Chapitre 40 : Justice impartiale (2/3)

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Des claquements sporadiques rythmèrent leur trajet. Ainsi exposés, les prisonniers suscitaient l’indignation des uns et le mépris des autres. Tout défilait si vite due à la rapidité avec laquelle les chevaux battaient le pavé. Dans ces quartiers où vivaient peu de mages, ils étaient d’autant plus au centre de l’attention. Ils durent bientôt éluder cette problématique, car Godéra fit accélérer son destrier, mesure que calquèrent ses alliés.

Les captifs déglutirent comme leur cœur battait la chamade.

Nous y sommes. Des années à résister, réduites à néant à cause de notre imprudence. Pauvre Lysau… Comment son fils va apprendre cette tragédie ? Qu’est-ce que Godéra et Vatuk vont faire de nous ?

Le pouvoir se matérialisait au travers un grand bâtiment bâti en briques écarlates. Une horloge flamboyait au sommet du fronton central, sous lequel s’étendait une base percée de trilobes. Deux tours tutoyaient le ciel tandis qu’encerclaient des chênes entre lesquelles les chevaux passèrent, ainsi qu’un jardin où chatoyaient des rangées de roses et de pétunias.

— J’espère que vous avez profité de la lumière du jour tant que vous en avez eu l’occasion, lâcha Godéra.

Jawine se crispa, en vain. Elle se força à inspirer, à éviter de regarder la cheffe de l’inquisition. À ce stade, je ne suis même plus capable de la consoler… Godéra l’agrippa par l’avant-bras sans qu’elle réagît, ce malgré la violence de l’impact une fois au sol. Elle paiera pour ça ! Toute colère s’avéra éphémère comme les autres subirent le même sort. Mais pas maintenant, hélas.

Ils entrèrent dans le bâtiment. D’emblée la semi-pénombre du couloir où ils s’étaient engagés corrobora l’affirmation de Godéra. Plusieurs filets de lumière révélaient les nuées de poussière accumulée dans la largeur des lieux, infiltrée jusqu’aux interstices du dallage gris. Des meubles gainés de cuir et de toiles peintes serties de planches jointes par des pentures occupaient cet espace. Coffres, armoires, commodes et tables basses s’alternaient avec les miroirs. Vatuk aime le faste, décidément.

Godéra les jeta dans une pièce exigüe. Par-delà la porte entrouverte, des chuchotements entrecoupèrent des grincements. Soucieux de repérer leur environnement, tous commencèrent à se consulter, secoués, encore sous le choc. Mais la cheffe, dans son entrée fracassante, coupa court à leurs illusions, plaquant Zech contre le mur.

— Nous allons avoir une petite discussion, toi et moi ! lança-t-elle.

— Je suis déjà prisonnier ! s’écria Zech. Qu’est-ce que vous voulez de plus ?

— Oh, mais les choses amusantes ne font que débuter. Vois-tu, tandis que Vatuk s’occupera de tes deux camarades, j’aimerais m’occuper personnellement de toi. Et de Janya, car elle m’agace aussi, quoique pas autant que toi.

De la sueur lustrait sur le front du jeune homme. En retrait, Fliberth et Jawine étaient impuissants, réduits à l’état de spectateurs. Même Janya ne ripostait guère en dépit de ses invectives. Face à Godéra dont l’emprise se resserrait, dont le bras se maintenait contre le buste de Zech. Elle va l’exécuter, lui aussi ?

— Décapitez-moi aussi, qu’on en finisse ! se résigna l’inquisiteur.

— Tu ne te déroberas pas si facilement. Je sais ce qui se cache dans ton ciboulot.

— Quoi ?

— Ne fais pas l’innocent, j’ai mes sources ! J’étais si focalisée sur Emiteffe que j’avais oublié que le jeune naïf de l’inquisition avait bien caché son jeu. Elle s’appelle Hatris, n’est-ce pas ?

Ses tressaillements se dissipèrent. À la stupéfaction de ses compagnons, Zech se rebiffait désormais contre la hargne de son accusatrice, front plissé et sourcils froncés.

— Vous avez raison, affirma-t-il. Hatris est bien dans ma tête. Elle cohabite avec moi, armé de son sens de l’humour douteux. Et pourquoi pas ? Elle m’a aidé à ouvrir les yeux.

— Comment oses-tu ? s’irrita Godéra.

— Ancienne bras droit de Kalhimon, vous étiez la parfaite représentation de l’obéissance aveugle aux ordres. Vous manipulez des jeunes pour qu’ils adhèrent à votre cause ignoble. Sans elle, peut-être que j’aurais été un endoctriné de plus. Je suis fier de ce que je suis devenu.

— Misérable félon !

Godéra lui flanqua un coup de poing à l’épigastre. Sa respiration se bloqua. Arc-bouté contre le mur, Zech céda à la force adverse, aux doigts qui tordaient autour de son cou. Par expirations hachées, par grognements, la cheffe s’imposa contre son ancien subordonné.

— Vous finirez par perdre tous vos soutiens, dit Zech. Sinon vous ne seriez pas désespérée au point de sceller des alliances ici. D’abord l’Empire Myrrhéen, et puis l’Enthelian ? N’êtes-vous pas censée incarner l’inquisition de Belurdie ?

