- Et voila, maintenant vous connaissez toute l’histoire ! s’exclame Shawn, d’une voix enraillée, épuisé d’avoir tant parlé.

Le jeune homme tenait vraiment à finir son histoire d’une traite, tant que les événements étaient encore frais dans sa tête. Il regarde le révérend Alessandro droit dans les yeux, essayant de déceler ce que ce dernier peut être en train de penser. Il ne voit rien d’autre que de la compassion dans les yeux de son interlocuteur. Cela lui fait énormément de bien de s’être confier à quelqu’un et de ne pas être vu comme un monstre de foire.

Le révérend ne voit qu’un jeune homme torturé, qui a soif de réconfort. Shawn est apaisé de savoir que l’homme d’église le considère comme un être humain. Il est sûr que ce qu’il vient de raconter ne sortira jamais de cette pièce. Le jeune étudiant ne connaissait pas l’homme d’église avant d’entrer dans l’édifice, mais il sent qu’il peut lui faire confiance. Ce qui est pourtant étrange, vu que dernièrement, il a été trahi de la pire des façons. Mais au moins, ceci lui prouve qu’il ne se renferme pas sur lui-même à cause de cet échec et qu’il est prêt à aller de l’avant.

Shawn se relève et s’étire, les bras bien écartés, faisant craquer ses articulations. Il se sent mieux, pas au point d’aller faire un marathon, mais en meilleure forme qu’à son arrivé. Il jette un coup d’œil à l’état de sa chemise et ne peut s’empêcher de revoir dan sa tête la scène où il a tué son psychologue. Le regard que ce dernier lui à jeter avant de basculer par-dessus la rambarde était horrible.

Le jeune noir sait que cette image le hantera à jamais, il n’a pas d’autres choix que de devoir vivre avec. Il baisse la tête, l’expression du visage grave et sombre, un sentiment de culpabilité a déjà commencé à le submerger. Le révérend semble avoir deviné ses pensées, car il lui dit, sur un ton qui se veut réconfortant :

- Nous ne devons en aucune circonstance prendre une vie humaine. Même si la personne est un danger pour la société. Il existe toujours d’autres alternatives. Tu as laissé tes pulsions prendre le dessus et tu as ressenti le besoin de te venger. Nous ne sommes que des hommes, nous faisons tous des erreurs. Il faut juste l’accepter et vivre avec.

- Je sais que rien ne pourra excuser mon geste balbutie Shawn, en déglutinant avec peine.

- Normalement, mon devoir serait de te dire que le mieux à faire ce serait de te rendre aux autorités. Mais après tout ce que tu viens de me raconter, ce ne serait sans doute pas la meilleure des solutions.

Shawn hoche la tête, une question lui brûle les lèvres, mais il ne sait pas comment la formuler de la meilleure des façons. Finalement il décide de dire les choses telles qu’elles lui viennent à l’esprit

- Vous croyez vraiment au diable ?

- Oh oui ! Il existe, j’en suis sûr. Il revêt juste différents visages. Nous sommes à une époque où l’obscurité et la violence règnent en maitre. Ce serait un très bon moment pour qu’il puisse faire son come-back. Mais que tu sois son fils, ça je ne sais pas. Toute cette histoire me dépasse. Je sais que rien n’est impossible, mais là j’avoue que c’est vraiment énorme.

Shawn hoche la tête avant de décider qu’il est temps pour lui de prendre congé. Une longue route l’attend, même s’il ne sait pas vraiment où elle le mènera. Mais même si l’inconnu l’a toujours effrayé, cette fois il est décidé et prêt à aller jusqu’au bout. Shawn a besoin de structure, besoin de se retrouver, ce qui n’arrivera pas s’il reste ici. Il n’a pas besoin d’aller voir une voyante pour le savoir.

Le jeune français sait que s’il se dépêche, il aura le temps d’aller chercher ses affaires à l’université avant de se rendre à Union station afin de prendre un des derniers trains. Il n’a toujours aucune idée de l’endroit où il va se rendre, mais il a besoin de souffler et de voir autre chose. Il se dit que s’il y avait une montagne à Chicago avec un monastère, il irait s’y réfugier pour se recentrer sur lui même.

Mais ce n’est pas le cas, la vie n’offre pas toujours ce que l’on souhaite. Le jeune homme sait qu’il n’est pas obligé de partir ce soir, qu’il pourrait prendre le temps de respirer, de panser ses blessures. Mais il a peur de ne plus trouver la force de tout quitter et surtout Sarah, s’il ne le fait pas maintenant.

