Chapitre 21 : Chasseuse de séditieux (1/2)

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NAFDA


La nuit n’avait aucun secret pour Nafda.

Une brise fraîche, presque acérée, s’infiltrait par-dessous ses vêtements. Néanmoins Nafda ne souffrait pas du froid : elle s’imprégnait de cet environnement, à un moment où son corps lui réclamait repos. L’envie ne lui manqua guère de souffler, d’étendre ses membres, mais elle émit plutôt un râle.

Combien de temps vais-je devoir encore les traquer ? Des jours et des jours que je vagabonde ! Parfois j’ai l’impression que je vais franchir la frontière vers l’Enthelian, parfois je progresse dans les profondeurs de cette partie méconnue de l’empire. Mais rien ne semble me rapprocher de mon objectif. Je suis seule et preste. Il n’y aucune raison pour…

Sa pensée se dissipa comme le vent s’intensifia. Perchée sur une hauteur rocheuse, à quelques mètres d’un contrebas sans relief, l’assassin suspendait ses jambes au-dessus de ce semblant de vide. La dureté du sol lui irritait un brin la peau même si elle avait l’habitude d’être privée de confort.

Je me suis trop focalisée. Ou au contraire, je me suis trop relâchée. Où est passée la fidèle servante de l’impératrice, prête à fouler des dizaines de kilomètres de désert en une journée ? Nos ennemis sont plus nombreux qu’escomptés. D’accord, mais ma vigilance et ma réactivité devraient justement en être décuplés.

Un ciel dégagé s’érigeait à la disposition de cette infime silhouette. Si Nafda contemplait de temps à autre les étoiles, elle préférait explorer cette terre devant elle. Le long de la vallée chatoyaient peu les genêts alors que les mélianthes dissimulaient une faune prompte à striduler à cette heure tardive.

Nafda repéra un lézard s’aventurer entre ces buissons. Dans l’obscurité, un chasseur avait repéré sa proie. Du sud il surgit, patientant depuis un saule, et battit majestueusement de ses ailes d’importante envergure. C’était un circaète au plumage blanc et brun. D’emblée son corps s’inclina lorsqu’il entama son piqué. Poitrine en évidence, ailes retroussées, il projeta ses serres une fois qu’il rasa le sol. Aussi attrapa-t-il le reptile avec précision, puis regagna de l’altitude pour disparaître dans la sorgue, là où il pourrait le déguster en toute sérénité.

L’assassin admira cette prise si bien exécutée. Elle prit une autre bouchée de l’aile cuite tandis que les dernières braises de son feu s’éteignaient derrière elle.

Pas d’offense, habile rapace, mais les provisions venaient à manquer. Tes petits camarades abondent dans les parages et j’en ai profité. C’est l’ironie de la situation, pourtant d’une logique implacable. Les rapaces peuvent avoir aussi des prédateurs.

Grignotant la viande jusqu’au dernier morceau, Nafda se sentit repue et jeta l’os au loin. Elle était désormais prête à s’allonger pour un sommeil à la belle étoile. De son sac, allégé de nourriture, elle extirpa sa gourde dont elle but quelques goulées, ainsi qu’une couverture sous laquelle elle s’allongea.

Juste le temps nécessaire, sinon je prendrais encore du retard. Quoi que Phedeas complote, Dénou se met en danger, le pire est à craindre si je n’interviens pas à temps.

Impératrice, je ne vous ai jamais déçue et cela n’arrivera jamais. Quand le rapace plonge, sûr de lui, il ne s’imagine pas que quelqu’un peut le faucher en plein vol. Ils croient pouvoir chasser sans risque de représailles. Ils s’inscrivent en tort. J’ai déjà traversé des pans entiers de l’Empire Myrhéen pour mettre à bas leur arrogance. Et alors ma dague trace une fine ligne sur leur gorge, leurs yeux écarquillés, ils s’aperçoivent que cette ombre dont ils avaient aperçu les contours signalerait véritablement leur glas.

Des frissons habitèrent son corps lors de son immersion ses rêves.

Au lever de l’aurore, sa traque se poursuivit.

