chapitre 3

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Deux heures plus tard, une pluie fine s’abat sur la ville. Elle ne dure que quelques instants mais c’est suffisant pour qu’une personne, endormie sur un banc, sorte de ses rêveries. Des gouttelettes s’abattent sur son visage, il ouvre les yeux lentement avant de les refermer deux secondes après, lorsque de l’eau s’y est introduite. Il frissonne et se relève rapidement. Il s’agit de Shawn, ce dernier regarde de tous les cotés et commence à paniquer.

L’étudiant ne se rappelle pas comment il s’est retrouvé ici. Tout ce qui lui revient en mémoire est un long cauchemar. Ce dernier semblait si réel, il y voyait un homme qui ressemblait à un sdf se faire agresser. Dans son cauchemar, il avait l’impression que c’était lui l’agresseur, mais qu’il ne disposait pas de son libre arbitre. Il ne pouvait pas empêcher ce qui arrivait au pauvre bougre. Il revoit le visage horrifié du sdf avant que ce dernier ne perde connaissance. Cette image le hantera pendant longtemps.

Le jeune français essaye de faire abstraction de ce cauchemar et regarde les environs. Il reconnaît le coin et cela ne le rassure aucunement. Il se trouve au muséum campus, à l’intérieur de Grant Park. Il y était déjà venu avec Sarah, lorsqu’elle a tenu à lui servir de guide afin de découvrir Chicago. Shawn se trouve très loin de son université, il se demande comment il est venu ici. En volant ?

Il fouille ses poches mais son pantalon est vide, pas d’argent, ni de ticket de métro. Et surtout en se couchant, Shawn ne portait qu’un caleçon, alors qu’en cet instant présent, il est vêtu de la tête aux pieds. Le jeune français n‘y comprend rien, mais une chose est sûre, il est frigorifié et trempé jusqu’aux os. Il regarde une dernière fois dans les environs, au cas où il trouverait un indice qui expliquerait ce qui lui arrive. Mais il finit par abandonner, ne sachant pas par où commencer.

Shawn espère de tout son cœur que personne ne l’a aperçu, ou pire pris en photo. Il n’a pas envie de voir sa photo demain, en premier page dans les journaux. Il imagine déjà le titre « Superman existe, il vole au dessus de Chicago… et il est noir ».

N’ayant pas vraiment d’autres choix, Shawn se cache derrière des buissons, afin de se faire le plus discret possible. Puis une fois qu’il se sent rassuré, il finit par s’envoler et retourne le plus rapidement possible en direction de son campus universitaire. Le jeune homme vole aussi haut qu’il le peut afin d’être le moins visible. Il n’aime pas du tout cette idée, mais il n’avait pas d’autres moyens pour retourner vite et discrètement chez lui.

Traverser la ville à pied aurait été une vraie torture, surtout qu’il n’a pas de manteaux. Le froid l’aurait achevé avant d’être à mi-parcours. Jusqu’à présent, il n’avait jamais été victime de somnambulisme, ce n’est pas une bonne nouvelle pour lui. Avec les pouvoirs qu’il est loin de contrôler, ce serait un véritable cauchemar, s’il les utilisait pendant ses crises de somnambulisme. Encore un nouveau problème à rajouter à sa liste, comme s’il n’en avait pas suffisamment ! Il ignore encore comment réagir, mais Shawn sait qu’il doit trouver une solution et vite.

Il finit par réussir à rejoindre sa chambre, la première chose qu’il fait est d’enlever son t-shirt mouillé qui le frigorifie. Il jette un coup d’œil circulaire mais ne remarque rien d’anormal, son lit est défait, mais à part ça, rien à signaler, tout est à sa place. Shawn souffle un bon coup. Pendant un instant, il a eu peur d’avoir fait une crise dans sa chambre et de tout retrouver sans dessus dessous. Le jeune homme regarde son réveil, ce dernier indique 4 heures du matin, le ciel est encore sombre à l’extérieur. Shawn souffle en se rappelant s’être endormie vers 19h30.

Il se demande ce qu’il a bien pu faire pendant ses huit heures et demie. Il se sent fatigué, mais pas comme s’il n’avait pas dormi de la nuit. Est-ce qu’il est devenu somnambule au bout d’une heure ou de cinq ? Où est ce qu’il était avant de se réveiller au parc ? A-t-il parlé avec des gens ? Ce ne sont qu’une infime partie des questions que le jeune homme se pose, les retournant dans tous les sens dans sa tête. Mais il sait que cela ne sert à rien, tant que sa mémoire ne lui sera pas revenu, les autres questions resteront sans réponses.

