Chapitre 10 : Ordre et sécurité (2/2)

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La nuit était tombée. Peu de gens se baguenaudaient dans les couloirs à une heure si tardive, aussi l’assassin se complaisait dans le mutisme ambiant. Une atmosphère plus agréable. Aucune parole inutile, juste un instant suspendu, que l’on savoure trop rarement. Elle marchait à une vingtaine de mètres derrière Bennenike et Koulad. Assez rêvassé. Il faut avancer. Soudain on la sollicita, et lorsqu’elle se retourna, elle faillit sauter. Une paire d’yeux pétillants d’admiration étaient rivés vers elle. Bouche grande ouverte, envahie de frissons Dénou ne lâchait pas l’assassin.

— J’ai d’abord cru que vous étiez sa garde du corps, fit-elle. Mais je me trompais ! Vous êtes l’assassin de l’impératrice, pas vrai ? La seule, l’unique, l’invaincue !

Nafda acquiesça. Oranne me dévisageait avec défiance. Soit l’opposé de l’attitude de cette petite. Je crois que je l’aime bien. Sur sa lancée, elle tapota la tête de l’adolescence.

— C’est bien moi, affirma-t-elle. On m’appelle Nafda.

— Oui, vous êtes si célèbre ! Vous pouvez me montrer vos dagues ?

D’abord l’assassin se mordilla les lèvres, puis ses traits se détendirent. Toujours directe, cette Dénou. Mauvaise nouvelle confirmée : je me taille une trop grande réputation. J’espère que cela n’impactera pas ma mission… D’autant que je ne suis pas si invaincue que cela… Après un moment d’hésitation, Nafda se gonfla d’assurance attrapa ses dagues. Elle les fit tournoyer entre ses doigts, de quoi entraîner un émerveillement encore plus prononcé.

— Extraordinaire ! s’extasia-t-elle. Renversant ! Ma tante vous les a confiées ?

— Tout à fait, dit Nafda. J’essaie de rendre honneur à cette précise conception le plus souvent possible.

— Quel éclat… Et quelles courbes ! Ça donnerait presque envie de devenir assassin !

— Hum… Je te suggère de rester dans la politique. Ma position est loin d’être enviable. Aussi abjecte que cela puisse paraître, l’acte d’assassiner me comble. Mais c’est loin d’être le cas de tout le monde. Comme des opprimés, contraints à tuer par nécessité. Je me salis les mains pour que d’autres n’aient pas à le faire.

— Vous explorez des chemins dans lesquels nul n’ose aventurer. Il paraît que vous avez tué la tyrane Jounabie Neit. Ça n’a pas dû être facile !

— Le plus difficile a été de l’atteindre. Une chose que partagent nombre de criminels est leur lâcheté. Jounabie ne dérogeait pas à la règle. J’ai envie de confirmer que le monde se porte mieux sans elle. La vérité, c’est qu’il nous reste de nombreux ennemis.

Bennenike doit être déjà couchée. Signe que je perds mon temps… Ou que j’en raconte trop, en tout cas. Dénou persistait à contempler Nafda. Pas que cette dernière s’en détournerait de toute hâte, mais un sentiment de lassitude commença à émerger. Au moins l’adolescente ne prolongeait guère le dialogue outre mesure, laconique, admirative.

Nafda s’apprêta à ranger ses dagues.

Mais elles se mirent à vibrer.

S’orientant vers la baie vitrée, son cœur tambourina contre sa poitrine et ses poils se hérissèrent. D’instinct adopta-t-elle une posture de combat.

— Cours, Dénou ! avertit-elle. Va te mettre à l’abri !

— On nous attaque ! paniqua-t-elle. Mais qui ? Et pourquoi ?

— Des mages. Ciblant la famille Teos. Ne te tracasse pas, j’en fais mon affaire.

Nafda esquissa un sourire de défi en avalant sa potion. Le voyage m’a donné l’opportunité d’en fabrique d’autres, l’occasion est belle. Elle sprinta en sens opposé par rapport à Dénou qui se retourna, ahurie par sa vitesse. Ma puissance, si longtemps endormie, va se déployer.

Par-delà la fenêtre gronda un tonnerre artificiel comme des ondes ébranlèrent les murs. De telles secousses seront-elles capables de faire des ravages aux fondations ? Débarrassons-nous des intrus avant de le savoir. Quand l’obscurité se présenta à elle, quand l’illumination révélait les véloces silhouettes, l’assassin anticipa leur direction.

Et elle s’était dirigée vers la mauvaise.

Elle rebroussa chemin aussitôt. Des beuglements surgirent depuis l’étage inférieur, ce qui l’exhorta à accélérer son rythme. Là où flottait la nauséabonde odeur de l’enchantement atténuait le parfum des ficus et violettes. Partout où ils vont, ils répandent leur poison. Que cela cesse !

Le vermeil détonna au sein de l’albâtre. Occupants pris au dépourvu, gardes décédés à vouloir protéger, une dizaine de dépouilles jonchait le sol. Une autre dizaine souffrait, entre hurlements et gémissements, adossés entre les murs lézardés d’impact. Au sein de l’agonie jaillissaient les responsables. Une bande de mages, certes, mais attifés de loques malpropres en lieu et place de coutumières robes.