Même hors des sentiers battus, Nafda subissait doucement la transition. Je peine à me croire dans l’Empire Myrrhéen. Les conquêtes l’ont vraiment agrandie. L’air charriait une humidité nouvelle tandis que le climat se faisait plus tempéré. D’épais nuages piquetaient le ciel, probables annonciateurs d’une averse à venir. Qu’il pleuvait, qu’il ventait, ou que le soleil illuminait la voûte azurée, l’assassin gardait sa capuche rabattue sur son chignon, et ses mains près de ses dagues. Elles ne vibrent toujours pas. Tout pour prolonger ma quête.

Creusaient les plaines miroitant d’émeraude que constellaient de majestueux chênes. Entre lueurs et ombres, Nafda se positionnait souvent sur un monticule, depuis lequel elle explorait le panorama. Ensuite elle s’orientait selon la mousse agglutinée sur les troncs, indicateurs alternatifs de la direction à entreprendre outre les foulées imprimées dans la fange. Il n’était point question de s’y embourber, ce malgré la présence de baies parmi les pédoncules roses et les feuilles dentées. Elle fut presque tentée d’en cueillir quelques-unes mais se retint. Les récits de personnes empoisonnées par manque de connaissance de la nature sont légions. Ne tombons pas dans ce piège grossier.

D’ordinaire, il lui était aisé de contourner les villages, de filer telle une ombre. Mais la densité de population s’avérait plus grande au septentrion, et avec elle le nombre de hameaux se jouxtant les uns aux autres. De loin elle apercevait les demeures en colombages croisées avec les modestes maisons en pierre coiffées d’un toit en paille. Tant la largeur des élevages, où le bétail paissait paisiblement, que la fumée s’exhalant des cheminées des chaumières l’invita à ne pas perturber la sérénité des habitants. Apparurent de nouvelles traces de pas qui l’enjoignirent à cheminer au sud.

Quelques heures de marche supplémentaire, et elle gagna une déclivité où des primevères avaient été écrasés. Nafda s’accroupit, posa son index sur les traces. Laissées par d’épaisses semelles. Ils allaient déjà vite, mais là, il y a eu précipitation. Elle cogita un temps durant, avant d’aviser la trajectoire entremêlée qu’avaient laissé de similaires foulées.

Tout avait déjà été fait, pourtant les battements de l’assassin s’accélérèrent, à l’instar de sa cadence. Plus elle descendait la pente, sur l’étroit chemin de terre entrecoupée de pierres, et plus les traces devenaient désordonnées.

Elle repéra du sang séché au sol. Une large souillure à proximité d’une odeur poisseuse, où enfin sa traque se concrétisa. Des nausées l’envahirent quand elle aperçut les dépouilles gésir à ses pieds, ceints d’un regroupement de frênes. Deux hommes et une femme de peau cuivrée, au heaume conique et à la broigne cloutée avaient été lacérés de part en part.

Probablement les gardes de corps de Dénou. Mauvaise nouvelle. Soit elle a réussi à s’enfuir, auquel cas elle doit s’être volatilisée dans la nature, soit elle a été capturée, et alors je dois venir à sa rescousse. Vénérable Bennenike, vous ne perdrez pas un autre membre de votre famille.

Pas Dénou, en tout cas.

Nafda ferma les paupières des gardes décédés, aligna leurs cadavres et plaça les bras le long de leur corps.

Que puis-je de plus pour vous ? Vous méritez une sépulture décente. Après tout, vous avez donné votre vie pour le sang impérial. Je n’ai hélas pas le temps de vous offrir quelque chose de plus, sinon votre sacrifice aura été vain. Je peux vous promettre de délivrer Dénou. Je peux vous garantir la vengeance.

Un clapotis intensifia la circonspection de l’assassin. Elle quitta la densité des arbres pour atteindre un entassement de galets ivoirins. Le soleil couchant peignait le ciel d’une coloration orangée et jetait ses reflets le long de la rivière circonvoisine. Avec un peu de chance, ils sont encore proches, le cours d’eau comme base.

Bien résolue à en découdre, quitte à frôler l’éreintement, Nafda trotta des minutes durant. Sa vue s’adaptait de nouveau à la pénombre tandis que le paysage se teintait de rouge, puis de noir. Tout nuage empêchait désormais l’admiration de la voûte, toutefois profita-t-elle du chant des oiseaux. Je préfère ceux-là aux rapaces.