- Qu’est ce que c’est que ces conneries, je deviens somnambule maintenant ! C’est de mieux en mieux.

Shawn souffle un bon coup et tente de faire le vide en lui, il se touche la nuque et réfléchit. Le jeune français n’arrive pas du tout à expliquer son comportement et cela le perturbe grandement. Il sent encore le poids d’une immense solitude sur ses épaules, ne pouvant en parler à personne. Il se demande si ce n’est pas la pression de ces derniers mois, qui commence à le rendre fou.

- Qu’est ce qui va encore m’arriver bordel ! s’exclame Shawn avant de pousser un long soupir et de se laisser tomber de tout son poids sur son lit.

Lendemain matin, université de Chicago. Shawn a eu le plaisir de se réveiller dans sa chambre. Au moment où il ouvert ses paupières, il a eu peur d’avoir eu une nouvelle crise et de se réveiller à l’autre bout de la ville. Le jeune homme sait qu’il doit trouver un moyen de régler ce problème, sinon il risque d’avoir peur de s’endormir le soir. Il doit déjà vivre avec des pouvoirs qu’il ne contrôle pas, alors s’il ne sait pas ce qu’il fait pendant la nuit. Cela va finir par faire beaucoup et il n’est pas sûr d’avoir les épaules assez solides pour tout encaisser.

Après un petit déjeuner frugal, le jeune étudiant se rend au bâtiment où il a cours, entre dans l’amphithéâtre et voit Sarah assise au premier rang avec à ses cotés Jamie. Ils sont en grande discussion, Shawn se presse de les rejoindre et de s’assoir à leurs côtés.

- T’as toujours une sale mine ! s’exclame Jamie, en guise de salut.

- Tu as toujours le mot qu’il faut. Je n’ai pas beaucoup dormi mais mes migraines ont disparu. Enfin pour le moment dit Shawn, espérant que cela va continuer ainsi.

- Je t’avais dit que mon remède c’était du lourd dit Sarah, en lui faisant un clin d’œil complice.

- Je te remercie encore une fois.

Sarah acquiesce de la tête et hausse les épaules, pour lui faire comprendre que c’est tout naturel. Et que de toute façon, ce n’est pas nécessaire qu’il la remercie car elle n’a pas fait grand-chose.

- Tu es au courant de ce qui s’est passé hier soir ? demande Jamie

- Non, quoi ? demande Shawn, curieux.

- Un sdf s’est fait salement agresser en ville, ça fait la une des journaux dit Sarah.

Le teint de Shawn blêmit en entendant ses paroles et il déglutie avec peine. Heureusement pour lui, personne ne remarque son changement de comportement. Il ne peut s’empêcher de penser au cauchemar qu’il a fait, avant de se réveiller sur ce fameux banc hier soir. Il sait qu’il ne s’agit pas d’une simple coïncidence, ce serait trop facile. On ne le laissera donc jamais en paix ! Quand est ce qu’il pourra vivre une vie sans histoire. S’il existe des instances qui tirent les fils du destin, elles doivent bien s’amuser à le tourmenter. Dans quel merdier s’est-il encore fourré !

- Il est encore en vie ? On n’a pas d’autres infos dessus ? demande Shawn, désireux d’en savoir davantage.

- Je crois qu’il est toujours dans le coma. Ce n’est pas très précis dans le journal dit Jamie, en haussant les épaules.

- On n’est nulle part en sécurité dit Sarah, toute tremblante et parcourue par un frisson, en repensant aux traumatismes qu’elle a vécus dernièrement.

- Viva l’Amérique ! s’exclame Jamie, sur un ton sarcastique.

- Je ne trouve pas ça drôle dit Sarah, qui ne peut empêcher sa voix de trembler.

Dans son état normal, Shawn aurait voulu l’enlacer pour qu’elle se calme dans ses bras. Mais dans l’instant présent, il est encore sous le choc de la nouvelle et ne pense à rien d’autre.

- C’est la vie, tu ne peux rien y faire. Ça ne changera rien de flipper alors faut juste vivre et faire gaffe dit Jamie.

- Belle philosophie, j’adhère dit Shawn, qui tente de ne pas montrer à quel point il est affecté.

- Si seulement c’était aussi simple ! s’exclame Sarah tristement, perdue dans ses sombres pensées.

