Chapitre 12 : Rejet et acceptation (2/2)

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Un élan de détermination l’emplit tandis qu’il entrait dans la tente. Les joutes verbales apaisent peu. Son ombre me suit toujours… Y compris dans mon intimité. Peut-être aurais-je dû la laisser en vie. Nwelli a épargné Gemout et il ne la hante pas… Mais ils auraient peut-être été en état de nous poursuivre, de nous ramener à cette existence de servitude. Sans espoir, ni bonheur. Il s’immergea dans un éclat tamisé, issu du globe qu’avait généré Taori. Elle avait croisé sa jambe, joint ses bras, et dans ses pupilles s’inscrivait un pouvoir dont Jizo ne subodorait guère les contours.

— Merci d’être venu, dit-elle. J’espère que tu n’es pas trop déçu de ce refus…

— Tu sais déjà ? s’étonna Jizo.

— Sinon tu serais revenu enthousiaste, et nous aurons abandonné notre campement pour un vrai logis. C’aurait été trop beau.

— Notre échec était donc si prévisible… Mais ce n’est pas tout, n’est-ce pas ? Je ressens quelque chose de différent.

— Ta perspicacité est bienvenue. Assieds-toi donc. Tu dois être éreinté.

Jizo accepta la proposition et s’installa aux côtés de la mage. Alors ressent-il l’amplification de ce scintillement artificiel. Pas seulement éclairait-il la moindre parcelle d’ombre, de plus subtils effets se firent aussi ressentir. Comme si une aura positive s’infiltrait en lui, le détendait, dissipait ses maux. Ai-je réellement prié l’impératrice pour nous sauver ? J’ignorais que la magie était capable de tels bienfaits… Les préjugés sont toxiques.

— J’ai mis du temps à te comprendre, dévoila Taori. Tu t’es confié à moi plus que de mesure, mais certains secrets s’enfouissent par-delà les mots. Notre difficulté à nous révéler est un point commun entre nous deux.

— Que puis-je raconter de plus ? s’enquit Jizo. On m’a dit qu’il ne fallait pas garder la souffrance à l’intérieur de soi. Sinon elle nous ronge.

— Il est aussi impossible de se livrer entièrement, surtout dans ton cas particulier. Tout le monde est au courant qu’une aura maléfique survit à l’intérieur de toi. Personne, sauf toi, appréhende combien tu en souffres. Je veux le savoir. Partager ta peine. Et j’ai peut-être un moyen d’y parvenir.

— C’est possible ? Comment ?

— Si j’ai été jugée si dangereuse par les inquisiteurs, c’est aussi parce que j’ai exploré des voies moins connues de la magie. Vouma n’est pas la première à subsister en tant qu’esprit, privée de son enveloppe charnelle, par l’intermédiaire d’un autre corps. Aucun mage n’est parvenu à agir sur ces esprits plus que de mesure. Mais certains sont parvenus à communiquer avec eux. J’aimerais essayer.

— Pourquoi tu hésites ?

— J’ai peur d’échouer. Que tu souffres davantage. J’ai peur que m’immiscer en toi fasse des dégâts.

Au paroxysme de son apaisement, Jizo posa sa main sur l’épaule de Taori, prolongea l’invitation d’un sincère hochement de tête.

— Rien ne pourra être pire que Vouma, déclara-t-il. Je t’autorise à entrer dans mon esprit.

Jizo se montra moins hésitant que Taori. Elle veut éviter de me blesser, c’est tout à son honneur. D’une main tendue et tremblante voletèrent des particules lumineuses qui cernèrent l’ancien esclave. Sitôt l’enveloppa-t-il sous une aura iridescente, sous un rayonnement modéré. Il ressentit d’abord quelque chose de léger, d’imperceptible, et pourtant plaisant.

Puis il entra en transe. À l’instar d’une projection en mesure de l’étaler sur la toile. Une trame submergea le jeune homme, imagée sous une forme de nuée spirales. Des milliers de nuances bariolaient hors des habituelles conceptions. Privé du contrôle de son corps, Jizo le découvrait à travers une nouvelle perspective. Par-delà les sens, par-delà les contours limités de sa vision, par-delà les frontières du réel.

Devant lui, la virtuose mage, peignant son sort d’un précis doigté. Pareille quantité de magie impactait inévitablement, ce même si elle se gardait d’en libérer trop au même moment. Ses pupilles disparaissaient derrière l’intense blancheur de son iris tandis que des traits lumineux étincelaient tout autour d’elle. Elle ne doit pas souffrir non plus !

Jizo était essoufflé, cloué au sol. Taori était debout, maîtresse de son environnement. Elle dévisagea Vouma, observant la scène d’un œil inquisiteur. Des tressaillements la trahirent. Ça a fonctionné !

— Enfin un peu de compagnie ! se moqua-t-elle.

— Tu n’apprécies pas ma présence, répliqua Taori. Jizo m’avait prévenu que tu te réfugiais derrière l’humour. Sauf que tu n’es pas drôle.

— Ta maîtrise du myrrhéen n’est pas fameuse. Comme quoi j’ai vraiment été chanceuse d’avoir Jizo pour moi !

Des ondes concentriques émergèrent des paumes de la mage. Sans être éjectée, Vouma dressa tout de même ses mains à hauteur de visage. Ses yeux s’écarquillèrent.

— Tu avais oublié ce qu’était la peur, menaça Taori. Je peux te la réapprendre.

— Qui es-tu donc ? fit Vouma en trémulant. La gardienne protectrice de Jizo ? Tu es plus efficace que tous ses camarades. Irzine avait essayé de m’insulter indirectement, ce qui avait été moins efficace.

