Marguerite.

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Voici l'histoire de Marguerite, une fleur qui devient dépressive puis qui retrouve goût à la vie grâce à une rencontre inattendue.

Un jour de printemps Marguerite naît sur une colline au pied d'un grand chêne réputé pour sa sagesse. Elle pousse, tranquille, en prenant son temps. Elle découvre la nature qui l'entoure, le paysage, les oiseaux qui chantent, les coccinelles, la pluie, le vent et tout ce qui fait la vie. Elle est émerveillée et contemplative. Elle s'éclate, se trouve belle, les pétales en éventail, souple de la tige, détendue du pistil. Le matin le soleil se lève, elle trouve ça beau, elle est contente et s'ouvre. Le soir le soleil se couche, elle est contente de sa journée, c'est l'heure de dormir, elle se ferme. Jusque-là, tout va bien, elle est heureuse. Elle vit comme ça un moment sa vie de fleur, peinarde, bref, la routine...

Sauf qu'au bout d'un certain temps elle constate que la routine c'est toujours la même chose et ça ne l'intéresse plus. Elle s'ennuie et a envie d'évasion. Elle en a marre, raz la corolle, elle doit agir ! Du haut de la colline elle voit que le monde est grand. Elle se dit qu'elle va partir à sa découverte histoire de vivre de nouvelles aventures. Sauf que... ben... elle est enracinée et ne peut pas se déplacer. Elle essaie pendant des jours de se déplanter, elle s'acharne mais il n'y a rien à faire. Elle qui rêve de voyager comprend qu'elle est plantée là jusqu'à la fin de ses jours. Ça l'énerve prodigieusement. Du coup elle commence à en vouloir à tout le monde. Elle n'aime plus les oiseaux qui peuvent voler en liberté. Elle n'aime plus les insectes qui peuvent ramper où bon leur semble. Le vent la gave parce qu'il vient de pays lointains. Et le soleil, n'en parlons pas ! Tous les matins il l'oblige à s'ouvrir pour vivre dans un monde dont elle ne veut plus. Elle trouve cela très injuste. Marguerite change, elle devient acariâtre, mauvaise, aigrie et colérique. Jalouse de leur liberté de voler, elle insulte les oiseaux qui passent : "Fous le camp d'ici ! Va cui-cuiter ailleurs, oiseau de malheur !". Elle gueule contre les insectes qui passent : "Qu'est-ce que tu fais là, cloporte ! J'veux pas te voir chez moi, allez, oust, sale bête !". Un jour un pauvre escargot passe près d'elle. Quand elle le voit avec sa maison sur le dos a pouvoir voyager pas vite, certes, mais comme bon lui semble, elle lui crie dessus : "Non mais regarde-toi pauvre rampant à baver partout comme un gros dégueu ! Tu es moche et gras avec ton gros pied qui pue. File d'ici, tu me dégoûtes ! Bêrk ! T'es chez moi et tu me pollues avec ta bave...". Le pauvre escargot essaye de s'enfuir du mieux qu'il peut mais comme il est très lent, il entend encore longtemps Marguerite lui vociférer des horreurs. L'escargot manquait d'assurance et il fut très traumatisé par cette rencontre. Il perdit totalement confiance en lui. Marguerite lui avait transmis son mal-être. Il pleura plusieurs jours et dû faire un grand travail sur lui pour remonter la pente. Mais ça, c'est une autre histoire...

Revenons à Marguerite. Comme elle n'est pas satisfaite de sa vie, elle ne veut pas que les autres le soit de la leur. Elle profite de chaque occasion pour les dénigrer ou leur dire du mal. Elle s'attaque surtout aux plus faibles. Au brin d'herbe à ses pieds elle dit : "Pauvre petit brin d'herbe, non mais tu t'es vu ? Tu n'as vraiment rien pour toi. Moi j'ai mes pétales et je suis belle. Je peux m'ouvrir et me fermer, mais toi, t'as quoi ? Que dalle ! T'es juste une espèce de tige verte qui ne sert à rien de bon. Tiens, je vais te dire ce que tu es : une erreur de la nature !...". Marguerite est devenue bête et méchante. On parle d'elle sur la colline et elle se fait vite une réputation détestable. Tout le monde la fuit et on l'appelle la "Flolle", la fleur folle. Elle se retrouve seule et triste. Mais cela laisse la super opportunité à Marguerite de se considérer comme une victime. Comme elle n'a pas choisi d'être une fleur, de ne pas pouvoir voyager, d'être prisonnière d'une vie qu'elle n'a pas voulu, elle ne s'estime pas responsable de ce qui lui arrive. Et si ce n'est pas elle, alors ce sont tous les autres. Elle pense : "Personne ne me comprend et puis personnes ne m'aime, tout le monde est méchant avec moi, c'est injuste...". Elle se dit aussi : "Ma vie n'a pas de sens, je suis inutile. Je suis plantée là à m'ouvrir et me fermer tous les jours pour rien. Mon existence est vide, je suis inutile, à quoi bon vivre..." et elle pleure beaucoup.

Elle ne se doute pas à cet instant qu'une rencontre va bouleverser sa vie...

