Chapitre 41 : Menace approchante (2/2)

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Bientôt l’astre diurne atteindrait le ponant, aussi Oranne s’empressa de rejoindre sa chambre afin de se changer. Elle ôta son modeste chemisier qu’elle troqua contre une jupe ambrée à dentelles. Face à son miroir, une fois parfumée, elle s’observa un long moment. Inutile d’être angoissée. Il s’agit juste d’un dîner entre nobles, après tout. L’impératrice sera ravie de ma présence, et les récentes plaies pourront être effacées.

Elle fut la dernière à se rendre au dîner. Une quinzaine de nobles s’était congloméré autour d’une table ovale, serti d’une nappe en motif de robinier, sur laquelle étaient posés couverts et gobelets argentés. Ils étaient assis sur des chaises aux accoudoirs d’orichalque. À leur bout triomphait l’impératrice en personne, sirotant une liqueur de figue, flanquée de Koulad et de Badeni.

— Bienvenue, Oranne ! s’enthousiasma Bennenike, déployant un trop large sourire. Installe-toi donc !

Ravalant sa salive, la diplomate avisa combien sa gorge était sèche. Ce jus de raisins m’avait bien rafraîchie, mais plusieurs heures se sont écoulées depuis. Elle se plaça avec lenteur sur sa chaise, comme si elle désirait atermoyer l’échéance, pendant que la dirigeante se raidissait. D’un regard perçant, propageant son aura, la dirigeante s’assurait de capturer l’attention de tout un chacun.

— Ces derniers temps ont été très perturbés, déclara-t-elle. Or cette période trouble est loin d’être achevée. J’ai en effet reçu des nouvelles de l’ouest, et c’est assez… surprenant.

— Allez droit au but, dit Koulad. Ils méritent de savoir.

Oranne s’était servie un fond de liqueur sans lâcher Bennenike des yeux. Ses traits et ses paupières s’étaient plissés, toutefois l’impératrice conservait la mainmise sur la parole.

— Un épisode de trahison qui s’est terminé en violence ! s’écria-t-elle. Voici comment les faits se sont déroulés, d’après la lettre que j’ai reçue. Mon assassin personnelle, Nafda, enquêtait sur les agissements de mon neveu, Phedeas Teos. Elle est parvenue jusqu’à un campement rempli de gens armés. Elle y a découvert une captive de grande valeur… Ma nièce, Dénou. Puis elle a été faite prisonnière à son tour, non sans en occire quelques-uns. Qui dirigeait ce beau monde ? Phedeas lui-même !

Oranne faillit avaler de travers mais se retint de tousser. Mon fiancé a rassemblé son armée comme prévu, mais pourquoi il a capturé Dénou ? Ça ne fait aucun sens ! Elle aurait dû rester en dehors de tout cela ! Aucun dommage collatéral… Des chuchotements se propagèrent au-delà de sa propre personne bien que la forte voix de l’impératrice les exhortât à se dissiper. L’envie de ne lui manquait guère de se crisper à ses accoudoirs. Souffle ralenti, exsudant. Rien qui pût dissimuler ses secrets.

— Et ce n’est que le début, reprit Bennenike. Phedeas a recruté une armée composée de milliers de sympathisants. Mercenaires, membres de tribu nomades des montagnes d’Ordubie, il s’agit de troupes conséquentes. De nombreux mages sont affiliés à eux par surcroît ! Quand j’avais déclaré la Grande Purge, peut-être aurais-je dû me focaliser aussi sur ces montagnes d’apparence inaccessibles… Elles appartiennent aussi à l’empire, après tout, en dépit de leur certaine indépendance.

— Vous avez éliminé un grand nombre des mages de l’empire, félicita Badeni. Personne ne va vous blâmer pour cet oubli.

— Pas vraiment un oubli, plutôt une concentration inégale de mes ressources armées. Toujours est-il que Phedeas a réussi à prendre contact avec mes anciens espions, Leid et Niel, qui étaient en réalité des mages. Ils ont réussi à capturer plusieurs mages. Ce nom vous est inévitablement évocateur, et mon neveu ne s’y est point trompé : sa tête possède une certaine valeur. Ils voulaient l’échanger contre Nafda et Dénou, car Phedeas cherchait forcément à persuader un mage aussi puissant de rejoindre sa cause. La milice est alors intervenue pendant l’échange, une partie du moins. Ce que je ne soupçonnais guère, c’est que des tensions menaçaient la rupture de cet ordre. Au lieu de s’unir pour faire tomber Phedeas, Nerben a décidé de s’attaquer aux siens.

— Je savais que mon oncle avait un problème ! s’emporta Koulad. Mais il a clairement exagéré… Il est irrécupérable. Fou. Condamnable.

— Nul ne sait où il se trouve, désormais. Il a profité du chaos pour s’enfuir. Lehold, dégoûté de la tournure de son ordre pour reprendre ses termes, a lui aussi déserté, préférant poursuivre Nerben lui-même. Horis a disparu également. Niel et Leid détiennent Dénou et Nafda, et bien que je souhaite les secourir, je n’ai aucune idée de l’endroit où elles sont retenues prisonnières. Les miliciens doivent choisir un meneur mais ne savent pas encore qui. En somme, le chaos a frappé et ne promet pas de s’amenuiser de sitôt.

