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Plus je devenais riche et célèbre, et plus l’écart se creusait entre elle et moi, entre mes amis et moi, même entre ma famille et moi. J’avais réussi, je montrais qui j’étais, à quoi cela aurait-il servi s’ils n’obéissaient pas tous à la moindre de mes suggestions ? Lassés de ce mépris permanent, la plupart dans mon entourage, avaient finir par fuir, même ceux de la première heure. Il ne restait que ceux qui avaient une relation financière avec moi et les requins qui faisaient des ronds tout autour. Et puis Marion. Mon souffre-douleur, qui en plus d’être coincé par son amour, se retrouvait dans l’étau du luxe et de la drogue. Comme nous l’avions toujours fait, nous sortions beaucoup. Accumulant heures de sommeil de retard, alcool et drogue circulant dans nos veines en permanence. Il fallait oublier la pression, il fallait s’éclater pour échapper au stress. L’incertitude de l’empire toujours chancelant qui tient au fil des caprices de la gloire. Un public qui change, un nouveau qui prend la place dans leur cœur, un changement de mode musicale. Il faut faire attention à tout, écouter mille conseils, aller dans tous les sens. Assailli de toutes parts, par les doutes, par les signes menaçants, les indices négatifs, les allusions. On devient fou. On ne sait même plus pour quoi on vit. Alors c’est la fuite en avant, en se tenant par la main, nous allions briller dans la nuit parisienne des heures inutiles, où le seul but est paraitre pour être. Elle était si belle quand elle m’accompagnait, dans ses tenues sexy resplendissantes. Il y avait autant d’yeux pour elle que pour moi. J’étais heureux. Mais peu à peu la fatigue, l’usure du corps qui affaiblit l’esprit. Tout devenait tendu, au moindre faux pas les soirées dérapaient systématiquement dans la violence. Nous étions de moins en moins demandés, les gens préféraient aller à d’autres tables. Nous étions déjà devenus parias. Nous n’étions plus qu’invités aux rencontres officielles du showbiz. Entre l’alcool et le mépris que j’avais pour eux, là aussi cela se terminait mal. En rentrant chez nous, dès ses premiers reproches, au moindre désaccord, je répondais par des gifles, des coups. De plus en plus durs, qui faisaient de plus en plus mal et laissaient davantage de traces. Les cicatrices n’étaient pas seulement physiques. Les paroles aussi faisaient leurs degats.

Une nuit plus folle que les autres, remplie de haine et de violence, nous nous sommes battus. Tout avait mal commencé. Avant même de sortir, nous avions eu une altercation. Au dernier moment, elle m’avait annoncé qu’elle était trop fatiguée pour sortir. Je lui proposai un rail de cocaïne pour se remettre d’aplomb, mais elle refusait. Ce soir-là je devais rencontrer un orga* qui devait me faire signer pour un très gros festival, j’estimais avoir besoin d’elle à mes côtés. Ma belle potiche qui détournerait l’attention et faciliterait les négociations. Elle ne voulait pas, et me reprochait de l’utiliser de cette façon. La dispute dégénéra, je lui donnai une gifle et la trainai par les cheveux dans la salle de bain pour qu’elle se prépare. Elle est restée enfermée, à pleurer, un long moment. Mais n’en pouvant plus de mes hurlements, elle décida d’accepter pour me calmer. J’avais déjà pris une bonne dose de whisky pour me remettre d’aplomb. Je me haïssais à chaque fois que je la frappais. Mais c’était plus fort que moi, elle me poussait à bout. En vérité, je ne supportais plus rien qui me contrariait, surtout pas de sa part. Nous sortîmes et arrivâmes à la discothèque, après avoir passé le trajet à s’embrasser et boire du whisky dans la limousine : l’un comme l’autre, nous voulions changer d’humeur pour passer une bonne soirée. Durant la nuit, je rencontrai l’orga, mais pour un mot de trop la discussion s’envenima, et il refusait ensuite de vouloir me signer** pour le festival. J’étais passablement sur les nerfs. Tout commençait à devenir sombre et anxiogène, les gens paraissaient me regarder de travers, ou se moquer de moi. J’allais de disputes en altercations. L’alcool et la cocaïne me rongeaient le cerveau sans que je m’en rende compte, je sombrais dans la phase paranoïaque de l’effet psychotrope.

Nous sommes rentrés. Une nuit plus folle que les autres, remplie de haine et de violence a alors commencé. Nous nous sommes engueulés, puis battus.

Nous nous sommes battus si durement que je l’ai défigurée.

Oui, ma poupée, ma si belle, mon amour de porcelaine tellement fragile. Celle pour qui je me suis toujours démené de façon à la garder pour moi seul. Celle pour et par qui j’ai construit cet empire musical, cette longue et fastidieuse starisation. J’étais si orgueilleux de me montrer ainsi à elle, fort, invincible, toujours gagnant. Je supposais que c’est grâce à la fierté que cela lui procurait qu’elle restait auprès de mois. De sa beauté, il ne demeurait rien ou presque. Seul ce visage boursoufflé, ensanglanté, restait là pour me rappeler quelque chose de magnifique. Impossible. Cette laideur effaçait tout, mon amour, mes souvenirs. Ma vie entière pissait le sang comme son nez ouvert et ses lèvres déchirées. Dans la pâle lumière de l’aube qui pénétrait par les baies vitrées de ce vingt-cinquième étage, plissant les yeux pleins d’alcool et d’absence de sommeil, je voyais sa figure et je sus qu’il n’y avait plus qu’une issue, un seul moyen de tout effacer, de faire disparaitre ce cauchemar. Je pris un petit révolver que je gardais dans un tiroir, et je me tirai une balle sous le menton, vers la tête. Laure mourut de ses blessures, pas moi.

orga*, terme de l’argo du milieu musical. Organisateur d’évènement musical, concert ou festival.

signer**, façon d’utiliser le verbe signer dans le monde des artistes.

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