C'est un bruit bizarre qui attire d'abord son attention. Un bourdonnement lointain qui devient de plus en plus fort. Elle comprend que quelque chose d'énorme se rapproche. Elle commence à avoir peur. Elle voit au loin une espèce de gros nuage noir qui vient vers elle très vite. C'est un essaim d'abeilles qui se déplace et qui cherche un endroit pour se poser. Les abeilles repèrent le grand chêne près de Marguerite et décident de s'installer là, sur une grosse branche juste au-dessus de la fleur. Évidemment, Marguerite n'est pas contente de ce nouveau voisinage. Elle se dit : "Hé ben, y manquait plus que ça ! Des voisins bruyants ! On ne peut pas être tranquille ici ! Et quel vacarme, c'est pas possible !..." et gnagnagni et gnagnagna... Une fois installées, les abeilles commencent à prospecter pour trouver du pollen. L'une d'elle repère très vite Marguerite et se pose sur elle sans méfiance pour la butiner. "HÉ, HO !", lui crie Marguerite, "Ça va pas ? Tu fais quoi, là ? Dégages ! Arrête ça tout de suite !" L'abeille, surprise, se recule un peu. Elle pourrait partir et aller butiner d'autres fleurs plus sympas un peu plus loin mais elle est intriguée. C'est la première fois qu'une fleur l'engueule. D'habitude elles sont plutôt contentes d'être butinées et elle se demande pourquoi celle-ci est de mauvaise humeur. "Ben ? dit l'abeille, qu'est-ce qui t'arrive, t'as un problème ?

- Mais c'est toi qui a un problème, répond Marguerite, je t'ai rien demandé, tu te prends pour qui ? qu'est-ce que tu viens me farfouiller là ? C'est quoi ce bazar ?

- Ben J'te butine, c'est normal..." Marguerite n'a jamais été butinée. Elle ne connaît pas le concept. "Tu me QUOI ? Mais de quel droit tu me butines ? Et puis c'est quoi ça butine ? elle dit à l'abeille.

- T'es une fleur, j'suis une abeille alors je te butine, c'est la nature, c'est normal.

- Normal ? Mais pourquoi tu fais ça ?

- Non mais je l'crois pas ça, tu sais pas ce que c'est ? T'as jamais été butinée ?

- Ben non.

- J't'explique : mon job c'est de passer de fleur en fleur, comme toi, pour récolter du pollen. Ça permet deux choses. La première c'est qu'en allant d'une fleur à l'autre je mets un peu de ton pollen sur d'autres fleurs de ton espèce, ça les féconde et comme ça, au printemps prochain de nouvelles fleurs naîtront. Vous, vous continuerez d'exister et moi je pourrai continuer mon job. Tout le monde y gagne !

- Mais c'est dégueulasse", dit Marguerite qui est un peu pudique. Mais comme elle est aussi curieuse, elle demande : "Et c'est quoi la deuxième chose ?

- C'est que je ramène du pollen à l'essaim au-dessus de toi pour en faire du miel, une espèce de pâte un peu gluante et très sucrée, c'est super bon et ça permet de nous nourrir et de faire vivre toutes les abeilles.

- Tu veux dire que c'est grâce à moi que vous pouvez vivre.

- On peut voir ça comme ça, oui. Tu es utile à notre essaim !"

Pour Marguerite c'est une révélation ! Sa vie a un sens. Elle comprend qu'elle est utile à la nature et à la vie. Qu'elle n'est pas qu'une fleur sans intérêt et prisonnière mais qu'elle fait partie d'un tout infini, universel et qu'elle est ce tout. Elle comprend que chaque élément de ce tout à un rôle à jouer, à un sens. Depuis l'univers infini en passant par le soleil, jusqu'au brin d'herbe pour finir au microscopique et à l'invisible à son regard, tout est là pour pérenniser la vie et la nature. Elle est trop heureuse et encore une fois elle change. Elle devient gentille et bienveillante. Elle s'excuse auprès de tous ceux à qui elle a dit du mal, en commençant par le brin d'herbe. Elle retrouve sa bonne humeur et fait du bien autour d'elle. Petit à petit on arrête de l'appeler la Flolle et tout le monde l'apprécie. L'abeille et elle deviennent de grandes amies et Marguerite accueille chaleureusement chaque visite de sa copine. Elle est heureuse.

Un jour elle demande un service à l'abeille : "Dans cette prairie il doit y avoir un escargot malheureux et triste, il me connaît. Essaie de le trouver et dis-lui de passer vers moi, c'est essentiel pour moi, j'ai des excuses à lui faire et je souhaite lui dire à quel point il est important"...

Le grand chêne d'une grande sagesse qui a été témoin de toute la vie de Marguerite affiche un beau sourire satisfait. Il a compris depuis bien longtemps ce que Marguerite n'a compris que récemment. La vie de Marguerite n'a pas changée, c'est la manière qu'a eu la fleur de voir sa vie qui l'a rendu malheureuse ou heureuse. Il se dit que si on sait écouter et rester ouvert à la vie et aux signes qu'elle nous donne, elle nous fait comprendre ce qu'il y a à comprendre...

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