Peu importe leur origine sociale. Ils restent nos ennemis. Nafda traversa la volée de marche, prit appui sur la rambarde et, sur son élan, bondit sur l’adversité. D’emblée transperça-t-elle la nuque d’un intrus qui trépassa en un instant. J’interromps leur si belle avancée.

Ainsi l’assassin se trouva-t-elle au milieu de ses proies naturelles.

Lames brandies, déjà ensanglantées, elle se lécha les lèvres tout en les toisant.

Ils fondirent sur elle. Rayons lumineux et jets de foudre éblouirent le couloir. Mais Nafda, réactive, dévia les sorts. Après quoi elle s’accroupit, pivota, estoqua. Et une adversaire de plus s’effondrait devant sa jubilation contenue. Quelques traces de sang striaient par-dessous son équipement, mais elle s’en contenta d’en grincer les dents.

Vous en voulez encore ? Nafda ne ralentit jamais. Pas même lorsque ses dagues oscillèrent au contact de transparentes protections. Les mages avaient beau se réfugier derrière leur sphère, autant aptes à désaxer, ils retardèrent l’inévitable. Et leur figure se parait d’horreur, comme l’assassin détruisait enchantement et conception, cisaillait des cous avec infinie précision.

Nafda tuait continûment. Pourtant son nombre d’adversaires était limité. Las de rencontrer de l’opposition, ils se frayaient un chemin dans les artères du palais. Se dispersaient là où générer flammes et vibrations en toute impunité. Or la jeune femme n’escomptait les laisser agir.

Telle était sa traque. Suivre les indications de ses lames. Identifier les pernicieuses silhouettes. Rencontrer de la résistance, pour que l’égorgement devînt jouissif. Répéter les gestes jusqu’au moment où l’abomination s’affadissait, gisait à ses pieds, noyés dans leur propre fluide vital. Se remettre de ses blessures, émettre quelques râles, reprendre de plus belle.

Quelques fois, hélas, on la devançait. À l’instar de Nerben qui, au coin d’un mur, rit à gorge déployée. Il emprisonnait un mage par la simple force de ses doigts enserrés contre son cou. Avant que la cible pût ripostée, paralysée, le milicien plongea sa hallebarde dans son ventre. Un large trou se forma, dans lequel il baigna ses mains. Il arracha les intestins de l’homme déjà agonisant qui s’étouffa en borborygmes. Triomphant, le vétéran piétina la dépouille, sans même prêter attention à Nafda. Il existe des mises à mort plus propres.

L’assassin ne se distinguait plus. Elle circulait parmi les miliciens, menés par Lehold, lesquels formèrent un mur contre les mages. Malgré leur opiniâtreté, malgré leur arme luisant dans la pénombre, ils échouèrent à bloquer la progression de l’ensemble dans les intrus. Nafda en repéra quelques-uns se ruer à l’étage supérieur, ce pourquoi elle entreprit de les poursuivre.

Un cri perça le tumulte.

Dénou ! Elle n’a pas su se réfugier ! Plusieurs personnes luttaient dans les environs. Nafda repéra même Phedeas, lequel s’éloignait de l’appel à l’aide. Hein ? Mais que fait-il ? Il est trop lâche pour mettre ses différends de côté ? Pareille attitude encouragea Nafda à se précipiter davantage. À sauver la vie d’une future alliée acquise à leur cause.

Mais le modèle s’était déjà illustré. Et le portait s’illustra par-devers Nafda, illuminé dans les reflets nacrés qui contrastaient dans l’obscurité. Dénou, rejetée au sol, l’épaule tailladé et les yeux baignées de larmes. La responsable, suppliant la pitié, suspendue face à la suprême autorité. Bennenike, impitoyable, tenant la mage d’une main, et sa dague de l’autre. Son discours de triomphe. J’en frissonne d’avance.

— Je suis fâchée, déclara-t-elle d’une voix glaciale. Ma lutte contre les mages est détachée depuis des années. Mais si vous vous en prenez ma famille, cela devient personnel. Vous croyez pouvoir vous infiltrer ici et assassiner sans vergogne quiconque croise votre route ? Même après m’être débarrassé de bon nombre des vôtres, vous persistez à vous comporter en barbares. Comme si vous demandiez votre extermination. Sache, très chère, que tu es privilégiée. D’aucuns affirment que je me contente de donner l’ordre de vous tuer, ou de vous exécuter moi-même une fois capturés. Je sais aussi me défendre. Surtout quand il s’agit de protéger les miens.

Bennenike joignit le geste à la parole. S’imprégna du sang de son ennemie. Contempla son agonie dès qu’elle lui eut transpercé le cœur.

Tout danger était écarté. Qu’elle en fût consciente ou non, Dénou s’abrita dans les bras de sa tante. Elle s’y blottit, en sécurité, libre de laisser libre cours en sanglot. L’enlaçait une impératrice victorieuse, toute sourire, chérissant ce contact familial.

Alors que Nafda cessa de se figer face à cette scène, alors qu’elle trépignait encore à l’idée d’assassiner, tintements et impacts tarirent.

L’attaque des mages se soldait par un échec.

C’était facile. Trop facile. Une bande désorganisée, attaquant au hasard ? Je n’y crois pas…

Un ennemi plus puissant se cache derrière.

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