Le révérend Alessandro se lève à son tour et serre le jeune homme dans ses bras. Shawn est assez surpris, ne s’attendant pas à un tel élan d’affection. Il se laisse tout de même aller dans les bras de l’homme d’église. C’est un geste paternel et Shawn imagine que le sentiment de bien-être qu’il ressent est celui que les enfants éprouvent lorsque leurs pères les prennent dans leurs bras. Le prêtre finit par s’écarter et lui dit :

- Quoi que tu penses, Dieu ne renie jamais ses enfants.

- Espérons alors que je sois bien un de ses fils dit Shawn, pas vraiment convaincu.

- Il faut croire en lui mon fils. Parfois la foi permet de survivre.

- Et parfois, c’est la colère. Merci pour tout, merci de m’avoir écouté !

Le révérend Alessandro allait rétorquer qu’il ne partageait pas son avis, mais Shawn est déjà parti et se dirige vers la sortie. L’homme d’église se tourne vers l’autel et s’agenouille devant. Il sait qu’il ne va pas trouver le sommeil de toute la nuit, tellement cette histoire l’a remuée au plus profond de son être. Il préfère utiliser son temps à prier pour Shawn. Ce dernier va avoir besoin de beaucoup de courage pour continuer à avancer dans la vie et ne pas basculer dans les ténèbres. Shawn est un chic type, cela se voit tout de suite, mais la vie ne lui offre pas que des cadeaux. Le seigneur en a décidé ainsi car il a ses raisons, Alessandro sait que les voies du seigneur sont impénétrables. Si Shawn doit vivre une telle vie, c’est que son destin doit emprunter un tel chemin. Tout ce que le révérend espère, c’est que cette route sera parsemée de joies et de bonheur car le jeune homme le mérite.

Au même moment, centre-ville de Chicago. Le bar le « students friends ». C’est la fermeture, les derniers clients sont partis depuis un petit moment. Le personnel a eu le temps de procéder au nettoyage et au rangement. Sarah se dirige vers la sortie, elle se retourne pour saluer son responsable. Ce dernier est l’archétype de la personne amicale et posé. En le voyant, on ne peut s’empêcher d’avoir envie de sympathiser avec lui. C’est un don qui l’aide beaucoup dans la profession qu’il exerce.

Lorsqu’elle était lycéenne, Sarah avait travaillé pendant ses vacances scolaires dans une boulangerie et son patron était antipathique. La jeune femme se rappelle avoir vécu un véritable enfer. Lorsqu’elle a voulu trouvé un travail à son arrivé à Chicago, elle avait peur de retomber sur le même genre d’employeur. Mais son responsable actuel l’a très vite mise à l’aise et elle ne vient jamais à son travail à reculons. C’est toujours un véritable plaisir. Elle a conscience de la chance dont elle dispose, ce n’est pas donné à tout le monde.

Son responsable vérifie une dernière fois que tout est bien à sa place, avant d’éteindre la lumière.

- On se voit demain, Sarah ?

- Pas de soucis, je finis mes cours à 16h. Comme tu le sais très bien, je n’ai pas de vie sociale, je suis donc entièrement à ta disposition répond-elle avec un sourire sans joie.

- Très drôle. Je ne savais pas que tu étais bourré d’humour. Tu veux que je te dépose, madame la comique ?

- Non, je te remercie, je dois aller voir un ami.

- Fais attention à toi dit il sur un ton paternaliste.

Elle le rassure d’un hochement de tête, avant d’ajuster son écharpe autour du cou et de se diriger rapidement vers le campus universitaire. De toute la soirée, elle n’a pas arrêté de penser à son ami et a attendu avec impatience la fin de son service. Elle n’arrêtait pas de regarder l’horloge, avec l’impression que les aiguilles étaient bloquées. Elle avait totalement la tête ailleurs, mais elle espère que cela ne s’est pas vu durant son travail. Elle ne veut pas qu’on lui pose des questions, ni que cela déteigne sur son job. Elle aurait aimé sortir Shawn de sa tête, mais elle doit le reconnaitre, cela lui est impossible. Sarah est profondément amoureuse de lui, cela ne fait plus l’ombre d’un doute. La jeune étudiante a eu du mal à se l’avouer, mais elle a finit par le reconnaitre et quoi qu’elle fasse, elle ne peut aller contre ses sentiments.