Durant la pause déjeuner, Shawn a réussi à découvrir sur internet le nom de l’hôpital où le malheureux a été transporté. Il s’éclipse rapidement de l’université et prend un autobus en direction de l’établissement. Espérant avoir le temps de revenir avant la reprise des cours. Il se rend compte que s’il arrêtait la faculté, il aurait tout le temps nécessaire pour contrôler ses pouvoirs et réfléchir sur leurs significations. Mais il ne le fera jamais.

Les cours de l’université sont peut-être un frein à sa deuxième « activité », mais ils lui permettent de ne pas devenir fou, en y pensant à longueur de journée. Et surtout cela lui permet d’avoir l’impression d’être normal, d’être un étudiant lambda. Pendant toute la durée du trajet, Shawn est assez tendu, il inspire et expire à fond afin de se sentir mieux. Il tente de faire le vide en lui, mais malheureusement cela ne fonctionne pas comme il le souhaiterait.

Depuis son plus jeune âge, il a une sainte horreur de tout ce qui touche à la médecine, cela l’horripile au plus haut point. C’est psychologique, il a beau se persuader qu’il ne risque rien, ça ne fonctionne jamais. Il ne peut s’empêcher d’avoir des sueurs froides et de faire des crises d’anxiétés à chaque fois qu’il se rapproche d’un centre médical. Il a vécu trop de traumatismes en lien avec les hôpitaux.

Mais aujourd’hui, il n’a pas vraiment le choix, surtout s’il est responsable de qui est arrivé. Il doit se concentrer et apprendre le plus de choses possibles sur le sans abri qui s’est fait violenter la nuit dernière. Il prie pour qu’il ne s’agisse pas de la personne qu’il a vue dans son cauchemar car il n’y aurait plus aucun doute possible. Cela voudrait dire qu’il est bel et bien l’agresseur.

L’arrêt de l’autobus est à quelques mètres de l’accueil, mais pour Shawn l’effort est considérable. Le jeune étudiant a l’impression de parcourir des kilomètres, ses jambes semblent lourdes comme s’il avait un poids d’une tonne à chacune de ses chevilles. Il arrive néanmoins à l’entrée de l’hôpital et se dirige vers le plan accroché au mur. L’hôpital comprend 6 étages, chacun contient plusieurs divisions qui sont différentes les unes des autres.

- Génial, comme si j’avais le temps de me promener ! s’exclame tout bas Shawn, exaspéré.

Il se dirige vers la personne à l’accueil et attend patiemment qu’elle ait fini sa conversation téléphonique. Shawn regarde à droite et à gauche, de nombreuses personnes attendent sur des chaises peu confortables qu’une infirmière vienne s’occuper d’eux. Des gens pleurent dans un coin, d’autres semblent souffrir. Shawn ne voit personne heureux, ce qui ne l’étonne guère.

Ce lieu est synonyme de mort et de déception, c’est tout ce que représente l’hôpital pour lui. Il ferme les yeux quelques secondes et revit une scène de son enfance. C’était lors de son séjour en hôpital psychiatrique. Il hurlait, les larmes aux yeux et ne pouvait pas bouger à cause des sangles qui obstruaient tous ses mouvements. Personne ne lui prêtait attention, on le regardait avec des regards vides, avant de le piquer avec différentes seringues.

Personne n’a jamais eu pitié de lui ou ne lui ait dit des paroles réconfortantes. Il n’était rien, ni personne. Rien de plus qu’un insecte avec lequel on s’amuse avant de l’écraser. Shawn était trop petit, trop inoffensif pour se rebeller contre cette injustice. Cette période l’a marqué au plus profond de son être. Shawn avait pensé à aller voir un hypnotiseur pour oublier tous ses traumatismes. Mais il a trop peur de ce qui pourrait arriver s’il était plongé dans un état second.

Shawn sort de sa rêverie lorsqu’il entend quelqu’un parler avec insistance. L’étudiant tourne la tête et voit en face de lui la femme de l’accueil qui le regarde d’un air suspicieux. Elle se demande s’il ne s’agit pas d’un drogué, en raison de sa façon de se comporter.

- Je peux vous aider ? demande t’elle d’une voix méfiante.

- Oui, je recherche mon oncle. On m’a dit qu’il était hospitalisé ici. Il est dans le coma dit Shawn, gravement, espérant être convaincant dans son rôle.

- Vous devez vous rendre au troisième étage. Vous y trouverez le service en charge de ce type de patient.

- Je vous remercie, vous êtes bien aimable.

- Vous êtes sûr que c’est tout ce que je peux faire pour vous ? demande t’elle en le regardant de haut sur un ton suspicieux.

