Chapitre 43 : Loyauté et questionnements (2/2)

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Tout ce temps-là, Nafda et Dénou étaient restées dans leur buisson. Elles se redressèrent plusieurs minutes plus tard, assurées que plus personne ne peuplait les environs. Un tel mutisme aida l’assassin à réfléchir. La tribu Iflak… Ce nom m’est familier. C’est de là que vient la chamane que Nerben a tuée !

— Une chose de réglée, alors ? fit Dénou. Cette armée part en déroute ! J’aurais bien affirmé que cela affaiblit celle de mon frère, mais puisqu’il a recruté des mercenaires… Une vague entière risque de fondre à l’est ! D’obscurcir le désert d’Erthenori…

— L’impératrice possède la plupart de ses forces près de cette région, affirma Nafda. Tôt ou tard, elle apprendra l’existence de cette rébellion, si ce n’est pas déjà fait.

— Nous devons contribuer à l’arrêter, pour reprendre tes propos ! Quittons ces montagnes, nous aussi. Il nous faudra beaucoup de temps pour les rattraper, même si nous avançons plus vite qu’eux.

— Soit. Mais d’abord, un petit détour.

— Quoi ? Où vas-tu emmener, encore ?

— Vas-tu cesser de geindre ? Une opportunité unique se dresse devant nous. Comme ils l’ont mentionné, les éclaireurs sont partis rejoindre la tribu Iflak. Tu te souviens de la chamane lors de l’échange ?

— Celle dont Nerben a fendu le crâne ?

— Oui.

— J’ignorais qu’elle appartenait à cette tribu.

— D’où l’importance d’être attentive. Quoi qu’il en soit, il est très probable que Horis et Médis soient retournés là. C’est le moment ou jamais de les occire.

Nafda entreprit de bouger, mais Dénou lui attrapa le poignet, et maintint ce contact en dépit du foudroiement de regard. Qu’elle est horripilante, celle-là !

— Cela en vaut vraiment la peine ? interrogea-t-elle. C’est un risque supplémentaire !

— Que je suis prête à prendre, rétorqua Nafda.

— Pourquoi tu en fais une affaire aussi personnelle ?

L’assassin plaqua ses mains sur les épaules de la jeune fille et l’intimida ce faisant. Ses traits se durcirent, ses paupières s’étrécirent.

— Horis est apparu à plusieurs reprises dans mes rêves ! s’exclama-t-elle. Quelque chose nous lie, mais sa nature m’est encore inconnue. Autant en avoir le cœur net.

Dénou fit la moue avant de consentir. Je vais devoir me la coltiner jusqu’à un lieu sûr. Pourvu que ses remarques se raréfient. Assurée de son obédience, Nafda se tourna vers la déclive. Des enneigés tutoyaient le ciel au loin, matérialisées en multiples crêtes blanchâtres.

Mais il existait des endroits bien plus inaccessibles. Par-delà les cèdres, où s’étaient rassemblées les troupes, Nafda entreprit l’ascension du versant. De fraîches traces de pas marquait la terre à côté de la rivière : même si elles s’ondulaient sur la pente, elle parvint à extrapoler le chemin pris. Vers les hauteurs. La tribu des Iflaks se situe encore plus écart que les autres.

Nafda se référa aux précédentes foulées. Le dénivelé complexifiait son ascension, mais elle n’en avait cure. Elle se retournait juste de temps en temps pour s’enquérir de Dénou, laquelle déglutissait souvent des lampées d’eau. Linaires et morelles parsemaient le sol à l’ombre des genévriers et des arbustes. Toute cette flore émettait un parfum typique qui cadença leur marche.

Une odeur bien plus forte se répandit. Celle des flammes.

Derrière un alignement de rochers résonnèrent des grésillements. Ni une, ni deux, Nafda se précipita vers l’origine du bruit. Ses lames vibrèrent de plus en plus, surtout lorsqu’elle les dégaina, après avoir déglutit le contenu d’un flacon. Ah, nous y sommes ! Je me prépare, fût-ce par réflexe.

Des cadavres de personnes aux brigandines cloutées gisaient. Étant donné comment leur équipement doit être consumé, ceci est le résultat d’un mage. Une femme armée d’un cimeterre lui tournait le dos, occupée à se dresser face à quelqu’un d’autre. Ce pourquoi Nafda en profita pour la transpercer par derrière. Voici ma contribution !

Une fois ses lames extraites, et l’éclaireuse occise, sa principale adversaire se dévoila devant elle. Des flammèches s’échappaient encore de ses doigts, transformation la plus explicite de son flux. Haletante, victime de quelques égratignures, la mage mit un certain temps avant de reconnaître Nafda.

