Chapitre 23 : Route commune (2/2)

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Encore tant de précipitation ? Docini n’eut pas le temps de cogiter que ses compagnons se hâtaient vers la passerelle, aussi les suivit-elle à brûle-pourpoint. Dès la volée de marches franchie se conforma-t-elle à leur position. Liliath s’était blottie dans les bras de sa capitaine, laquelle désignait la direction à admirer.

Docini se plongea dans l’horizon à l’est. Émergea une pointe entre deux escarpements, par-dessus laquelle flottait une légère brume. En-deçà d’une plage de galets obombrés par des plateformes pierreuses, des maisons en grès d’un intense noir se répartissaient. Elles avaient la particularité de disposer de façades et de toits pentus proéminents, si bien que les murs étaient en retrait.

— On ne se croirait pas dans l’empire, commenta Docini.

— C’est original, et tant mieux ! contrasta Liliath. L’homogénéité est lassante. Et puis, l’empire comporte beaucoup de cultures en son sein, il est normal de voir de pareilles différences.

— Il n’existe pas que des palais et des tours immenses, dit Kwanjai. Ça me rappelle le Vordalia, en fait.

— Rien de spécial à admirer, fit Decierno. Contentons-nous d’attendre, en espérant que ça en vaille la peine.

Pourtant impatients à l’idée de découvrir ce nouveau village, les pirates durent se plier à la suggestion de Jizo. D’aucuns trépignèrent sur le pont, explorant ces demeures sur tous les angles, faute de pouvoir les fouler aussitôt. Les uns se murmuraient à l’oreille, les autres optaient pour le silence. On a déjà formulé maintes hypothèses. Inutile de s’enfermer dans des angoisses. Nous saurons en temps et en heure si Nobak représente bel et bien notre aubaine.

Des dizaines de minutes s’écoulèrent sans que la moindre filât sur le rivage. Au moment où l’attente s’éternisa, Liliath fut la première à pointer Larno, qui suscita la joie parmi l’équipage. Ce brave garçon apparaît toujours comme un bon présage !

L’enfant ne prit la peine de monter sur le navire. Il les interpella plutôt depuis la plage.

— Quelles nouvelles ? cria Liliath.

— Ils acceptent de nous aider ! rapporta Larno.

Aussitôt les pirates se perdirent en câlins et accolades. Au signal de Nidroska, déjà un pied par-dessus bord, ils se précipitèrent sur la terre ferme que rarement ils avaient autant apprécié. Comme à l’accoutumée, Docini talonnait à sa propre cadence, désireuse d’en savoir davantage. Elle sollicita donc le garçon une fois à sa hauteur.

— Comment ça s’est passé ? demanda-t-elle.

— Leur chef nous a accueillis, expliqua Larno. Difonir Mena représente les habitants et nous avons réussi à trouver un arrangement avec lui.

— Avons-nous l’autorisation d’accoster dans leur port ? se renseigna Decierno. Enfin, s’il peut être qualifié ainsi.

— Ah, on a oublié de demander…

— Pas grave ! lâcha Nidroska. Il n’y a pas beaucoup de distance à marcher ! La question la plus importante est plutôt la suivante : est-ce que des malheureux pirates comme nous ont le droit de pénétrer dans leur village ?

— Oui. À condition d’être sage, pour reprendre ses termes. La confiance se mérite.

— C’était bien notre intention !

Larno cornaqua les pirates, à la tête desquels se trouvaient Nidroska. Même si elle enjoignait les siens à cheminer prestement, une once de retenue était exigée afin qu’ils pussent entrer à Nobak sans le moindre jugement.

Les contours s’esquissèrent avec plus de netteté. Bientôt se retrouvèrent-ils ceints par ces façades et ses toits, entre lesquelles se glissaient malaisément les rayons de l’astre diurne. Larno quitta alors les pirates afin de rejoindre Irzine. Près d’elle, non loin de la marée basse, Docini reconnut quelques réfugiés : à côté de Jizo se dressaient Nwelli et Taori, qui ne semblaient jamais se séparer de lui. Comme il soulignait. Des compagnons sur qui compter.

Un visage aux traits durs se particularisait parmi les villageois. D’âge moyen, à la peau tannée, ses cheveux noués en épaisses cadenettes, ledit homme s’imposait par sa taille et son nez busqué. Il était vêtu d’une tunique en lin brune ainsi que d’un ample pantalon en laine que séparait une cordelette blanche. Ce doit être ce Difonir que Larno mentionnait.

— Bienvenue ! salua-t-il sur un ton allègre. C’est vous, les pirates ? D’après votre pirate ?

— Exact ! se pavana Nidroska. Je m’appelle Nidroska, capitaine de l’équipage des maîtres de la mer ! Pas des plus modestes, vous en conviendrez, mais au moins nous sommes plus facilement reconnus ! Alors, suis-je à la hauteur de ma réputation ?

— Je ne sais pas, avoua Difonir. Je n’ai jamais entendu parler de vous avant.

Choquée, la capitaine perdit l’équilibre, mais Liliath la rattrapa de justesse. Pour être franche, je ne la connaissais pas non plus avant qu’elle me sauve la vie. Bien que Difonir en ricanât, il se focalisa plutôt sur le groupe dans son entièreté, les sourcils haussés.

— Allez-vous répéter ce que vous nous avez déjà dit ? interrogea Irzine.

— Rapidement, promit Difonir. Je dirige Nobak depuis douze ans. Chef d’un village de deux cents habitants, rien que ça ! Pas qu’il y ait beaucoup à faire non plus. Un point secondaire entre pour certains échanges comerciaux, notamment avec les îles Torran. C’est ce qui vous intéresse, pas vrai ?

