CHAPITRE SIXIÈME N°1

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Ami, il me revient en mémoire une conversation forte intéressante que j’eus avec ma mère, un soir d’hiver, alors que je n’avais que neuf ans. Le sujet se trouvait être quelque peu morbide pour un enfant de mon âge.

Selon les dires de ma mère, à l’heure où la mort est vouée à entrer en scène avec pour seule partenaire sa faux à la main, la dernière volonté d’un vieil homme aigri est en majorité pareille à celles d'autres vieux hommes aigris.

« Joseph, je vais t'avouer un secret.

— Vraiment ! Chouette alors ! Dis-je surexcité.

— Et puis non ! Je vais te dire tout haut ce que les gens pensent tout bas, dit-elle sarcastique. Ce qui était plutôt comique puisqu'aucun mot ne sortait de sa bouche. La langue des signes avait ses limites à la taquinerie, pensais-je.

"Quoi, alors ? " Dis-je nonchalamment, moi qui, attablé dans la salle à manger, me régalais d’une soupe aux courgettes.

— Éh bien ! Voyons un peu...Voilà ! Je mettrai ma main à couper qu’au crépuscule de la vie d’un vieil homme que celle-ci a dégouté, je jure devant Dieu que celui-ci n’a qu'une seule volonté avant de mourir.

— Mmm, mmm ! ...Laquelle ?

— Hé bien, celle de soulager son âme, pardi. Et sais-tu comment ?

— Non.

— En récitant la phrase suivante : "Qui que vous soyez, quoi que vous soyez, entendez ma prière et donnez-moi le courage de mourir ", et sais-tu pourquoi ?

— Non.

— Parce qu'il a peur, Joseph. À l'instar d'un élève studieux, la mort a pour devoir d’obscurcir ses derniers jours en le terrifiant d'une trouille bleue.

— Vraiment ?

— Assurément Joseph. La mort, dans sa perfide entité, parvient à lui montrer le visage de celui qu'il n'a jamais su être. Et cela afin qu’il réalise qu’en aucun cas il ne su tenir les rennes de sa vie. Et sais-tu pourquoi ?

— Non.

— Afin que les remords le rongent, voilà pourquoi. Comme il n’a jamais été en mesure de vivre à la hauteur de ses plus tenaces volontés, bref, de ses désirs les plus vitaux, son seul salut est d’émettre des regrets afin qu’on ait pitié de lui en se posant comme une victime envers sa miséricorde destinée et de l’impitoyable vérité. Voilà pourquoi ! "

J'étais perplexe mais pourquoi pas. Je me concentrais alors sur la suite et sur ce qu'elle voulait me faire entendre.

"Par contre, un homme comblé, Joseph, sait que la mort ne l'empêchera en rien de vivre ce qu’il a déjà vécu. Il accepte sa venue avec sérénité. Il l’accueille en toute quiétude. Et sais-tu encore pourquoi, Joseph ?

— Euh…non.

— Réfléchis, Joseph !

— Parce qu’il sait qu’il ira au paradis.

— Ne dis-donc pas de bêtises, Joseph. Crois-tu vraiment qu’il existe ?

— Oui, évidemment.

— Foutaise, oui ! Le paradis c’est pour te faire croire qu’il existe une vie après la mort. Pour soulager les lâches qui ne veulent pas voir la vérité en face. Joseph, tu mourras comme tout le monde. Et après le néant !

— J’y crois moi au paradis.

— Serais-tu un lâche, mon fils ?

— Non, je suis quelqu’un de vaillant. Comme tu me l’as appris, Maman.

— Eh bien, j’en doute monsieur le rêveur. Mais revenons à nos moutons, tu n’as toujours pas su répondre à ma question d’une manière logique. Pourquoi cet homme accueille la mort avec toute la tranquillité du monde ?

Là-dessus, j’émettais un de ces silences qui traduisait mon désarroi à ne savoir pas quoi répondre. C’est alors que ma mère enchaîna.

— Parce qu’il a entreprit de vivre sa vie et c’est heureux.

— C’est tout ?

— C’est clair au moins.

— En effet.

— Par contre…

— Oui…

— La frustration d’un homme aigri…obsédante et effroyable…à la vue de sa vie non consommée avec délice...

— Oui…

— Celle-ci doit lui retourner la cervelle ! Sans qu’il s’en rendre compte, elle accélère son processus de dévastation.

— Vraiment ?

— Assurément. Sa mort est proche, et il sait qu’elle est une ruine qui est toute prête à frapper à sa porte. Cet homme crépusculaire dont je te parle, à la vie déclinante, pourrait très bien être toi, Joseph.

— Ah bon ?

— Assurément. À sa place, tu ne saurais que trop bien la présence de la mort derrière cette porte voisine, et en aucun cas tu ne voudrais la voir s’ouvrir.

— Je crois que c’est préférable, disais-je, inquiet.

— Mais déjà, sans crier gare, elle s’entrouvre devant tes yeux effarés, et là, impossible de la fermer. La mort l’a corrompue afin de la laisser entrer. En rien cette porte n’empêchera la mort de faire son éternel devoir.

—Vraiment ?

— Assurément. Que crois-tu ? Que nous sommes immortel ?

— Pourquoi pas ? Ce serait chouette !

— Fini ta soupe au lieu de dire des sottises ». Me disait-elle, espiègle, un sourire aux coins des lèvres.

Elle n’avait pas tort, pensais-je, crédule sur la mort et ses mystères. Pour moi, ma mère était tout sauf une femme stupide. Je la trouvais admirablement clairvoyante.

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