La mine de Médis s’affaissa aussitôt.

— Encore toi, dit-elle, lèvres tremblantes. Malgré l’immensité de notre empire, nous nous croisons continuellement.

Au sourire de Nafda s’ajoutait sa garde. Une paire de lames éclaboussée d’écarlate, réclamant l’énergie qui habitait la mage.

— Ce n’est pas une coïncidence, expliqua-t-elle. Je te poursuivais.

— Aux dernières nouvelles, répondit Médis, tu étais prisonnière de ces deux mystérieux individus. Tu t’es donc évadée, et ta première décision a été de revenir dans ces montagnes, toujours avec cette adolescente qui se cache derrière un rocher.

— J’ai mes propres obsessions… Horis en fait partie. Tu n’y as pas trop fait attention, mais quand j’étais prisonnière de Khanir, nous avons eu de nombreuses discussions. Son premier objectif est d’assassiner l’impératrice. Le mien est d’assassiner pour elle. Nous sommes opposés.

— Pas de chance pour toi, il a d’autres priorités. Il traqua Nerben au nom d’une vengeance qui le ronge. J’ai essayé de communiquer par télépathie avec lui depuis, mais il ne m’a donné aucune nouvelle.

Nafda fronça les sourcils. La voilà bien loquace, prompte à tout dévoiler. Où est donc la tribu qu’elle est censée avoir rejointe ? Elle fit tournoyer ses lames entre ses doigts, engendrant la chute du sang, tandis que Médis accumulait le flux de son environnement.

— Nous partageons aussi un lien, déclara-t-elle. Bérédine t’a libérée. Elle avait ses raisons, mais cela a amené tant de catastrophes… Y compris sa propre mort.

— Elle a pris sa décision, répliqua Nafda. Ceci dit, je me dois de la remercier. Sans elle, Khanir m’aurait exécuté. La vie n’a pas été facile depuis, mais c’est préférable à la mort.

— Khanir l’a tuée et il a payé. Beaucoup de choses ont changé. Ce qui est certain, c’est que tu restes une ennemie. Tant des nôtres ont succombé par ta main. Cœur Sec, je vais apporter la justice.

— Tout le monde connaît mon surnom, décidément. Tout comme ma réputation. Puisque j’ai tué tant de mages, pourquoi aurais-tu la moindre chance contre moi ?

— Tu fonctionnes par lâcheté. Tu attaques par surprise, tapie dans l’ombre, puis tu attaques. Nous sommes à terrain découvert, et je te connais. J’ai l’avantage.

— Médis Oned est donc arrogante en plus d’être aveugle. Quelques minutes me suffiront amplement pour dissiper tes illusions.

— Je ne pense pas. Bérédine t’a sauvée. Je vais accomplir l’inverse.

L’étau se resserrait entre la mage et l’assassin.

Face à face, elles se fixèrent avec intensité, avec hargne. Elles s’étaient placées en position offensive, inspirations lourdes mais ponctuelles, leurs atouts rassemblés dans le creux de leurs mains.

Les duels possèdent aussi leur charme. Il me suffit d’adapter mes compétences à la situation. D’anticiper mon adversaire. L’absence de Horis est triste, mais sa présence compensera.

— Ta sœur jumelle doit beaucoup te manquer, lâcha Nafda. Grâce à moi, tu vas bientôt la rejoindre.

Un vrombissement secoua les alentours.

Ce fut juste une distraction. Car en avisant sous ses pieds, l’assassin ressentit l’ébranlement menaçante. Elle plongea d’instinct sur le côté, et aussitôt fût-elle éblouie. Une large colonne de flammes tourbillonna sur près d’une vingtaine de mètres de hauteur. Des lueurs jaunâtres et rougeâtres s’amalgamaient dans un ensemble destructeur, dont Dénou s’éloigna encore plus.

Épuiser tant de ressources en un claquement de doigts. Quel gâchis ! Courbée à sénestre de son adversaire, Nafda disposait d’une ouverture dont elle profita. Elle effectua une roulade vers l’avant. À proximité de Médis régnait cependant une énergie prompte à la repousser. L’assassin croisa ses bras de justesse, absorba la plupart de la boule de feu avec ses dagues, mais des jets impactèrent certaines parcelles de peau.

