Chapitre 17 : Badinage et devoir (1/2)

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DOCINI


Liliath creusait le sable à un rythme effréné. Docini la regardait, ébahie. Sous le lit de liserons et de giroflées, par-dessus la timide fureur de la marée basse, les deux pirates s’étaient fixées sur les dunes. C’était une fraîche et venteuse aurore, où elles s’imprégnaient des cris des goélands et du clapotis des vagues.

Quel acharnement ! L’ancienne inquisitrice se perdit dans les rapides mouvements de sa camarade. Des fossettes creusaient ses joues comme ses narines palpitaient. Liliath déversait tant de sable hors du large trou qu’il pénétrait d’abondance dans ses ongles et ses cheveux. Je devine ce qu’il se cache-là-dessous, mais quand même, elle n’a pas peur de se salir les mains !

Une fois la profondeur acquise, Liliath s’essuya le front, puis y plongea ses bras. Elle eut beau plisser, gémir, elle échouait à soulever le contenant.

— Ma force me fait défaut ! s’amusa-t-elle. Chère inquisitrice, toi qui es bien plus costaude, pourrais-tu me donner un coup de main ?

— Si gentiment proposé, dit Docini, pourquoi refuserais-je ? La flatterie ne fonctionnera pas avec moi !

— Mon cœur est déjà pris ! Mon amitié, par contre, est inépuisable !

Toutes deux se fendirent d’un sourire avant de se joindre à la tâche. Ici ma force sera utile et ne décevra personne. Bien qu’elles s’appliquassent à tirer avec autant de vigueur, Docini contribua davantage à extraire l’objet de son emplacement. Et elles tombèrent à la renverse. Le sable comme le rire amortit leur chute.

— Nous y sommes ! s’ébaudit Liliath. Il ne reste plus qu’à l’ouvrir !

Le coffre se trouvait à leurs pieds. Émaillé d’ivoires, garni de moulures, il miroitait des nuances ocres et bistrées. Tandis que Docini l’admirait, détaillant ses contours, Liliath se posa à genoux et le déverrouilla d’un simple doigté.

— Quoi ? s’étonna l’ancienne inquisitrice. C’était si facile ?

— Et pourquoi pas ? s’enthousiasma Liliath. Tous les trésors ne doivent pas être hors d’accès !

Sitôt son inspiration prise qu’elle s’empara d’un papier enroulé et jauni au centre du coffre. Et ce fut tout. Docini sonda l’intérieur avec plus ample précision mais n’y décela rien. Inclinant la tête, elle posa sa main sur son menton.

— Qui t’a donnée la carte ? demanda Docini, le front plissé.

— Un marchand itinérant à Doroniak ! fit Liliath. Il m’a promis que le trésor me révèlerait une certaine vérité.

— Contenu dans un seul papier ? Pardonne-moi si j’ai une image biaisée de la piraterie, mais je croyais que vous cherchiez de l’or avant tout ?

Liliath ricana tout en pinçant la joue de son amie.

— Oui et non ! lança-t-elle. C’est sûr que l’argent est pratique pour ripailler et festoyer, plus pour s’acheter quelques babioles bien utiles, mais il n’incarne pas toujours la vraie valeur des choses ! En l’occurrence, la rumeur racontait que les écrits de Eneid Rekos s’y trouvaient. Il suffit de dérouler le papier pour avoir confirmation !

— J’ai peur d’ignorer de qui il s’agit…, avoua Docini.

— Nul autre que le premier conseiller belurdois de l’Empire Myrrhéen, proche ami de Aéroun l’Avisé, quatorzième empereur de la dynastie Teos !

— Mes connaissances historiques me font donc défaut.

— Pas de souci, cela fait longtemps, après tout ! Plus de six cent ans, d’après le même marchand. Un passé assez lointain pour intriguer notre adorable capitaine ! Elle voulait le déterrer le trésor avec nous, mais je voulais qu’elle ait la surprise de son contenu plus tard !

— Alors nous allons d’abord lire puis la rejoindre ?

— Mieux : nous le découvrirons en détail en même temps qu’elle !

Le répit s’acheva par l’abandon du trou désormais vide. Avec grâce Liliath glissa sur la pente de la dune, et dans son élan fut même tentée de trotter. Elle attendit cependant Docini pour qui la descente s’effectua avec davantage de prudence. D’un hochement de tête, parée à bondir à chaque foulée, la pirate se dirigea avec prestesse sur la caravelle amarrée à quelques centaines de mètres. Sans doute Docini l’aurait imitée si elle n’avait pas repéré des traces de pas s’étendant vers l’est.

Personne n’a déniché le trésor avant nous. Mais des gens sont bien passés par ici. Forcément que les côtes ne sont pas vides… De qui pourrait-il s’agir ? Les questions se suspendirent face à l’empressement de son amie, comme elle avisa son retard, et s’en empourpra.

Le bruit s’amplifiait déjà sur le pont. De bon matin, à l’extérieur comme à l’intérieur, leurs camarades brandissaient leurs chopes, chantaient à tue-tête, jouaient aux dés et aux cartes. Beaucoup s’arrêtèrent pour saluer les revenantes. Tant d’accolades bousculèrent Docini dans ses aises, quand bien même ses membres ne se crispaient plus à ces contacts chaleureux. Elle les accueillait au contraire avec un visage illuminé. Ils rient de bon cœur. Ils partagent leur joie. Et surtout, ils ne s’épuisent jamais. Est-ce que j’en mérite tant ?

