

— C’est gentil.

— Non, ce n’est pas gentil ! C’est la vérité. Vous me faites étrangement penser à l’auteur que je lis.

— Et vous lisez quoi ?

— Deus ex machina. Pourquoi ?

— Vous m’avez bien eu !"

Elle m’a tellement bien eu que je me suis marié à elle aujourd’hui.

Aussi, je veux te dire ceci, Kate, ensemble nous allons écrire les plus belles pages d‘amour de notre vie. Et rien qu'en te voyant, je suis sûr de deux choses : un, je t‘aime. Et deux, à jamais je te serai fidèle ! » Elle vint l’embrasser en pleurant. Ils s’enlacèrent tendrement. « Merci à toutes et à tous d‘être parmi nous. Passez une agréable nuit et que la fête commence ! »

Elle pleurait, elle aussi. Jiznée pleurait. Et moi, dans tout ça, je la regardais, sous le charme, verser ses quelques larmes avec la certitude de vouloir, comme le marié, l'aimer et lui être fidèle.

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