Grinçant des dents, Nafda ne lâcha pas Médis des yeux. Elle ne m’infligera pas la moindre contusion ! J’ai appris de mes humiliantes défaites ! La mage généra une succession de sphères incandescentes. Il était aisé pour Nafda de les dévier et les dissiper. Pourtant, à mesure que les assauts s’enchaînaient, ils gagnaient en puissance et en rapidité. Si cela continue ainsi, je vais céder ! Hors de question de finir sous ses flammes.

Un pied vers l’avant, l’assassin se dressait contre les vagues embrasées. Par-delà la tempête ardente s’acharnait une mage qui épuisait son flux à vue d’œil. Une faille, et je l’abats ! Dans le feu de l’action, Nafda étudiait davantage ses mouvements. La façon dont Médis ployait les genoux, réalisait des pas de côté, écartait ses doigts pour que la magie jaillît de ses paumes. Chaque fois qu’un sort était avorté, elle s’acharnait, encore et encore. D’une feinte Nafda évita l’attaque subséquente, puis tenta de lui asséner un coup de biais. Médis eut toutefois le réflexe de lever le coude. La pointe d’une dague le cisailla, ce qui lui arracha un hurlement. La douleur ne l’empêcha guère de déployer une lance enflammée que Nafda évita d’un bond en arrière.

L’assassin pantela. Peut-être s’agissait-il du bon moment pour une riposte, puisque Médis tentait tant bien que mal de cautériser la taillade. Reprendre son souffle constituait néanmoins la priorité pour Nafda. Elle comme son ennemie se fixa lors de ce répit. Esquintées mais pas effondrées. Infléchies mais guère vaincues.

Pourtant l’environnement endurait sa déliquescence. L’herbe et les buissons s’étaient noircis. Les feuilles se racrapotaient. L’air s’était vicié, quoiqu’il s’agît d’une sensation plutôt qu’une tangible transformation.

La magie aspire l’énergie vitale si employée abusivement. Opposée à la nature, elle n’a pas sa place dans ce monde.

Mais elle est aussi capable de bonnes choses.

Quelle pensée traitresse vient de me traverser l’esprit ?

Peu importe, elle se dissipera. Le métal surpassera les flammes. L’assassin triomphera de la mage. Comme chacun des précédents affrontements.

Médis généra de nouveaux jets de flammes. En les désaxant, Nafda remarqua que leur intensité diminuait. Des limites à leur pouvoir, c’est ce qui cause toujours leur perte. Néanmoins le déploiement de sorts était si régulier qu’elle échouait à se frayer un chemin dans les défenses. Elle se limita alors à la défense, guettant la bonne opportunité, exsudant à grosses gouttes.

Impatiente, irritée, Médis riposta par elle-même. Des flammes auréolèrent son poing comme elle chargea en un vif élan contre son opposante. Nafda déploya ses dagues d’où s’ensuivit une retentissante collision.

Nafda et Médis s’immobilisèrent. Se toisèrent. Des tremblements se transmettaient de leurs bras au reste de leur corps. De nouveau, l’assassin avait annihilé le brasier, limitée à des flammèches. Résistèrent les phalanges entrechoquées avec les lames. Persistèrent les deux combattantes contre la tentation de céder.

— Tel est le défaut d’une magie spécialisée, assena Nafda. Elle devient prévisible.

— Tu en certaine ? répliqua Médis.

Un autre poing surgit, frappa le torse de Nafda.

Elle bascula en arrière pour une âpre chute. La brûlure la lancinait tandis que la roche lui râpait le dos. Ma chair est calcinée. Si je ne réagis pas très vite, elle va m’achever. Or auguraient ses pires craintes lorsque le feu se coalisait. Par-dessus l’assassin, la mage dominait, les traits rigides et le regard malfaisant. Là où les paumes s’ouvraient se déroulaient les flammes.

Mais Nafda surmonta sa douleur. Ses bras filèrent tel l’éclair. Sa fidèle paire de dagues cisailla les mains de Médis, son élan brisé et les yeux écarquillés. Tu fais moins la fière, maintenant ? Prenant appui sur le sol, l’assassin se propulsa sur la hauteur, et tournoya ses lames à une vitesse surhumaine. Elle taillada bras et jambes de son adversaire dont l’équilibre fut rompu.

Médis était étalée par terre. Des estafilades la déchiraient de part en part. Elle s’évertuait à générer des flammes pour se soigner, mais l’effort s’avérait trop coûteux.

Rien qu’apercevoir le large sourire de Nafda la secoua. Hélas pour toi, il n’y a aucune échappatoire. L’assassin contempla sa réussite quelques secondes. Si j’ai su riposter, elle le pourrait aussi, surtout avec sa magie ! Après quoi elle se pencha sur sa cible, une dague calée contre sa gorge, l’autre brandie de pleine conviction.

