Chapitre 42. Claire / Duel féminin

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Je prends mon mal en patience entre ces murs blancs qui reflètent le vide et l'inertie de la situation.

Mon épaule me tire encore un peu sous les bandages mais heureusement aucun ligament n'est touché et je peux bouger les doigts.

J'ignore combien de temps je vais être emprisonnée n'ayant aucun droit à un avocat et le plus risible dans l'histoire, comment un avocat pourrait-il se déplacer avec ce confinement du village ?

Je m'esclaffe, fort heureusement mon moral est au beau fixe, j'ai une confiance en ma bonne étoile. Il faut que j'essaie de convaincre le colonel de ma bonne foi. J'ai cru comprendre que je vais être interrogée bientôt.

Je songe à Pearl et je dois reconnaître que mon avis s’est modifié. À travers les derniers événements, son amour spontané a fini par briser la glace et son originalité m’a conquise. Elle me fait sourire et rire et son extravagance me change du quotidien.

Mon esprit vole ensuite vers Gustave, j'espère qu'il tient le choc, il m'a lancé un tel regard avant que les militaires ne m'emmènent qu'à ce seul souvenir mon coeur chavire.

Des bruits de clé dans la serrure m’extirpent de mes pensées et je me redresse. Je suis surprise de voir Anne-Sophie outrageusement maquillée et suffisante d'écrasantes supériorités.

Sa présence paraît tellement surréaliste que je cligne plusieurs fois des paupières, non, c'est bien elle en chair et en os, avec un tel aplomb dans son sourire que j'ai envie de la gifler pour l'effacer.

Elle se pose délicatement en face de moi et croise ses jambes galbées de bas noirs.

Nous nous affrontons dans un duel silencieux, je la laisse venir, curieuse malgré tout de ce qu'elle va bien pouvoir dire.

— Ma pauvre Claire, quelle folle idée de vouloir sauver Philippe. On ne procède pas ainsi quand on a un peu de jugeote. Mais il est vrai que tu n'en possèdes pas de jugeote, fait-elle dans un rictus narquois.

Je l'écoute sans un mot, que va-t-elle rajouter encore ?

— Et puis quelle idée de t'amouracher de Gustave, il s'ennuiera vite avec toi, une petite pimbêche provinciale sans avenir, sans culture et d'un goût déplorable. Pff, mais que peut-il donc te trouver !

Anne-Sophie me dévisage de la tête au pied en dodelinant de la tête en signe de commisération.

Elle continue sur ce même ton arrogant.

— Tu es mignonne, je le conçois, mais si fade... Certainement l'air de la montagne lui a tourné la tête mais il redescendra vite sur terre une fois qu'il aura ce qu'il veut, crois-moi, tu ne sauras assouvir son appétit. Mais je ne suis pas venue pour cela. Je te propose un marché.

Elle continue de discourir, apparemment insensible au silence que je lui oppose. Elle doit avoir l'habitude de parler devant un auditoire à ses pieds.

— J'ai les moyens de te sortir d'ici mais il faut que tu me promettes que tu ne toucheras pas à Gustave. Tu romps tout contact avec lui, et surtout tu ne mentionnes pas notre arrangement, c'est compris ?

Elle s'arrête enfin de parler et attend une réponse de ma part.

Je la toise droit dans les yeux, soutenant son regard sans ciller, lui faisant comprendre que je ne détournerai pas le visage et que ses paroles ne m'atteignent pas.

Je la sens légèrement déstabilisée et j'en profite alors pour dire calmement.

— Je vous plains sincèrement, vous avez dû souffrir énormément pour être aussi cruelle et méchante mais ce que vous semblez ignorer c'est que tout se paye. Ce que l'on sème, on le récolte un jour, c'est une loi spirituelle dont j'ai fait l'expérience, encore faut-il être assez éclairé et sensible pour le comprendre.

Vous avez des valeurs et des principes que je ne partage pas et je ne suis pas votre marionnette comme toutes les personnes que vous manipulez.

Quant à Gustave, c'est un homme libre et sensé, c'est à lui de choisir et de décider. Quant à ma situation actuelle, je l'assume et ne m'en plains pas. Je n'abuserai pas de votre faveur pour ne rien avoir à vous rendre.

Je ne vous raccompagne pas, vous avez su entrer, vous saurez repartir.

Je clos la discussion en m'adossant contre le mur et en fermant les yeux.

Je fais abstraction de l’entourage et mentalement je récite ces lignes :

Il y a les mots qui apaisent

Il y a les mots qui excitent

Il y a les mots qui énervent


Il y a toi

Il y a moi


Et tous ces mots

Qui forment des barrières

Qui ne laissent filtrer

Aucun sentiment


Pas de compassion

Pas de compréhension

Rien que le refus

La dénégation


Et ces mots font mal

Le cœur s'endurcit

Et cela fait encore plus mal

De le voir ainsi

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