Chapitre 19 : Menace imminente (1/2)

9 minutes de lecture

FLIBERTH


— Tu vas parler, oui ? fulmina Jawine.

Aïnore recueillit une baffe de plus belle. Si ses joues s’étaient rougies, elle se rétractait plutôt face aux traits déformés et à la figure enflammée de la mage. Des os craqueraient sous la lumière filtrée par les interstices. Des muscles rompraient dans le sous-sol immergé dans une semi-pénombre, où s’agglomérait la poussière sur le dallage effrité. Pas seulement Jawine s’en porterait garante.

— Je te préviens, persécutrice ! intimida-t-elle. Cette claque était juste préventive. Mon poing frappera plus fort ! Et si je le charge de magie, je ne donne pas cher de ta peau.

La captive n’osait pas la fixer dans les yeux. Elle frissonnait même trop que pour garder la tête haute. Pourtant les informations cruciales restaient en suspens. Attachée à une chaise en pierre, paralysée par-devers sa tortionnaire, Aïnore était seule contre tous. Je crois bien que Jawine me terrifierait si je ne la connaissais pas. Sa dévotion est louable, mais son comportement frôle l’excès.

Comme le silence pesait jusqu’à lassitude, Jawine se mit à trembler aussi. Fliberth rompit alors son écart comme sa neutralité.

— Ne cède pas à la violence ! supplia-t-il. Nous sommes meilleurs qu’eux !

— Tu répètes ça depuis que nous l’avons capturée, critiqua Jawine. À un moment, notre fureur devient justifiée ! Tous mes amis qu’elle a torturés resteront traumatisés longtemps, si pas jusqu’à leur mort !

— Continuez de vous disputer entre vous, ironisa Aïnore à voix basse. Ça me donne un peu de répit.

À son tour, Vendri enchaîna son grognement avec des pas fracassants. Elle cogna la prisonnière qui en cracha une gerbe de liquide vermeil.

— Gronde-moi aussi, capitaine ! lança-t-elle. Je ne me lasserai jamais de la tabasser.

— Une telle gratuité ne nous mènera à rien ! contesta Fliberth. La torture n’est pas un moyen efficace d’arracher des réponses. Concentrons-nous. Envisageons le compromis.

— La situation ne s’y prête pas ! C’est honorable de ta part, Fliberth, mais nous sommes en guerre. Oui, nos mains sont couvertes de sang. Oui, nous perdons en vaillance et gentillesse. Mais ils nous y ont forcés, nous ne faisons que répliquer !

Fliberth pouvait intérioriser ses sentiments. Il était capable de mesurer ses paroles afin d’éviter de courroucer ses proches. Cependant, son teint se ternissait malgré lui. Soit elles ont raison et je ne veux pas mener le combat jusqu’au bout. Soit notre lutte nous oblige au pire et nous transforme à jamais.

Dirnilla aussi s’était décolorée. Adossée contre le mur, elle partageait le teint blême de son capitaine. Des peurs devaient être triomphées. Face à deux alliées à la fureur grandissante, s’imposer relevait de l’épreuve qu’elle s’efforça de surmonter.

— J’approuve notre capitaine, s’affirma-t-elle. Kalhimon a ordonné de la capturer pour une raison précise, non ?

— Emiteffe, corrigea Jawine. Eh bien, qu’elle vienne au lieu de patrouiller dans le sud ! Je suis même surprise que Janya l’ait accompagnée, elle qui était impatiente de faire souffrir Aïnore. Ma patience atteint ses limites, en tout cas. À ce rythme, nous ne lui soutirerons rien.

— Nous devons nous montrer compréhensifs.

— La pleutre tente de nous dire de garder notre sang-froid ? tempêta Vendri. Toi qui es restée à la surface au lieu d’affronter le danger, comment peux-tu nous juger ? Nous es-tu vraiment loyale ?

— Je le suis, sinon je ne me serais pas engagée ici ! Je pense juste que la meilleure façon de combattre l’ennemi est de se mettre à sa place.

— Des idées étranges naissent dans ta tête quand tes jambes ne flageolent pas ? Je rêve ou tu nous compares à cette tortionnaire ?

— Voyons plus loin que notre situation ! Aïnore ne torture pas des mages parce qu’elle a un esprit maléfique. Elle les torture car elle a été éduquée à penser ainsi. On ne parle pas d’une cruauté isolée, mais d’un mal hiérarchisé et organisé. Quand on affronte de tels symptômes, le remède est difficile à concocter. Vous saisissez ce que je veux dire ?

— Pas vraiment.

— Rudoyons-la si nous voulons. Qu’est-ce que cela nous apportera ? Des informations pour un sempiternel assaut. Et la guerre éternelle continuera, et nous mourrons l’un après l’autre ? Est-ce que le cycle prendra fin un jour ? Un accord de paix empêchera ce destin funeste de s’abattre sur nous !

Chaque occupant de la salle ouvrit grand les yeux. Pas une personne ne trouva quoi répéter, contribuant au mutisme ambiant. Elle n’a pas totalement tort. Cela dit, je ne l’aurais pas exprimé ainsi… Dans ces circonstances, une paix semble impossible, mais on peut toujours espérer… Hélas Vendri ne l’entendait pas de cette oreille. Elle prêta la sienne brièvement avant de couper d’une moquerie ostensible.

