Pouête !

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J'ai été poète, puis ma carrière s'est brisée. Brutalement ! Voici comment :

Au siècle passé j'étais jeune poète. Pour de vrai. J'assume. Je rimais Amour avec toujours. Très jeune puisque j'y croyais encore. Naïf. J'écrivais des poèmes, des tonnes. J'aimais ça. Inspiré par une muse légère et gracile, j'onanisais avec fougue mon cerveau, entre autres. Le vent de l'inspiration soufflait sur mon esprit aérien. Voyez le genre... Je m'appliquais. J'hémistichais, comptais les syllabes, mettais une virgule, l'enlevais, la remettais. Cherchais les mots pour rimer riche. J'effaçais, écrivais à nouveau. Je déchirais, recommençais... Je m'arrachais les cheveux puis les coupais en quatre. J'y mettais mon ardeur, tout mon temps et mon cœur (alexandrin). Je m'enivrais de poésie dans d'innombrables vers à pieds. J'étais le ciseleur des mots, le microchirurgien de la rime, l'orfèvre des émotions. Le vent ne se levait que pour m'ébouriffer la tignasse. Le printemps n'arrivait rien que pour m'inspirer (alexandrin). J'avais plus d'appétit qu'un barracuda (Alexandrie Alexandra). J'étais le poète des poètes. En un mot : le poète-poète. Mais la vie est là pour nous rappeler qui nous sommes. Et un jour, au hasard de mes lectures, j'ai lu ceci, extrait :

..." Derrière les ennuis et les vastes chagrins

Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse,

Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse

S'élancer vers les champs lumineux et sereins;

Celui dont les pensers, comme des alouettes,

Vers les cieux le matin prennent un libre essor,

Qui plane sur la vie, et comprend sans effort

Le langage des fleurs et des choses muettes".

Magnifique et aérien. Du beau, de l'air, si je puis dire. Le choc ! Dans ta gueule le poète-poète ! Le Monsieur y t'explique en 8 alexandrins pas piqués des vers comment être heureux ! Rhoooo, l'enc... le génie ! Moi, dont l'élévation était celle d'un albatros sur l'air ascensionnel de l'inspiration poétique, voilà que j'atterissais à la manière dudit animal : en me vautrant lamentablement. Maladroit et honteux. Brisées, les ailes ! Que pondre après avoir lu ça ? Ça m'a cloué le bec. Ça ma démaquillé la muse. Je l'ai vue en vrai. Moins sexy. Desseins dégonflés. M'amusait plus. J'étais confronté à la réalité : Je poètais plus haut que mon cul ! Dur (la réalité donc, pas mon cul) ! Après ça, toute ma poésie me semblait aussi captivante qu'une notice de montage d'un meuble suédois. Le meuble Dantonkül, par exemple... Le poète que je croyais être à rendu son dernier souffle par fin d'inspiration. Son fantôme hante encore parfois mon esprit. Il m'arrive d'entendre sa voix. Comme maintenant, où elle me supplie ceci : "Dis-leur que s'ils ne doivent lire qu'un poème dans leurs vies, ce soit "Élévation" dans le recueil "Les fleurs du mal" de Charles Baudelaire. S'il te plaiiiiiiiit, dis-leur... !". Je lui réponds : " Ta gueule, Poète-poète, ta gueule !...".

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