Les deux pirates atteignirent rapidement la cabine de Nidroska, aussi sa partenaire se chargea de frapper à sa porte.

— Une minute ! répondit la capitaine. Je finis de me masturber !

Tel fut précisément le temps qu’elles patientèrent. Docini rougit davantage que Liliath s’en amusait. Euh, elle manque parfois de tact. Derrière le vantail, le papier comme gage de réussite, elles croisèrent les bras et perçurent des gémissements. Elles s’abstinrent de commentaires, ce même si Liliath sifflota à plusieurs reprises.

Puis Nidroska les accueillit, déployé au service de ses protégées.

— Au vu des circonstances, dit-elle, ce serait un mauvais moment pour nous serrer la main.

Ce disant, elle plaqua ses paumes contre les joues de sa compagne et l’embrassa langoureusement. Docini contempla de nouveau, un peu malgré elle, comme son retrait lui prodiguait une vue avantageuse. Que je suis indiscrète ! Elles ont le droit à leur intimité. Et pourquoi je réagis ainsi à chaque fois ? Il n’y a pas de raison !

Bien qu’elles eussent envie de prolonger le plaisir, Liliath présenta le trésor, qu’elle déposa aussitôt au creux des mains de la capitaine. De quoi lever ses sourcils et flamboyer ses yeux.

— Parfait ! s’exclama-t-elle. Cette carte disait bien vrai !

La capitaine déroula le papier bien dans sa cabine et entama sa lecture. Derrière elle se placèrent Liliath et Docini, même sin cette dernière dut plisser les paupières. Malgré la préservation de l’encre et le délicat tracé des caractères, elle peina à déchiffrer le contenu.

— Je ne reconnais pas tous les mots, confessa-t-elle.

— Forcément, commenta Liliath. En autant de siècles, une langue a le temps d’évoluer !

— C’est encore raisonnable, souligna Nidroska. J’ai appris que l’Empire Myrrhéen a tenté de fixer sa langue pour faciliter son apprentissage dès qu’elle s’était assez répandue. Des règles grammaticales étouffantes, et des controverses inutiles lorsqu’elles changent. Et puis, on n’empêche pas les dialectes d’exister ! Mais leur stratégie est gagnante. Aucune de nous trois n’est myrrhéenne, pourtant elle nous sert de socle commun !

— J’entends bien, concéda l’ancienne inquisitrice, mais je crois que tu as lu plus vite que moi…

Un sourire complice peignit les traits de la capitaine. Elle rendit le papier à sa compagne avant de déclarer :

— Eneid Rekos a simplement écrit ses mémoires ! Et cela donne un bon aperçu de la situation de l’Empire Myrrhéen à l’époque. De la Belurdie aussi !

— C’est-à-dire ? interrogea Docini, bras ballants.

— L’éternel refrain : la guerre ! À cette époque, la Belurdie et l’Empire Myrrhéen étendaient leur territoire de manière égale. La première cherchait à s’étendre au nord, mais en tant que pays montagnard et partenaire commercial, elle n’avait aucun intérêt à envahir l’Oughonia. C’est pourquoi ils avaient tenté d’attaquer le nord de l’Empir, , particulièrement Souniera, e. Une grossière erreur qui coûta des dizaines de milliers de vies, dont beaucoup de civils. Avant que la situation ne s’empire, Eneid Rekos, émissaire royal, a été choisi pour conclure un accord de paix. Ce qui a bien fonctionné !

— Je n’en ai jamais entendu parler… C’est une partie importante de notre histoire, pourtant !

— Les séquelles ont cicatrisé avant de s’effacer. La Belurdie a-t-elle intérêt de se rappeler de sa pire défaite militaire ? Je l’ignore, mais Eneid a contribué à la paix entre ces deux pays. Encore alliés aujourd’hui, mais ça, Docini, je suppose que tu peux le témoigner.

— Le myrrhéen est presque aussi parlé que notre propre langue. Et les lois de l’empire, même les plus répressives, s’appliquent aussi chez nous… Qu’est-ce que cela raconte d’autres ?

— Utiliser un seul papier ne permet qu’un nombre limité de mots ! Il a donc résumé les faits très brièvement : tout le temps qu’il était conseiller pour l’empereur Aéroun, il a évité près de vingt tentatives d’assassinat. Les rancœurs du passé l’ont poursuivi durant longtemps. C’est seulement quand la maladie et l’âge l’ont rattrapé qu’il a trouvé les conspirateurs et les a listés là.

— Pourquoi avoir enterré cette information sur les côtes myrrhéennes, si loin de la capitale ?

— Bonne question. Aucun de ces noms ne m’est familier, mais ils devaient être proches de l’empereur. Peut-être qu’il n’osait pas le dénoncer pour garder ses faveurs ? Ou bien il pensait que quelqu’un retrouverait vite le trésor ? Je ne sais pas. Vous n’avez pas trouvé des ossements, par hasard ? Ce serait intéressant de savoir où il est mort !

— J’ai trouvé autre chose.

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