Chapitre 32 : L'échange (2/2)

8 minutes de lecture

Dénou était bouche bée tandis que Nafda sentit des frissons l’emplir. Ils arrivent à point nommé. Encore une coïncidence ? Non, je n’y crois pas. De son côté, Phedeas n’eut nul besoin de prévenir ses alliés pour qu’ils dégainassent.

— Je vous suggère de vous retirer immédiatement ! beugla-t-il.

— Vous n’êtes pas en position de négocier quoi que ce soit, objecta Lehold. Phedeas Teos, nous vous apercevons sous votre vrai jour.

— Vous n’auriez pas dû ! Comment cela se fait-il ?

— Ne feignez pas l’innocence. Vous étiez pourtant au courant que nous étions partis traquer les mages de la région. Mais vous avez oublié que nous ne tuons pas gratuitement. En échange de sa vie, il nous a révélés l’identité de votre commanditaire.

— C’était une erreur de l’épargner, souffla une milicienne.

— Une fois cette information acquise, il nous a suffi de suivre les mouvements de votre armée. Il aura fallu guetter le bon moment. Vous vous doutez bien que notre détachement ne représente qu’une petite partie de nos forces.

— Et les miennes, alors ? rétorqua Phedeas. Vous savez que j’ai une armée, qu’elle s’agrandit de jour en jour ! Elle pourrait même vous voir d’ici !

— En attendant, elle n’est pas là.

Phedeas et Lehold s’affrontèrent du regard, main refermée sur la poignée de leur arme. Le vent tourne en défaveur des lâches. Exterminez-les. Et tranchez la tête de Niel et Leid, au passage. Ils entreprirent de se rapprocher l’un de l’autre, toutefois Nerben émergea des troupes et bouscula son chef.

— J’en ai assez ! bougonna-t-il. Phedeas n’a pas peur de toi car tu n’as aucune autorité. Laisse-moi faire.

— On t’avait dit de rester en retrait, Nerben ! vitupéra Lehold.

— Changement de plan. Je préfère être l’intermédiaire.

— Tu n’as pas le droit ! Tu vas tout gâcher avec…

Nerben se dressa avec fierté. Bras écartés, sourire déployée, il toisait la moitié de miliciens qui le jugeaient à l’avenant.

— Lehold, je ne peux plus t’écouter ! tança-t-il. Tu n’es meneur que parce que tu es ami de mon neveu. Le guide originel de la milice, c’était moi ! Je massacrais des mages à tour de bras que tu étais encore un jeunot ! Mais maintenant que je suis sorti de ma retraite, vous me rejetez. Vous vous êtes relâchés en mon absence. Trop modérés que vous êtes, vous facilitez la victoire des mages, pourtant plus rares sur nos terres, grâce à moi ! Je suis l’incarnation du glorieux passé de notre ordre, pourtant vous êtes beaucoup à me regarder avec mépris. Auriez-vous honte de votre allégeance ? Pas moi !

A-t-il perdu la raison ? En avait-il seulement avant ? Comme Nerben se détachait de ses troupes, Lehold s’apprêta à l’en empêcher, sauf que plusieurs miliciens lui bloquèrent la route. Râles et froncements ternirent le meneur.

— C’est ce que je craignais, marmonna Lehold. Tu essaies de retourner les miliciens contre moi. Surtout nos nouveaux alliés rencontrés en chemin.

— Tu es le seul responsable avec tes compromis, Lehold ! On te disait voué à notre cause. C’était un mensonge ! Voilà pourquoi je vais rattraper la situation.

— En t’imposant là où tu ne devrais pas ? En semant la division alors que nous avons l’avantage ?

— Justement ! Depuis que je suis sorti de ma retraite, j’ai été méprisé, considéré comme un extrémiste. Pourtant j’embrasse notre cause comme personne ! J’attendais mon heure de gloire depuis si longtemps. Enfin, elle se présente.

Nerben se rapprochait dangereusement des prisonniers. Phedeas eut beau trémuler, lame défouraillée, il demeurait en retrait, à l’abri de pernicieuses intentions dévoilées sous un regard ardent. De l’ombre s’étendant sur des captifs dont l’escorte paraissait bien faible.

Il y en avait un qui le toisait davantage que les autres. Un homme dont la tête se dressait et dont les yeux s’étrécissaient à mesure qu’il détaillait Nerben. Du sang semblait monter à son visage comme ses traits se déformaient. Horis a un compte personnel à régler.