Shawn croise son regard, il ne saisit pas tout de suite avant de comprendre pourquoi la femme est si méfiante. Le jeune homme est en sueur, des gouttes dégoulinent de son front et ses mains tremblent, sans qu’il ne puisse l’empêcher. N’importe qui se poserait des questions à son sujet en le voyant ainsi.

- Oui, je vous assure, merci pour votre aide dit Shawn qui essaye de se contenir avant de s’éclipser rapidement.

Le jeune français ne perd pas de temps, son temps est compté. Il utilise un des ascenseurs au fond du couloir et arrive au troisième étage. Il réfléchit à un plan car il sait qu’il ne peut pas se présenter comme une fleur. Le personnel de l’hôpital ne laisse pas les gens voir qui ils veulent et surtout par lorsqu’il s’agit d’une agression et qu’aucun suspect n’a encore été appréhendé.

A la droite de Shawn, une porte s’ouvre et un homme faisant parti du service de nettoyage en sort, après avoir rangé du matériel. L’étudiant jette un coup d’œil à l’intérieur de la pièce. Il s’agit d’un petit cagibi, une idée commence à germer dans la tête de l’intrus. Il attend quelques secondes afin d’être sûr que personne ne l’a remarqué avant de s’engouffrer rapidement à l’intérieur.

A l’intérieur se trouve des serviettes, des draps et autres matériels nécessaire au nettoyage de l’établissement. Shawn se mord la lèvre, ressentant de la culpabilité à cause de ce qu’il s’apprête à faire. Mais il n’a pas le choix et n’a surtout pas le temps de réfléchir à une autre solution. Il se tourne vers les draps et d’une petite pichenette du doigt crée une étincelle qui commence à embraser les draps. Sans attendre plus longtemps, Shawn sort de la pièce et laisse la porte ouverte. Comme il l’avait prévu le feu commence à prendre et pendant qu’une partie des draps flambe, de la fumée se dégage hors du cagibi.

Le jeune noir active le système anti-incendie à coté de lui et un bruit infernal résonne dans tous les couloirs.

- Désolé pour le dérangement ! s’exclame Shawn d’une petite voix pour s’excuser de son action préjudiciable.

Les infirmières aperçoivent la fumée et commencent à s’activer, à la recherche d’un extincteur. Tandis que d’autres s’occupent de rassurer les patients qui commencent à paniquer.

Personne ne fait attention à un jeune individu qui se rend vers le fond du couloir où sont placés les personnes dans le coma. Il n’entre pas dans la chambre, se contente de regarder à travers la grande vitre qui parcourt toute la pièce. En tout, la pièce contient six lits mais seulement trois sont occupés. Il prie intérieurement pour qu’il ne reconnaisse aucun des malades, mais malheureusement l’univers n’a pas décidée de lui faciliter l’existence. La personne qui occupe le lit au centre de la pièce est bien le sans abri qu’il a vu dans son cauchemar.

- Eh merde ! s’exclame Shawn avant de pousser un long soupir.

Perdu dans ses pensées, il ne remarque pas qu’une infirmière se dirige vers lui. Elle attire son attention en lui tapotant l’épaule. Shawn fait volte face en sursautant, la femme d’environ 40 ans le regarde d’un air suspicieux.

- On peut savoir ce que vous faites ici, jeune homme ?

- Rien, plus rien en tout cas dit Shawn d’une voix brisée avant de s’en aller, sans rien ajouter.

L’étudiant ne fait même pas attention à l’infirmière qui lui demande de s’arrêter. Il est tellement troublé qu’il ne l’entend même pas. Il est dégoûté, se sentant responsable de l’état de cet homme qui est entre la vie et la mort. Il ne le connaissait même pas, ce dernier souffrait déjà suffisamment de sa situation de sans abri, alors pourquoi a t’il fallu qu’il s’en prenne à lui.

Il se demande s’il n’est pas en train de perdre à nouveau la tête. Ce qui d’un coté ne l’étonnerait pas. Il est totalement déprimé, plus rien n’a d’importance. Sa vie est fichue avant même d’avoir eu le temps de commencer.

- Qu’est-ce que je fais ! Qu’est ce qui m’arrive, putain !

Il regarde l’heure, s’il ne se presse pas, il sera très en retard à son cours. Même s’il s’agit de la dernière chose à laquelle il pense, Shawn se dépêche de sortir de l’hôpital. Voulant mettre le plus de distance entre lui et cet enfer.

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