— Mais nous disposons de nombreuses troupes près d’Amberadie, non ?

— Tout juste. Si mon arrogant neveu pense pouvoir me renverser, car telle est son intention, il se fourvoie. Il progresse vers l’est, se rapproche de la capitale, cherchant à rallier à sa cause quiconque pense que je suis une tyrane. Il est curieux de constater que Horis n’était pas intéressé.

L’acidité râcla la langue d’Oranne quand elle but une autre gorgée. Focalisée sur sa belle-tante, elle feignait l’impassibilité, ainsi crispée sur sa chaise. Tout ceci s’est déroulé… Et je n’en ai pas été informée ? Si j’omets le fait qu’il a capturé Dénou sans raison, Phedeas a réussi à affaiblir l’adversité mieux que moi ! Il est en bonne voie pour réussir… Une bonne nouvelle. La prochaine fois que je verrai Scafi, je lui dirai que…

Les nobles restaient muets, évitaient de croiser le regard de Bennenike. Or ils n’étaient d’aucun intérêt pour elle, car une unique cible accaparait sa vision.

Cette même cible se recroquevillait sur son siège. Des frissons remontèrent à son échine comme l’impératrice se mettait debout. Ils s’intensifièrent à son contournement la table, ses doigts glissant sur chacun des dossiers. Bennenike se plaça derrière la fragile silhouette qu’elle toisa, avant de plaquer ses mains sur ses épaules.

— Ma chère nièce…, murmura-t-elle. Dis-moi, avais-je tort te concernant ?

— Je ne vois pas ce que vous voulez dire…, répondit Oranne, terrifiée.

Oranne chercha refuge auprès des nobles. Tous se détournaient. Figés, mains posées sur leurs genoux, ils agissaient comme si la situation ne les concernait pas. Restaient la diplomate et sa belle-tante. L’une trémulait, bouche cousue, inondée de sueur. L’autre l’agrippait par les épaules, s’imposant de toute sa hauteur. Pitié, que quelqu’un m’aide… J’étouffe…

— Ne serais-tu pas fiancée à ce Phedeas ? fit-elle.

— Oui, bredouilla Oranne. Où souhaitez-vous en venir ?

— Serait-il possible que tu sois une espionne infiltrée pour sa cause ? Ta volonté de découvrir la vie au sein du Palais Impérial pourrait être un mensonge de plus. Une façon de m’affaiblir intérieurement pour faciliter l’assaut de ton chéri ?

Plaquée sur le dossier de son siège, Oranne se mit à anhéler. Elle a établi le lien si facilement. Je suis fichue ! Sauf si je trouve un mensonge crédible. Elle se raidit soudain contre la pression qu’exerçait sa belle-tante.

— Je n’en étais pas informée du tout ! Je suis aussi surprise que vous. Avec Phedeas, nous avons toujours eu pour principe de mener une vie tranquille, éloignés de la politique. La situation a changé après votre visite : je vous trouvais inspirante, et j’ai donc décidé de vous suivre dans ce monde nouveau pour moi. Je suis à des centaines de kilomètres de mon fiancé, je n’avais aucune idée de ce qu’il tramait !

— Donc tu confirmes que ta loyauté vis-à-vis de l’empire prévaut sur les sentiments que tu éprouves pour lui ?

— Oui.

— Tu confirmes également que tu ne t’opposeras aucunement si j’envoie mon armée contre la sienne ?

— Pas le moins du monde.

— Voilà ce que je voulais entendre ! Ceci dit, j’ai besoin d’une garantie. Et c’est valable pour vous tous !

Tous étaient intimidés à l’exception de Koulad et Badeni. Ils n’osèrent piper mot. Ils suivirent l’impératrice du regard en hochant la tête. Elle me croit aussi facilement ? Mais de quelle garantie parle-t-elle ?

— Comme vous l’avez sans doute constaté, dit Bennenike, ce n’est pas le bon moment pour m’énerver. Mon amie a été assassinée. Ma milice est divisée. Mon neveu se retourne contre moi. Aussi ai-je quelque chose à vous montrer.

L’impératrice claqua des doigts, et aussitôt surgirent plusieurs servants. Ils se répartirent de part et d’autre de la table, les bras lestés d’assiettes sur chacune desquelles était posé un couvercle cristallin. Ils les placèrent devant les occupants de la pièce, terminant par Oranne.

Aucun fumet ne se dégage. Je ne sens que… le sang ?

Malgré ses frayeurs, Oranne ôta le couvercle d’un geste lent.

Au milieu de l’assiette trônait la tête de Sayari.

Aux nobles avaient été offerts les autres morceaux de son corps.

Des hurlements d’horreur emplirent la pièce. Ils furent plusieurs à dégobiller, à chuter de leur chaise, sous le sourire triomphant de Bennenike.

— Tel était le verdict d’un procès au jugement objectif, annonça-t-elle.

Posant ses mains sur la nappe, l’impératrice parcourut l’ensemble de la pièce, s’amusa du traumatisme qui frappait chacun de ses invités.

— Voici comment je punis la traîtrise.

Oranne devait cacher son mal-être. Elle devait intérioriser ses angoisses. Elle devait sa taire, quitte à péricliter.

Cette tyrannie ne pourra s’achever autrement que dans le sang…

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