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« Il se prépare quelque chose, paraît-il, un discours de la part des deux mariés » chuchotait-on derrière nous.

Depuis notre arrivée, Jiznée et moi faisions le tour du buffet froid sans que l’on rechigne dessus. Nous nous délections à notre convenance de coupes de Champagne, d’amuse-gueules et d’autres gourmandises en tout genre.

Sans que l’un ou l’autre ne se dise mot, cette petite coquine s’amusait, cependant, à me lancer des regards espiègles qui ne faisaient qu’accroître mon excitation pour sa si jolie personne. En réponse à ces invitations lancées à mon encontre, je n’en pouvais plus de me taire.

Alors, surpassant ma troublante timidité, je voulus lui adresser une parole courtoise et charmante. Mais au moment même de l’apostropher, l’orchestre, qui jusque-là, interprétait pour tous les convives une musique à l’ambiance joyeuse, arrêta son office afin de laisser place aux discours des deux jeunes mariés. Je réfrénai alors mon vœu de lui parler et religieusement je me tournai vers la scène pour écouter ce que nos deux protagonistes avaient à nous dire.

Jolie tel un ange dans sa belle robe blanche en soie sauvage, la mariée se mit face à nous, toute rayonnante. Le sourire aux lèvres, elle rigolait toute seule, berçant tendrement une bouteille de Champagne entre les bras. Sans aucune inhibition, elle semblait toute gaie.

Au vrai, ami, je peux te le confesser, elle était complétement pompette !

C’est alors que, le micro en main, elle se mit à remercier, comment dire : " Touuuuuut le monde d’être venu si nombreux ce soir ! ” Ponctuant sa gratitude envers nous par un rot, effet résulté de quelques boissons alcoolisées. “Waouh ! Y’a du larsen ici !” Dit-elle en plaisantant pour en remettre une couche, se défaussant d'un effet gastrique incontrolé.

“ Je n’sais pas vous mais c’est l’occasion rêvée de dire tout ce que j’ai sur le cœur et Dieu sait que j’ai des choses à dire, pas vrai Patate !" Un chien se mit à aboyer à deux reprises.

“ Qui sait que t’oses appeler, patate ? ” dit-elle, en montrant du doigt l’assemblée.

“Patate, c’est notre chien” cria le marié dans le but d'éclairçir les dires de son épouse.

“Ouais, tu fais bien de le souligner, chéri, Patate c’est mon chien. Un brave toutou ! Allez, viens Patate ! Monte sur la scène, mon bébé.

Lorsque Patate, un jeune labrador d’environ trois mois se présenta sur scène, un tonnerre d’applaudissements se fit entendre dans l’assemblée. Dès lors, elle délaissa sa bouteille de Champagne pour la déposer par terre et se saisit du chiot avec délicatesse afin de le blottir contre sa poitrine ; de lui donner un doux baiser et de nombreuses caresses. Au contact de son fidèle compagnon, elle ne put retenir des larmes. Ce qui me parut étrange car je ne voyais pas pourquoi elle s'était mise à pleurer aussi subitement. Était-ce la joie d’être avec Patate qui la submergeait ainsi ou tout autre chose. Ce qui était certain c’est qu’elle ne faisait pas semblant, l’émotion était si forte qu’elle commença à suffoquer laissant les sanglots faire son office sur ses joues qui se trouvaient maculées de rimmel. Ami, de loin, les taches aux formes symétriques de chaque côté de son visage me firent penser aux dessins peints par Hermann Rorschach, le fameux psychiatre suisse si renommé pour son test de personnalité avec des taches que l’on a coutume de dire qu’il révèle LA « profonde vérité sur soi ». Toujours est-il que je ne savais pour quelle raison elle se mit à larmoyer ainsi. La réponse à ma question n’allait pas se faire attendre.

“ Oh Patate, je te serai fidèle, mon toutou, comme tu l’es avec nous. Tu n’es pas comme tous ces enfoirés de nos deux familles qui nous ont lâchés parce que Maman est blanche et que Papa est noir, hein ! Tu t’en fous royalement de tout ça, hein ! T’es pas raciste, toi ! Aussi, mon brave toutou, pour ne citer que Shakespeare : « La peste soit de “nos” deux familles ». Tu ne comprends rien, c’est normal. Comprendre William Shakespeare n’est pas donné à tout le monde. Allez, vas rejoindre nos amis, Patate, tu trouveras bien une bonne âme qui te donnera un bout de saucisson !

Alors que Patate quittait la scène, je restai sans voix. Car vois-tu, ce fut une nouvelle à laquelle je ne m’attendais pas. Pourtant je n’étais pas aveugle. J’avais bien remarqué la différence de couleur de peau chez nos deux mariés. Ami, me trouveras-tu imbécile si je t’avoue que je ne sois point choqué de cette différence ? Non, alors c’est heureux ! Toutefois, quelques Nota Bene liés à leurs relations avec les familles me passaient sous le nez. Certes ils s’aimaient d’un amour interdit aux yeux de leurs parents mais de là à couper les ponts avec ceux-là, sur ce point j’en restai, sur le coup, estomaqué. Pourtant, jamais, au grand jamais je ne saurai si j’aurais eu le courage de mettre fin à la relation que j’entretenais avec ma mère pour vivre avec ma bien-aimé, la toujours et merveilleuse Jiznée. Mais revenons-en au discours.

“ Bref, étant donné qu’en ce jour de mariage, nos familles ne sont pas là, j’aimerais vous dire que c’est vous qui êtes désormais notre famille ! Alors, hourra à vous tous, mes amis ! Hip, hip, hip…

—…Hourra ! Scandèrent les convives, tous en chœur

—Et que Dieu vous bénisse !

“ En tout cas, merci. Oui, merci à vous tous ! Et comme l’occasion met permis de tous vous gratifier, j’aimerais vous signaler que votre présence ici même ainsi que de votre soutien indéfectible en ces moments troubles que nous vivons, mon mari et moi, je ne voulais surtout pas omettre de vous dire que tous vos vœux me vont droit au cœur ! Et je trouve ça “sensass” de vous savoir ici à mes côtés pour me dire que vous me kiffez grave !”

C'était soit pathétique, soit grandiose. J’étais dubitatif sur mon raisonnement. Ce qui est sûr, c’est que cette femme devait avoir un taux d’alcoolémie assez élevé pour apparaître ainsi, aussi théâtrale, le jour de son mariage.

Consciente que son discours prenait la tournure d’un sketch, elle redevint plus sérieuse. Elle eut alors, quelques mots doux pour celui qui allait désormais partager le restant de ses jours en lui déclamant tout son amour. Je te passe ce genre de détail, ami, pour ne point tomber dans la mièvrerie.

Ne sachant plus quoi dire, elle souhaita à tous une agréable soirée et céda sa place sur le devant de la scène, à son mari. Tout le monde l’applaudit chaleureusement sous des sifflets et des cris d'ahuris tout autant éméchés que notre jeune et ravissante mariée.

Pour ce qui fut du discours du marié, celui-ci avait la sonorité d’un discours chargé d’une extrême émotion. Ce discours, porté avec grâce et solennité, allait divulguer un secret en forme de « vérité », mais aussi en forme d’un desiderata que jamais je n’oublierai.

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