Elle commence à accélérer le pas et sans s’en rendre compte, la jeune étudiante court aussi vite que ses jambes lui permettent. L’air froid lui fouette le visage, mais elle n’y prête aucune attention. Son cœur bat très fort dans sa poitrine, comme un tambour lancé à un rythme endiablé. Elle finit par arriver à destination, essoufflée et tremblant de tout son corps. Ce n’est pas en raison de l’effort qu’elle vient de fournir mais plutôt de la peur qu’elle ressent à l’idée de revoir Shawn et ce qu’elle s’apprête à lui révéler. Mais il est trop tard pour faire machine arrière et comme dirait Jamie : c’est l’heure de vérité ! Ça passe ou ça casse ! Sarah sait en même temps que rien ne prouve que son ami soit bien là, elle pourrait avoir la même malchance que toute la journée. Mais elle veut se persuader que cette fois, les choses seront différentes, elle veut croire en sa chance et en sa bonne étoile.

Au fond d’elle, elle n’a qu’une envie, c’est de se jeter dans les bras de son camarade et de se serrer fortement contre lui. Elle ne lui laisserait même pas l’occasion de s’expliquer. Elle se moque du passé, tout ce qui compte, c’est leurs retrouvailles. Parfois les mots sont superflus, les gestes ont plus d’impact. Elle sait que tous leurs problèmes peuvent disparaitre s’ils le souhaitent vraiment, elle veut ne faire plus qu’un avec lui. Sentir son corps ainsi que son odeur. Ce serait tellement enivrant ! Rien qu’en ayant cette pensée, son corps est parcouru par un frisson, qui est loin d’être désagréable.

Sarah se sent toute chose, elle n’a jamais ressenti de telles émotions. C’est comme si c’était la première fois qu’elle tombait amoureux. Elle est à la fois irritée de ne pas être maitresse de ses émotions, mais en même temps c’est si magnifique de se sentir pleine de vie, d’être sur le petit nuage de l’amour. Si seulement elle ne se sentait pas si fragile et émotive, ce serait tout simplement parfait !

Sarah sort de ses rêveries lorsqu’elle aperçoit un individu sortir discrètement du campus, qui n’est autre que Shawn. Elle s’apprête à lui faire signe, trop heureuse de tomber sur lui, lorsque soudain, elle remarque qu’il a un sac de voyage entre les bras. Le jeune homme agit de façon étrange, restant dans l’ombre et vérifiant à chaque fois que personne ne le suit. Shawn se déplace d’une démarche rapide et se dirige vers la route à l’opposée d’où se trouve Sarah.

Cette dernière se cache derrière un arbre afin de ne pas se faire voir. Elle a agi instinctivement, elle ne sait pas pourquoi elle a fait ça. Mais elle décide de suivre son ami sans se faire remarquer. Elle n’est pas du genre à espionner les gens, encore moins ses amis proches, elle n’aimerait pas qu’on lui fasse la même chose. Mais le fait que Shawn porte un sac de voyage sur les épaules, l’incite à le suivre afin de découvrir le fin mot de l’histoire. Elle se dit que peut être cela pourrait l’aider à mieux comprendre son amie.

Elle doit reconnaitre que depuis qu’elle connait le jeune français, sa vie a été complètement bouleversée. On l’a agressée, kidnappée et maintenant elle se retrouve à jouer les détectives en herbe. Le moins qu’elle puisse dire, c’est qu’elle ne s’ennuie pas avec lui. Mais parfois, Sarah se dit que retrouver une vie plus paisible ne lui ferait pas de mal. Mais pas au prix de perdre Shawn, cela il en est hors de question.

Sarah prend conscience qu’il ne lui est plus possible de se mentir à elle-même. Elle est totalement amoureuse et prête à tout pour que cet amour voie le jour. Il faut juste qu’elle ait une sérieuse conversation avec Shawn. Elle ne lui permettra pas de se défiler…pas cette fois. Son rythme cardiaque s’accélère, à l’idée que le jeune français puisse quitter le pays pour toujours. Ce serait un coup trop dur pour le moral de la jeune femme.

Une fois qu’il a enfin rejoint sa chambre universitaire, Shawn n’a pas perdu de temps, il s’est dépêché de regrouper ses affaires importantes. Il aurait aimé prendre plus de vêtements ou d’objets, mais il n’a pas pu se permettre ce luxe. Il doit voyager léger et donc se contenter du minimum. Ce n’est pas le moment d’être matérialiste, mais uniquement se concentrer sur les points essentiels. Pendant son « déménagement », Shawn a tenté de faire le moins de bruit possible, n’ayant aucune envie de tomber nez à nez avec Griffin ou Scarlett. Il n’aurait pas su quoi leur dire et surtout il est fatigué de mentir à longueur de journée à ses proches. Mais heureusement, il n’a croisé personne sur son chemin.