— Tu as bien camouflé ta naïveté derrière de beaux mots, persiffla-t-elle. Tu aurais dû devenir ménestrelle au lieu de garde. Trop tard pour un retour arrière, hein ?

Ce disant, la garde infligea un autre coup de poing à la captive, sous l’accord tacite de Jawine et des autres mages.

— Voilà l’unique paix à laquelle je crois ! rugit-elle. Ils nous ont attaqués, nous ripostons ! Il n’y a rien de plus simple !

— Dans mon état, je ne peux plus faire de mal à personne ! s’égosilla Aïnore, toujours tremblante.

— Nous devons nous en assurer, répliqua Jawine. Mesure préventive.

Vendri et Jawine s’échangèrent un regard complice tout en roulant leurs épaules. Bientôt se répandrait le fluide vital, comme si les paroles pondérées n’avaient pas été écoutées. Elles savent se montrer raisonnables. Un cœur noble bat en elles. L’injustice les oblige à céder aux méthodes ennemies…

La figure d’Aïnore se relaxa subitement. Arrivait Zech dont la mine plus bienveillante fit froncer les sourcils des gardes et mages. Voilà ce dont nous avions besoin : d’un intermédiaire. Il examina la prisonnière, s’en approcha et se pencha vers elle.

— Tu es en piteux état, constata-t-il. Peut-être pas juste physiquement.

— Toi aussi, tu vas prendre sa défense ? imputa Jawine. Juste parce que vous avez un passif ensemble ?

— Nous commettons tous des erreurs, pardonna Zech. Moi aussi, j’étais du mauvais côté. À l’époque où l’esprit de Kalhimon habitait encore son corps.

— Oui, tu nous as racontés…

— Selon moi, nous méritons tous une rédemption. Si j’ai eu ma chance, pourquoi pas Aïnore ?

— As-tu torturé un nombre incalculable de mages ? réagit Vendri.

— Non ! Aïnore part de plus loin, je l’admets. Moi-même, elle me mettait mal à l’aise lorsque je la voyais. Mais il existe une âme au sein de ce corps soumis aux pires bassesses.

— Qu’est-ce qui nous empêche de l’extraire ?

— Réfléchissez ! Nous nous dirigeons vers la victoire, Hatris est optimiste, et moi aussi. Il y a encore quelques temps, l’inquisition ne faisait qu’un et oppressait. Maintenant les alliances se multiplient. La branche originale faiblit. Persévérons et nous triompherons. Nous devons juste employer d’autres méthodes pour vaincre. Pourquoi pas retourner les anciens alliés de Godéra contre elle ? Nous sommes bien partis pour !

Apaisement fut exigé, tel le réclamait Fliberth même s’il restait éloigné. Montrez-vous raisonnables. Après un soupir, et le ton dans l’insinuation, Jawine et Vendri reculèrent, détaillèrent leur captive depuis l’encoignure.

— Une remise en question est peut-être nécessaire, réfléchit la mage. Je me sens juste dépassée. Mais nous avons tous l’impression que c’est interminable. Peu importe combien d’inquisiteurs nous terrasserons, nos opposants vivront toujours. Partout. À toute époque. Nous…

Un fracas détonna à brutale tonalité.

Des hurlements déchirèrent les tympans de tout un chacun.

Gardes et mages s’ankylosèrent sous l’amplitude de l’impact.

— On va tous mourir ! s’épouvanta Dirnilla.

— Tâchons d’abord de découvrir ce que c’est ! ordonna Fliberth. Gardes, avec moi !

— Est-ce lié à notre prisonnière ? proposa Jawine. Si tel est le cas, je reste pour la surveiller.

— Moi aussi, affirma Zech. Ne nous divisons pas trop. Allez-y, nous apporterons du renfort si nécessaire !

Le mouvement de groupe s’enclencha. Son cœur cognait sa poitrine lorsque Fliberth tira l’épée, enjoignant les siens à emboîter ses foulées. Ils sprintèrent à l’unisson, même si Vendri dut pousser Dirnilla afin qu’elle se joignît à eux. Aurons-nous un jour un peu de repos ? Devons-nous craindre le pire ?

Plus la nitescence les appelait et plus les cris redoublaient de véhémence. Marche après marche, porte après porte, les combattants se déplaçaient en un groupement unique, sans détour ni dispersion. L’heure était au brandissement des épées et des haches. Le moment était à la canalisation du flux.

Rien ne les avait préparés à cela.

Ils émergèrent et faillirent trébucher sur les éclats de roche. Autour d’eux s’étendait un panorama bien trop chaotique. Des inquisiteurs radicaux assaillaient par dizaines et seulement commençaient à rencontrer de la résistance. Sitôt qu’ils les repérèrent, Fliberth et Vendri s’appuyèrent du soutien magique pour endiguer leur avancée.