Alors qu’elle bifurqua au sud-est, ignorant les panneaux directionnels, Nafda perçut des voix. Leur netteté se renforçait à mesure qu’elle s’orientait vers leur source. Au cœur de la nuit, en quête de séditieux, l’assassin réalisa leur provenance. Elle s’abrita derrière un aune, mains agrippées sur le tronc, et observa tout depuis ce point.

Des dizaines de tentes striaient le panorama par-dessus les rivières. Par leur toile banche luisaient-elles en dépit de l’obscurité. S’imaginent-ils si protégés, si isolés ? Tout autour circulaient femmes et hommes armés jusqu’aux dents. Elle reconnaissait les tenues typiques des militaires myrrhéens, lesquels étaient équipés de hallebardes, cimeterres ou lances. Mais elle distingua aussi des boucliers ronds en métal qui accompagnaient des attirails constitués d’épées, de haches, de masses d’armes, de gambisons et de camails. De surcroît se baladaient d’apparents soldats de plusieurs ethnies, d’où le haussement de sourcils de Nafda.

Mes efforts ont payé ! Je tiens là un complot assez grand. Qu’est-ce qui se trame réellement ? À moi de le découvrir. Dénou est peut-être prisonnière dans l’une de ses tentes. Nafda remarqua que des buissons jalonnaient le campement. Voici l’opportunité d’utiliser le terrain à mon avantage.

Des pas calfeutrés rythmèrent son avancée. Émergeant de sa cachette, l’assassin traça les limites en tapinois. Elle s’assura en premier lieu combien d’âmes s’étaient rassemblées, or ce nombre dépassa bien vite ses pires craintes. Si Phedeas est bien le responsable, il a été assez efficace. Depuis sa position, elle était capable de déceler les ombres bouger à l’intérieur des tentes. Beaucoup avaient trouvé le sommeil tandis que d’autres s’étaient répandus en de futiles discussions. Elle identifia même deux soldats aux mouvements très explicites, et dont les gémissements de plaisir détruisirent toute ambiguïté. Visiblement, il n’y a rien d’intéressant ici.

Nafda prit garde à ne croiser aucun patrouilleur. Elle se faufila entre eux, évitant d’être éclairée par l’éclat de leurs torches ou lanternes. Chaque fois qu’elle se réfugiait dans un buisson, elle usait de ce répit pour souffler, en vue de poursuivre l’infiltration de plus belle.

Une silhouette aux traits familiers émergea. Une conglomération compacte se référait à lui, se suspendait à son discours. Phedeas hélait son armée de fidèles.

— Compagnons ! cria-t-il. Pensez à vous reposer, mais n’oubliez pas que nous partons aux premières lueurs de l’aube.

— Déjà ? fit un des siens. Vous n’aviez pas dit que nous devions attendre les mercenaires d’Enthelian ?

— Pour notre victoire, nous aurons besoin de puissants alliés. Mais nos regroupements doivent aussi être stratégiques.

— J’ai du mal à vous suivre…

— Tu es dévoué à notre cause, oui ou non ? Alors contente-toi d’obéir aux ordres. Je vous promets que notre patience sera récompensée.

— C’est vous qui voyez. J’espère juste qu’on ne perd pas trop de temps.

— Je consacrerai tout le temps nécessaire au rassemblement de mes forces ! On ne devient pas empereur du jour au lendemain, après tout. Donc regagnez vos tentes dès que possible, nous avons encore un long chemin à faire.

Le groupe se dispersa pendant que Phedeas, quelque peu agacé, retournait à l’intérieur du campement.

Empereur, hein ? Bennenike ne lui cèdera pas son titre si facilement. C’aurait été trop beau qu’il soit honnête. Maintenant, il me faut découvrir si d’autres vérités se dissimulent. Nafda attendit de ne plus entendre de déplacements à proximité avant de surgir de nouveau. Encore accroupie, elle surveillait les alentours à sporadiques intervalles. Il s’agissait d’être preste sans émettre le moindre bruit. Il s’agissait de se rapprocher sans être repérée.

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