Il a également pu éviter les vigiles qui tournent autour du campus la nuit. L’étudiant n’avait aucune envie de donner des explications sur le fait de se balader la nuit avec un sac de voyage. On aurait pu croire avec son attitude et sa démarche qu’il s’agissait d’un voleur. Mais tout c’est bien passé, sa bonne étoile continue à veiller sur lui. Il faut reconnaitre qu’il en avait bien besoin, il a failli perdre la vie à plus d’une reprise dans les dernières 24h. Le jeune étudiant a pu s’enfuir de l’université et après plus d’une demi-heure dans le métro, sans se douter que Sarah le suit de prés. Shawn arrive enfin à la gare ferroviaire de Chicago.

Shawn sent la déprime l’envahir. Un poids vient de lui tomber sur les épaules, cela lui fait tellement mal au cœur de devoir tout quitter. Alors qu’il avait enfin réussi à s’installer et se sentir chez lui dans un endroit. Mais il n’a pas le choix, il doit mettre de la distance avec cette nouvelle vie, aussi merveilleuse soit-elle. Il doit se lancer dans une nouvelle expérience, même s’il ne sait pas encore laquelle. Sa vie actuelle doit faire partie du passé, il ne doit plus y repenser. Il ne veut plus mentir à quiconque et il se refuse de leur faire courir le moindre risque. Personne ne doit être blessé à cause de lui. Ainsi pour éviter tout cela, il n’existe qu’une solution : la fuite.

C’est la deuxième fois que Shawn se rend dans ce grand édifice, qui est considérée comme un des bâtiments ferroviaire les plus remarquables des Etats Unis. La première fois qu’il est venu ici, c’était avec Sarah, durant une après midi ensoleillée. Ils avaient séché leurs cours et elle lui avait fait visiter la ville et les différents monuments importants. Le jeune homme aimerait revenir à ce moment idyllique. Pourtant cette fois, Shawn ne fait pas attention aux architectures, ni aux vitraux qui l’ont pourtant émerveillé la première fois. Le fait que la gare soit une des plus sombres du pays lui convient parfaitement. Cela va de pair avec son humeur maussade. La gare n’est pas très peuplée. Il est prés de minuit et il ne reste plus beaucoup de départ de trains. Shawn regarde le tableau d’affichage, la plupart des trains se dirigent vers le nord du pays tel que Detroit, le Wisconsin ou Minneapolis.

L’étudiant a la tête qui tourne, ne sachant pas quels choix il doit faire. Comment savoir que le chemin qu’il va emprunter sera le bon et que tous les sacrifices qu’il s’apprête à faire seront utiles. Shawn sent que ses jambes tremblent et elles se font de plus en plus lourdes. Il se laisse tomber sur le banc le plus proche, de peur de perdre l’équilibre. Le jeune homme épuisé, enfouie son visage entre ses mains et pousse un long soupir de frustration. Ses jambes tremblent sans qu’il ne puisse rien faire pour les arrêter. Il a l’impression d‘être atteint de la maladie de Parkinson.

Soudain une idée lui traverse l’esprit. Il se rend compte qu’il a manqué de jugement en se rendant à la gare ferroviaire. Après le dernier affrontement avec les membres du gouvernement, il est fortement probable que des agents surveillent les différents transports en commun, au cas où l’un d’eux chercherait à s’enfuir. Shawn ne peut s’empêcher de s’en vouloir. Il s’est jeté dans la gueule du loup, comme un débutant. En tout cas pour le moment, personne n’a tenté de l’arrêter. L’étudiant finit par pousser un long soupir, trop fatigué pour jouer les névrosés. Peu importe ce qui lui arrivera, plus rien n’a d’importance.

Son avenir est incertain, il ne sait pas du tout de quoi demain sera fait. Il n’arrive même pas à savoir s’il devrait se rendre dans un autre état américain ou carrément quitter le pays. Pour aller où ? Et faire quoi ? Les questions qu’il se pose restent ouvertes et il n’a pas l’ombre d’un indice.

La colère qui brûlait au fond de lui, à laisser place à un sentiment de peur qui le paralyse complètement. Il ne pensait pas que l’inconnu l’effraierait à ce point. Shawn s’est toujours vu comme un aventurier en quête de nouvelles expériences, pourtant cette fois ce n’est pas le cas. N’est pas « Indiana Jones » qui le souhaite !