Moult lames collisionnèrent en tintements. Étincelles de métal ou de flux se répandirent à vitesse effrénée. Dans ce nouveau champ de bataille s’enchaînèrent ripostes et beuglements. L’endroit est trop exposé ? Il n’est plus sûr ? Des morts auraient été évitées si j’en avais pris conscience avant !

Deux cadavres gisaient aux pieds de Fliberth. Ici exposé, cible de multiples estocades, il ne put ponctuer ses offensives que de courtes inspirations. Tous anhélaient en gardant les inquisiteurs dans leur ligne de parade. Se succédaient les parades au sein de la sérénade. S’enchaînaient les esquives parmi ce flot continu de sorts, inaptes à réfréner la vague adverse.

Une pointe pernicieuse faillit briser les défenses du capitaine, mais Vendri transperça la nuque de son assaillante. Derrière elle surgit un tranchant proche de s’abattre sur elle. Fliberth s’interposa et bloqua le coup, puis il désaxa son arme et le lancina de toute part.

Fliberth et Vendri eurent le temps de souffler. Si des cadavres adverses jonchaient désormais le sol, les agonies de leurs alliés promettaient de les hanter. Ils orientèrent leur attention au-delà de la proche débâcle et déglutirent aussitôt.

L’étendue de la brèche avait dépassé leurs pires craintes. De noirâtres volutes émergeaient depuis les débris entassés de ce qui forma jadis les murailles. Sous cette accumulation dépassaient des morceaux de bras et de jambes ensanglantées, et bien davantage devait être enseveli dessus. Les défenseurs manquèrent de dégobiller. C’est un cauchemar…

— Depuis quand ils font des ravages aussi conséquents ? hurla Vendri.

— Ça doit venir d’un de nos homologues ! répondit un mage.

— Mais c’est insensé ! Nous sommes vos alliés !

— Peut-être pas de son plein gré…

Fliberth garda son sang-froid. Surveillant les alentours, plissant les yeux, il aperçut une silhouette au loin, vers le nord.

— Je dois m’en garantir, déclara-t-il. Juguler le mal à sa source. Vendri, reste ici et couvre-nous ! Il reste encore des inquisiteurs !

— Je vous protège d’ici ! annonça Dirnilla.

Elle s’était à peine battue. Elle était restée près de l’entrée. Des frissons avaient remonté à son échine comme elle se noyait dans sa sueur. Ce qui ne s’arrangerait guère avec la sévérité de Vendri.

— J’ai été assez patiente, marmonna-t-elle. Poltronne, ton attitude nous a déjà causés trop de problèmes !

— Je…, bredouilla Dirnilla, intimidée.

— Assez de tes excuses ! Nous risquons nos vies chaque jour. Nous nous sacrifions pour protéger les innocentes. Et tu croyais qu’être garde te permettrait d’être une planquée ?

— J’envie votre courage, mais j’ai peur…

— Tu es une guerrière ou non ? Bats-toi ! Expose-toi au danger ! Soit tu t’élances avec Fliberth, soit nous te dégageons de notre corps à grands coups de pied au fondement ! C’est compris ?

Instantanément, Dirnilla tint sa poignée à deux mains. Si la sueur lustrait encore son front, si ses jambes flageolaient toujours à l’excès, elle ne se risqua guère à s’opposer à sa consœur. Elle est rude ! J’aurai une discussion avec Vendri après cette bataille, laissant mon amitié de côté. Si nous survivons.

— Camarades ! sollicita Fliberth, épée dressée. Tous avec moi !

Ensemble ils s’agglomérèrent en coalitions. Mages, gardes et inquisiteurs modérés filèrent comme le vent, prêts à en découdre, parés à atteindre le foyer de l’attaque. Fouler à cadence forcenée leur permit de fendre des centaines de mètres en un temps réduit. Par-delà les décombres s’écoulait du flux en colossale quantité. D’abord indistinct, presque incontrôlé, il se matérialisa sous la plus abjecte des formes.

Une lance enflammée transperça le torse d’une mage qui s’effondra aussitôt.

— Arrêtez-vous ! somma Fliberth.

Ils s’exécutèrent à brûle-pourpoint, même si Dirnilla manqua de trébucher. En demi-cercle, défenses à leur paroxysme, ils purent juste déplorer la perte de leur alliée.

Et mieux apercevoir leur ennemie.

Une carrure impressionnante, prompte à terroriser les plus impavides. Quiconque l’avait déjà rencontrée reconnaîtrait aisément cette grande femme aux yeux azurs à la chevelure dorée attachée chignon. Ses traits sévères s’affirmaient sur son visage rond portant les marques de ses innombrables batailles. Tant sa houppelande anthracite surmontant sa cotte de mailles que son pantalon ivoirin en velours témoignait de son appartenance. Brassards et jambières en acier la renforçaient face à la poignée d’ennemis par-devers elle.

À qui elle adressa un sourire de défi. Car elle savait que son avantage les ralentirait. Elle tenait un mage à la robe céruléenne par le bras, sa longue épée à ras de son cou. Lequel n’avait nul autre choix que d’orienter ses paumes saturées de magie vers ses alliés.

Godéra Mohild. La réalité surpasse la description. La lutte sera ardue.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Saidor C ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0