Mais Nerben ne lui prêta pas attention tout de suite, au lieu de quoi s’orienta-t-il vers Nafda et Dénou.

— Je ne vous félicite pas, dénigra-t-il. En fait, je n’ai même pas envie de vous libérer.

— Tu te rappelles qui je suis ? s’emporta Dénou. S’ils nous emmènent, on ne reverra peut-être jamais la lumière du jour !

— Et alors ? Vous auriez dû être plus malignes.

— Tu juges alors que tu es venu en surnombre ? lança Nafda. As-tu la moindre idée de combien des leurs j’ai occis avant d’être capturée ?

— Pas assez, vu qu’ils sont encore très nombreux.

L’assassin maronna à côté d’une adolescente répandue en invectives et des anciens espions prompts à la moquerie. C’était pourtant un groupe auquel Nerben n’accordait plus la moindre importance. Lehold eut beau se démener, il se frayait difficilement une place parmi ses propres rangs. Son influence a diminué. Et il a fallu que cela éclate maintenant, lors de notre seul espoir d’être délivrés… Voilà qui ne me rassure pas du tout.

Au grand dam de tout un chacun, Nerben s’arma de sa hallebarde. Sa cible était agenouillée à ses pieds. Même l’escorte, aussi équipée qu’elle fût, tressaillait face à l’aura du vieux milicien. Même les ordres de Phedeas et Lehold se calaient dans leur gorge.

Horis, lui, ne frissonnait guère.

— J’étais déjà surpris de revoir Nafda, dit-il, ponctuant chacun de ses mots. Mais vous… Longtemps, quand je dormais, c’était votre figure qui hantait mes cauchemars. Vous vous souvenez de moi, Nerben Tioumen ?

— Bien sûr, confirma le milicien sur un ton dédaigneux. Il semblerait que j’aie évité de te croiser à plusieurs reprises. En Amberadie. À Doroniak. Il était temps, après toutes ces années, que j’achève ce que j’ai commencé. Bien des choses ne se seraient pas produites si je t’avais repéré, comme les autres.

— Les autres… C’est ainsi que vous désignez ma famille. Ma mère, mon père, mon frère, ma sœur. Et tous les habitants d’Ilhazaos. Et tous les mages de l’Empire Myrrhéen.

— À quoi bon gaspiller ta salive, jeune homme ? Tu ne parviendras pas à me faire culpabiliser. Tous ces meurtres, c’est une fierté personnelle. Mais il y en a certains que je prends plus de plaisir à pourfendre que d’autres.

— Alors qu’attendez-vous ? C’est votre moment. Finissez-en avec la famille Saiden.

Les poignets du mage s’agitèrent, mais aucun flux ne s’en libérait. J’aurais presque envie qu’il le tue. Ainsi Horis resterait pour moi. Dans cette effervescence grandissante, sous les rafales constantes, les paroles se propagèrent toujours avec autant d’intensité.

— Arrêtez-le ! hurla Phedeas. Il va me priver de mon meilleur mage !

Les concernés brandirent leur épée, pourtant firent-ils pâle figure en comparaison de l’arme adverse. Ce fut alors Yuma qui tempéra la conversation, assurée comme jamais Nafda n’aurait pu le déceler.

— Rappelle-toi nos enseignements, dit-elle. La colère ne te sauvera pas. Tu agis comme si tu voulais te précipiter à ta perte.

— Yuma…, souffla Horis. C’est lui. Celui qui n’a jamais quitté mes pensées.

Un nouveau silence s’abattit, lors duquel les yeux de Nerben se dilatèrent. Lors duquel il détailla la chamane.

— Toi…, marmonna-t-il. Après tout ce temps, les coïncidences sont trop grandes.

— Quoi ? fit Horis. Yuma, vous le connaissez ? Mais vous ne me l’avez jamais dit !

— Je n’ai jamais établi le lien jusqu’à présent, justifia Yuma. Il n’était qu’un jeune soldat parmi tant d’autres, un anonyme.

— Contrairement à vous, dit Nerben. Une mage influente au service de Chemen le Faible. Puis vous avez disparu du jour au lendemain avec votre frère, et surtout avec Touméret. Nous en avions déduits que vous étiez morts. Chemen était en deuil. Alors il a laissé une mage encore plus malfaisante empoisonner son esprit. Je parle bien sûr d’Elewi.