— J’ignore qui je suis. Mais je connais tes capacités. Et je sais te jauger.

— Nous en revenons aux vaines paroles. J’ai écouté votre conversation, comme toujours. Ma connexion avec Jizo est trop forte.

— En effet. Par contre, je peux t’empêcher de nuire par d’autres moyens.

— Tu altères donc la réalité. J’avoue être impressionnée.

— Pourtant tu en es familière. C’est ainsi que tu as survécu à travers Jizo. La vérité est évidente, Vouma : tu souffres d’addiction. Tu t’es réfugiée dans la drogue pour fuir tes peurs, au lieu de les affronter.

— Pardon ? Je retire un peu ce que j’ai dit. Visiblement, tu ne choisis pas tes mots au hasard.

— Tu as refusé ton destin et ton individualité. Tu as employé la thynème, aux effets réputés néfastes au Diméria. La crainte de l’abandon t’a encouragée à te lier à Jizo, même après la perte de ton corps. Tu es là sans l’être.

Si le flux se dispersait, perdant une once de son intensité, Vouma gardait une distance de sécurité vis-à-vis de son interlocutrice. D’indicibles sillons creusaient sa figure.

— Tu es réduite à me dresser un réquisitoire ? demanda-t-elle.

— Je veux que tu prennes conscience de qui tu es réellement, déclara Taori. Une égocentrique qui fait souffrir un innocent pour retarder son sommeil éternel. N’essaie pas de te réfugier sous de quelconques excuses, et encore moins ton attachement maladif.

— Est-ce de la jalousie que j’entends dans ta voix ?

— Silence ! Chacun de tes morts porte la haine, l’envie et le mépris. Il y a un clair manque de conscience dans tes actes. Tu te juges encore digne après tout le mal que tu as perpétré.

— Je devine ce que tu ressens. Un sentiment d’injustice, pas vrai ? Tu es enragée à l’idée que des personnes comme moi existent. Que j’aie pu mener une existence tranquille et que j’en profite encore, réfugiée dans un esprit sain et en ébullition. Tu as souffert, Taori, je le sens très bien. Jizo s’est plus confiée envers toi que l’inverse. Aurais-tu quelque chose à cacher, Taori ?

— Ta lâcheté ne rencontre aucune limite. Tu…

Une vive douleur foudroya le crâne de Taori. Plissant ses paupières, rejetée sur ses genoux, Taori perdit le contrôle de son environnement. Aussitôt les particules lumineuses voletèrent hasardeusement et se dispersèrent à l’extérieur de la tente.

Mais Vouma avait disparu, fût-ce éphémère. Une énergie nouvelle habita Jizo. Il se précipita vers Taori, l’empêcha de chuter, elle dont la transpiration exsudait de son front. Toujours sa paume captait le flux environnant : elle récupéra peu à peu, même si son ami l’aida à tenir.

— Tu n’étais pas obligé…, murmura Jizo, mordillant ses lèvres.

— Il le fallait, dit Taori. Tu n’es pas libéré d’elle, mais au moins elle a quelque chose à craindre. Je ne pourrai pas intervenir trop souvent… Je risque de te laisser des séquelles.

— Mais je me sens mieux !

— Pour l’instant. Et puis, ce n’est pas le seul problème. M’infiltrer en toi est un sort très coûteux du point de vue magique, car je dois en ressortir, là où un esprit n’a plus rien de matériel et demeure passivement. Aussi… Je crois que… Non !

— Que se passe-t-il ?

Alimentée par sa magie récupérée, Taori se hâta vers l’extérieur, ce alors que Jizo perçut les rapides battements de son cœur. Elle qui est si calme d’ordinaire, pourquoi panique-t-elle ainsi ? Il se conforma à ses prestes foulées, quitte à s’aventurer dans la nuit.

Ils atteignirent un chemin boueux qui serpentait entre les arbres. Sifflaient des oiseaux nocturnes, soufflait la persistante brise. Derrière une mage alerte s’égarait un jeune homme penaud, aux lourdes inspirations, manquant de circonspection en comparaison.

— Pourquoi être venue ici ? demanda-t-il.

— Mon instinct me piège, affirma Taori. L’adversité plane, renferme ses crocs, surgit à la moindre manifestation de magie… Et je nous mets tous en danger.

— Je n’entends pourtant personne… De quel ennemi parles-tu ?

Un bruissement de buisson. Un frémissement tout juste audible. Un tintement sur la terre. À peine perçu que la fatalité transperçait par-delà la végétation. Un homme se jeta sur Jizo, épée brandie, paré à l’abattre sur lui. Mais Taori s’interposa de justesse et déploya un rayon lumineux, engendrant un flash aveuglant.

Un trou béant perça l’armure et la poitrine de l’assaillant qui s’effondra sans soupir.

Jizo se figea derechef. Elle m’a sauvé la vie… J’aurais pu mourir par mégarde. Alors que ses remerciements peinaient à être prononcés, Taori examina la dépouille. Sa mine s’assombrit.

— Je vis aussi dans la crainte…, se dolenta-t-elle. Je l’avais prédit, j’en ai la certitude : je vous mets en danger.

— Qu’est-ce que tu entends par là ? Nous devons nous serrer des coudes !

— Peut-être, mais là, ils sont venus pour moi.

— Je ne comprends pas… Une minute, cette tenue m’est familière !

— Je ne la reconnais que trop bien. J’avais cru qu’ils étaient repartis vers le nord après la bataille. Pas tous, apparemment. Des inquisiteurs nous traquent.

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