— Achève-moi, murmura Médis en haletant. Je t’ai laissée une marque qui t’affaiblira à jamais.

— Elle cicatrisera, comme toutes les précédentes ! se targua Nafda.

Plus qu’un mouvement et elle vaincrait. La lame pénètrerait la chair, transpercerait le crâne, et Nafda serait comblée. Un tantième triomphe s’inscrirait dans le sang.

— Vas-y ! encouragea Dénou derrière elle. Cette maudite mage est à ta merci !

La voici sortie de sa planque. Elle est venue admirer ma réussite ? Son cœur, battant à haute vélocité, s’emplit de fierté. Comme le silence se prolongeait, comme Médis était ankylosée sous son ennemie, Nafda s’imaginait savourer le moment. Doigts courbés autour de sa poignée, l’acier luisant envers et contre tout. Son bras trémulait cependant plus que de coutume.

Elle releva légèrement la tête et réalisa. Un regroupement de nomades poussait des gémissements horrifiés : nul parmi eux n’osa s’approcher. Nafda identifia également deux mages qui appartenaient naguère à la même rébellion que Horis et Médis.

Toujours souffrante, la vaincue jeta un coup d’œil en arrière, et s’attarda sur l’homme en surpoids et portant un turban écru.

— Salagan…, reconnut-elle.

L’état de la mage en terrifia plus d’un. Plusieurs se risquèrent à intervenir, dont les anciens mages rebelles, toutefois Salagan les freina dans leur élan.

— N’intervenez pas ! supplia-t-il. Secourir quelqu’un en détresse est trop dangereux dans ce cas-ci ! Cela répandrait encore plus de violence. Nous ne pouvons rien faire, malheureusement…

Nafda fronça les sourcils tout en étouffant un ricanement. Tel est donc le destin de Médis. Personne ne peut la secourir ! Elle s’apprêta à asséner le coup final.

Mais s’arrêta au beau milieu de son mouvement.

Un lugubre silence teinta les alentours. Au centre des préoccupations, Nafda échouait à exécuter ce simple geste. Elle n’était même pas capable de réfréner ses tremblements. C’était comme si tout échappait de son contrôle. Un éclair qui fendait son esprit, un subconscient qui l’enjoignait de tout cesser.

Elle n’est pas une entité maléfique. Elle s’est juste rendue ici pour protéger une innocente tribu. Contre l’armée de Ruya, mais aussi contre d’autres menaces.

Qui suis-je si je l’occis ?

Nafda. Assassin de l’impératrice. Ou Cœur Sec, comme ils me surnomment. Je déborde d’assurance. Sinon Bennenike ne m’aurait pas choisie !

— Qu’est-ce que tu attends ? s’impatienta Dénou. Tu as assez atermoyé ! Tue-la, maintenant !

Les nomades et les mages assistèrent à la scène, impuissants. Médis ferma les paupières, acceptant la fatalité. En une seconde, Nafda scellerait une destinée, purgerait une aura pernicieuse de plus.

Il n’en fut rien. Rengainant ses dagues, se redressant, elle fit volte-face à la stupéfaction de tout un chacun. La brûlure lui arrachait encore des rictus de douleur, mais elle préférait la soigner par après.

— Nous partons, décréta-t-elle à Dénou.

— Je rêve ? s’irrita l’adolescente. Elle est là, à tes pieds, prête à finir six pieds sous terre, et tu l’épargnes ? Pourquoi m’as-tu emmenée jusqu’ici si c’est pour…

Nafda lui flanqua un coup de poing au visage. Geignit la jeune fille au moment d’emboîter ses pas, plaquant ses mains sur son nez pour endiguer le saignement. Derrière elles couraient des nomades plongés dans l’incompréhension. Ils se hâtèrent au secours de Médis, ce alors que l’assassin avait déjà disparu de leur vue. Étrange que même les deux mages ne soient pas intervenus plus tôt.

De retour dans la nature, Nafda et Dénou entamèrent leur descente. Un contrebas bien plus étendu les cernerait pour le début de leur trajet.

— Tu dois soigner ta brûlure ! signala Dénou.

— Assurons-nous d’abord de bien nous éloigner, dit Nafda. Puis la véritable traque débutera. Nous rattraperons Phedeas avant que l’empire ne finisse à feu et à sang.

— Je ne comprends pas… Pourquoi tu l’as épargnée ?

— Je ne comprends pas non plus.

Qu’est-ce que Niel et Leid ont fait de moi ?

Pour la première fois depuis que je suis une assassin, j’ai épargné une mage.

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