— Tu te crois capable de te mesurer à moi ? Tu as pourtant assisté aux preuves de ma supériorité. L’opposition, je l’écraserai. Dès qu’Adelam sera venu, dès qu’il se sera débarrassé de ma faiblarde de sœur, nous deviendrons encore plus forts. En attendant, il est temps de sortir Hatris de ta tête. Même sans Aïnore, j’ai les outils nécessaires.

Sa sœur n’est plus de son côté ? Je ne comprends plus rien ! Zech échouait à riposter. Inapte à se dérober, il se laissa traîner en dehors de la pièce, tout comme Janya qui opposa pourtant une résistance plus importante. Leur corps s’ébranlait face à sa volonté déclinante. Un dernier regard désespéré à l’intention de ses camarades, et ils disparurent derrière le seuil, dans un gémissement en mesure de le hanter.

— Vous voilà ! se réjouit Godéra. Conduisez-les au bureau de Vatuk.

L’inquisitrice s’éloigna à lourdes foulées, emmenant les inquisiteurs au grand regret du couple. Oh non… Que vont-ils devenir ?

Mais quand les gardes pénétrèrent dans la pièce, et refermèrent la porte avec délicatesse, du baume emplit finalement leur cœur.

Il s’agissait de Sharic et Carrice. Une onde de panique fendait leurs traits bien qu’ils s’évertuaient à rester placide.

— Vous ! s’étonna Jawine. Mais comment ?

— Dès que nous avons appris votre arrestation, expliqua Carrice, nous nous sommes précipités. Ce qu’ils racontent… C’est vrai ?

— Vous connaissiez les raisons de notre venue, rappela Fliberth. Vous saviez que nous nous efforcerions de libérer les mages. Et pour la décapitation de Lysau, c’est bien la vérité. Exécuté sans la moindre forme de procès.

— Et vous ? s’enquit Sharic. Qu’allez-vous devenir ?

— Comme vous allez pu le voir, notre ami a été emmené pour être torturé. Pour nous, vous avez reçu les ordres de Godéra…

Carrice et Sharic se rembrunirent face à un couple ayant déjà capitulé. Ils se prirent en aparté et chuchotèrent entre eux quelques secondes durant. Je comprends leurs tracas. Leur loyauté se fragilise. Ils revinrent auprès de leurs amis, les fixèrent avec résolution.

— Nous ne pouvons rester neutres face à une telle injustice, déclara Carrice. L’heure est décisive. Nous prenons position.

— Demandez et nous vous libèrerons, proposa Sharic.

— Réfléchissons d’abord ! proposa Jawine. Nous disposons d’un coup d’avance, il faut s’en servir !

— Comment ça ? fit Fliberth.

— Sharic, Carrice, vous allez nous conduire à Vatuk. Officiellement en tant que prisonniers. Dans les faits, vous couperez légèrement mes liens, de sorte que je puisse me libérer une fois qu’il aura pris la confiance.

— Tu souhaites prendre Vatuk comme otage ?

— Exactement. Il sera précieux pour nous. Il nous permettra de nous évader, et peut-être de libérer Zech. De prendre un avantage décisif dans cette guerre. Ce sera la première étape pour renverser le pouvoir oppresseur de Thouktra. C’est ce qu’aurait voulu Lysau, non ? Nous devons apporter la justice !

— Je suis d’accord, mais ce n’est pas risqué comme plan ?

— Comme depuis le début. Fliberth, tu dois me faire confiance.

Une lueur brasilla dans les yeux de la mage. Une assurance que le garde décelait dans ses meilleurs moments, lorsque l’avenir se teintait de positivité. Face à tant d’insistance, Fliberth ne pouvait que s’incliner. Elle a sauvé tant de vies. Cette lutte n’a aucun secret pour elle. Je n’ai aucune raison d’hésiter. Il acquiesça avec détermination.

Jawine présenta ses poignets sitôt que Carrice eut dégainé son épée. De la pointe de la corde, elle trancha légèrement les liens.

— J’espère que ça suffira, dit-elle.

— Normalement, répondit Jawine. Nous avons une dette envers vous.

— Nous nous méfiions de Vatuk depuis un moment, avoua Sharic, et vous nous avez aidés à ouvrir les yeux. Plus de retour en arrière possible, je suppose ?

— Rejoignez notre cause, proposa Fliberth. Deux épées supplémentaires ne seront pas de trop.

Les gardes se regardèrent, tâtonnèrent, puis finirent par hocher la tête.

— Vatuk ne nous demandera pas de rester, dit Sharic. Enfin, en principe. Peut-être que ce sera le bon moment pour déserter. Seulement…

— Seulement quoi ? fit Jawine.

— Vous ne serez plus que vous deux.

— Nous nous débrouillerons, comme toujours ! Ne vous inquiétez pas pour nous, pensez d’abord à votre propre sécurité. Nous nous retrouverons en lieu sûr.

Les deux gardes esquissèrent un geste curviligne. Tout un symbole. Même dans cette situation, la camaraderie ne s’éteint jamais. Ils saisirent alors les captifs afin de les emmener dans le couloir contigu.

C’est le moment de vérité. Ils avancèrent avec synchronisation, nerfs et muscles contractés, peinant à rester la tête relevée. Par-delà les larges marches, délimitées par des rampes lustrées, une porte bâtarde miroitait ses nuances mordorées. Une autre paire de gardes flanquait l’entrée : aux signes de Sharic et Carrice, ils les autorisèrent à toquer.

— Entrez ! ordonna une voix gutturale.

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