— Vous êtes plus observateur que je ne l’aurais imaginé. Mon frère et mon ami sont bel et bien morts.

— Et pendant ce temps, vous êtes devenue une nomade. Vous vous êtes enfoncée encore plus bas en vous planquant dans les hauteurs, alors que l’idée d’une purge n’avait pas germé.

— J’y ai trouvé une paix. Une famille. Un bonheur. Un but. Pouvez-vous en dire autant, Nerben Tioumen ?

Le milicien expira avec lourdeur. Toisa chacun de ses opposants. Puis seulement Phedeas, si désemparé qu’il demeurait paralysé.

— Je tenais à vous remercier, fit-il.

— Pourquoi ? demanda Phedeas.

— Vous, ou quiconque l’a ligotée. Quand elle circulait encore dans le Palais Impérial, je craignais sa puissance. Ici elle est sans défense. Ça me facilite grandement la tâche.

Nerben abattit sa hallebarde sur le crâne de Yuma.

Le sang jaillit sous les braillements de Horis et Médis. Ils s’abandonnèrent en sanglots comme s’écroula la chamane, paupières closes, privée de toute expression.

Assassiner lâchement une mage ligotée ? Même moi, je n’aurais pas osé.

Partout ailleurs, le choc impacta l’ensemble des témoins.

— Imbéciles, vous étiez censés la protéger ! s’écria Phedeas.

Nerben n’avait pas fini d’en découdre. Il lécha le liquide qui avait éclaboussé la commissure de ses lèvres. Il souleva sa hallebarde luisant de vermeil, mais l’escorte le repoussa, puis s’érigea en rempart devant lui.

Et derrière lui, Lehold avait enfin réussi à s’imposer. Des miliciens s’alignaient à ses côtés. D’autres refusaient catégoriquement de se soumettre à ses ordres. Un moment où tous soufflaient, tous se dévisageaient, où s’invisibilisaient Nafda et Dénou, réduites à des soupirs. Ils ne seront pas nos sauveurs, c’est certain.

— Tu as sciemment désobéi à mes instructions, critiqua Lehold.

— En quoi ? rétorqua Nerben. J’ai tué une puissante mage ! Vous devriez m’applaudir, sales ingrats !

— Notre priorité était de secourir Dénou et Nafda ! Et de renverser la rébellion de Phedeas !

— Pointez vos armes sur eux et non sur moi !

— D’abord, lâche la tienne.

— Tu penses vraiment que je vais le faire ?

— Tu as intérêt. Pour être plus efficace, la milice doit être débarrassée de ses éléments intrus.

D’un toussotement à un ricanement, ignorant le sinistre écho que répandaient les sanglots, Nerben fit l’inverse. À l’instar de ses soutiens.

— L’inquisition t’inspire ? s’irrita-t-il. Il n’y a qu’une seule voie pour notre milice, et c’est la mienne !

— Non, Nerben. Il existe d’autres possibilités, et je l’ai réalisé… à cause de toi. Tu illustres parfaitement ce que je pourrais deviner. Alors je décide de t’arrêter avant qu’il ne soit trop tard. Nerben, tu es banni de la milice. Nous allons t’arracher ton arme, de gré ou de force.

Le vieil homme désaxa le cimeterre de son opposant. Et il lui planta sa hallebarde sur son torse.

Une mutinerie. Bon sang…

C’était le chaos parmi les combattants. Du métal sifflant dans l’air, des cliquetis résonnant au sein des parades, et d’incoercibles giclées de sang. D’écarlate se tapissa l’herbe de la vallée, alors moins verdoyante, alors moins paisible.

Au milieu de la confusion, au sein de ces cris, les anciens espions en profitèrent pour décaniller, emportant leurs prisonnières avec eux.

— Ce n’était pas prévu, déclara Niel, mais nous tournons la situation à notre avantage. Nous avons d’autres projets pour vous.

Rapidement, le champ de bataille perdit en netteté, et les captives s’enfoncèrent malgré elles dans des profondeurs insoupçonnées.

Nous ne pouvons plus nous préoccuper de nos alliés qui s’entretuent.

Juste des traîtres desquels nous devons nous libérer.

Car à la fin, je resterai fidèle à l’impératrice.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Saidor C ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0