Difonir s’éclaircit la gorge à l’approbation de tout un chacun.

— Vous êtes tombés sur le bon gars ! discourut-il. De ce que j’ai compris, maîtresse des marées, vous vous êtes proposés de les escorter mais pas de faire le voyage avec eux.

— Nos chemins doivent diverger, affirma Nidroska. Mais pour l’instant, oui, nous naviguons à leurs côtés !

— Des réfugiés avec des pirates… Et si ça ne suffisait pas, vous avez des inquisiteurs et des mercenaires aux trousses !

— Nous exigeons beaucoup de vous…, dit Nwelli. Nous ne nous attarderons pas ici plus que nécessaire.

— En ces temps difficiles, seule l’entraide nous sauvera ! Chacun est gagnant, non ? Nous exportons régulièrement du textile et des matériaux aux torraniens. Si Irzine dit vrai, ils ne seront pas dérangés d’avoir quelques réfugiés, mais ce sera à vous de vous en assurer. Je garantis qu’il y aura assez de place et de provisions sur nos navires. Nous avons maintenant assez de bras pour le chargement !

Malgré l’appel généralisé, Docini sentit des tressaillements l’ankyloser.

Ils l’ont informé de notre situation dans les détails ? Ils doivent être conscients du danger, mais voilà qui est quand même beaucoup dévoilé ! Ont-ils même dévoilé qu’il y avait des mages dans leur groupe, alors que c’est illégal dans l’empire ? Je n’ai pas envie de me méfier. J’aimerais croire qu’il existe des gens naturellement généreux. Pourvu que la suite détruise mes soupçons.

— Toi ! héla Difonir. Tu as l’air un peu dissipée. Pourtant nous aurions bien besoin de tes muscles pour nous aider !

Docini avait beau rougir, on ne lui accorda point de temps mort. Nidroska et Liliath l’entraînèrent vers ce nouveau devoir, auxquels beaucoup étaient peu habitués.

Les heures se succédèrent, lors desquelles se déroula le chargement. Ils étaient nombreux à soulever de lourds caisses et sacs de la réserve de Nobak vers les cales de chacun des navires. C’étaient des bateaux de longueur modeste, bâtis en un bois clair, mais dont l’intérieur révélait davantage de densité que leur caravelle. Tous les travailleurs se relayaient, usaient les avantages de chacun, dans un mouvement global et organisé. Cela exigeait une coopération qu’ils mettaient opiniâtrement en œuvre.

Nous nous évadons dans le travail, peut-être trop. Mais c’est avant tout un arrangement où nous prenons tous nos responsabilités. Aider mon prochain, voilà une belle ambition. Je pensais juste que je serais équipée d’une armure rutilante, d’une cape flottant au vent et d’une longue épée. Cette époque paraît si lointaine.

Au coucher du soleil, alors qu’ils marquaient une pause, leur logis leur fut offert. La seule auberge de Nobak contenait toutefois trop peu de chambres pour les deux groupes, ce pourquoi les pirates accueillirent certains réfugiés au sein de leur bateau. Dans les affres de l’incertitude, comme planait une menace imminente, l’ancienne inquisitrice trouva facilement le sommeil malgré tout. L’effort physique la privait des tourments.

Tous revinrent pour achever leur tâche dès l’aube suivante. Sitôt accoutrée que Docini, réclamée plus que de coutume, s’y attela pleinement. Sous un soleil brûlant, quelques fois protégées par la fraîcheur des cales, sa transpiration l’inondait et des rougeurs envahissaient sa peau. Mais elle n’en avait cure.

Après avoir déposé un contenant rempli de soie, Docini s’autorisa une pause à côté d’une plateforme. Elle s’épongeait le front au moment où elle aperçut Nidroska et Liliath se diriger vers elle. La capitaine tenait une fine épée au fourreau noir, qu’elle tendit avec assurance.

— Hein ? fit Docini, déconcertée. C’est pour moi ?

— Bien sûr ! confirma Nidroska. Tu maniais l’épée avant… l’incident. Et tu risques d’en avoir besoin.

— La Belurdie reste assez classique ! commenta Liliath. C’est sûr que dans l’empire, ils préfèrent les lames courbes. Oh, j’adore me courber, mais je préfère des armes bien droites ! Toi aussi, je suppose ?

Docini prit l’épée en guise de réponse. Face à l’enthousiasme du couple, une lueur brilla dans ses yeux tandis qu’elle admirait l’arme de la poignée au fourreau. Elle entreprit même de dégainer pour mieux observer la lame.

Mais un réfugié surgit en toute vitesse et sueur.

— Les inquisiteurs belurdois et les mercenaires dimériens sont aux portes de Nobak ! avertit-elle.

L’annonce paralysa Docini. Quoi ? Ensemble ? Si proches ? C’est insensé. Réfugiés et pirates abandonnèrent leur travail, mais avant que les lieux sombrassent dans un capharnaüm, le jeune homme éleva la voix :

— Ne brandissons pas encore les armes ! Ils veulent parlementer ! C’est leur chef qui m’envoie, Adelam Ordun !

Docini lâcha son épée à cette évocation. Elle ne perçut pas le cliquetis de l’arme au contact avec le sol. Juste les coups qui se multipliaient, encore et encore, dans une sérénade d’invectives et de mépris. Là où le sang jaillissait. Là où le bannissement avait retenti.

— Tu connais ce nom…, devina Nidroska.

— Oui…, murmura Docini. Il est le bras droit de l’inquisition. Le membre envers lequel ma sœur a le plus confiance. Et il m’a bien porté des coups lors de mon bannissement.

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