Chapitre 6

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Le soleil ne va pas tarder à se coucher. Nous entrons dans une vieille salle peu éclairée, meublée d’une large estrade en son centre et de deux entrées, sûrement une ancienne scène de théâtre. Drôle de coïncidence, car j’ai l’impression que quelque chose de tragique va arriver.

La salle où nous sommes est située juste aux limites du périmètre du domaine. Je dois avouer malgré moi que cette fille est plus intelligente que je ne le pensais. Elle sait que si nous étions sortis du FSA, tous les surveillants auraient été alarmés par le signal sonore des bracelets que l’on nous a remis à l’entrée. Parce qu’ils sont électroniques, mais ça, il faut le savoir. J’en déduis donc que la brune connait le FSA comme sa poche.

Elle entre sur l’estrade côté cour. D’instinct je me dirige en face, côté jardin. Je sais maintenant qu’elle s’appelle Chiara. Elle a au moins daigné m’accorder cette information. Je balaie ses partenaires du regard. Trois personnes se trouvent derrière elle. Une fille et deux garçons pour être plus précis. Ce sont sûrement ses complices. A voir leurs visages et leur aspect physique, ce sont aussi des lycéens. Chiara appelle les garçons, un grand aux cheveux couleurs châtains, un autre plus petit à la couleur ébène. Puis elle demande à l’un d’entre eux de nous amener deux chaises, et à l’autre de nous apporter une table. Nous nous asseyons en face-à-face. J’ai le sentiment d’être à un entretien. Je prends une grande inspiration avant de commencer. La discussion s’annonce longue et assommante. De plus, j’ai un mauvais pressentiment. Celui de m’embarquer dans quelque chose qui me dépasse complètement…

**********

Après cinq minutes seulement, j’ai déjà perdu le fil de la conversation.

- Alors attends. (Je me frotte le front une énième fois.) Si je comprends bien, t’es en train de me dire que chacun de vous ici a un pouvoir différent ?

Elle hoche la tête.

- D’accord. Donc selon toi, les membres de votre groupe faîtes parti des rares personnes à posséder des… comment t’appelles ça déjà ?

- Des Dons.

- Des Dons. D’accord. Je vois.

Je ferme les yeux un moment le temps d’analyser la situation. Restons calmes et résumons. De mon côté, j’ai un certain pouvoir, même si je ne comprends pas encore comment il fonctionne. Tout ce que j’écris sur mon mémento est supposé se produire. Quant à elle Chiara me dit qu’eux aussi ont des pouvoirs, qu’ils appellent des Dons. Dois-je en conclure qu’il y aurait d’autres gens comme moi ? Ou bien qu’il existe un lien quelconque entre nous ? Peu probable à vrai dire. Dans tous les cas, je me suis promis de faire table rase du passé. J'adopte un air plus posé et décide de jouer la carte du garçon niais :

- Hum… (Je soupire.) Je ne sais pas trop quoi te dire Chiara. C’est une sacrée surprise que tu connaisses mon vrai nom, vraiment. Mais par rapport à ce que t’es en train de m’expliquer là, je n'arrive pas à te suivre, je ne saisis pas du tout où tu veux en venir.

Chiara n’a pas bronché, elle reste inflexible, mais je pense que ça a quand même marché. Je patiente quelques secondes. Aucune réponse de sa part. Je me lève donc avec la ferme intention de quitter cet endroit sinistre et lugubre. Je me dirige vers l’entrée de l’édifice. Arrivé devant la porte je trouve deux hommes en travers de mon chemin, plutôt balèzes. J’ai beau m’avancer vers eux, ils n’ont pas l’air de vouloir bouger d’un pouce. Il ne me faut pas plus de temps pour comprendre. Je repars vers Chiara.

- Qu’est-ce qu’il y a encore ?

Elle me toise du regard.

- Tu pourrais d’abord commencer par être franc avec nous… Comment tes amis te surnomment déjà ?

- Sin.

- Pardon ?

- Appelle-moi Sin.

- Comme tu veux. (Elle marque un temps de pause avant de se lever pour être à ma hauteur.) Je disais, Sin. (Elle affiche un sourire narquois, puis commence à marcher dans la salle.) Toi aussi tu as un don non ?

J’écarquille les yeux.

- Que...

Elle explose de rire. Je m’assois.

- Tu pensais quoi ? Qu’on t’avait fait venir ici par hasard ? Qu’est-ce que tu peux être naïf... Un véritable gosse.

- Enfin, nous avons quasiment le même âge je te signale…

Elle se retourne vivement et plaque ses mains sur la table.

- Avoir le même âge ne fait pas de nous des égaux ! Durant ma vie j’ai vu des choses terribles. Que tu ne verras sans doute jamais…

Elle vient d’élever la voix. Nous échangeons un long regard. Je jurais voir quelqu’un d’autre. Une fille moins renfermée, moins sûre d'elle, et plus affective... Puis d’un coup c’est la Chiara impassible qui réapparaît.

- Excuse-moi, je reprends. (Elle détourne la tête.) Nous savons tout. Ou plutôt je sais tout. Tout ce que tu écris sur ton mémento se réalise.

- Comment…

- Je peux répondre à ta place si tu le souhaites. Ton mémento. Tu l’as depuis ton enfance. Et c’est à cause de lui que t’as tué Ambre. Tu n’as pas à t’en vouloir, tu n’étais pas au courant de tes pouvoirs. Mais tu l’as fais quand même, ce qui ne change pas grand chose au final…

Je ne sais plus trop quoi penser, je ne comprends pas qui est cette fille ni ce qu’elle veut. Serait-elle là pour me nuire ?

- Qu’est-ce que tu sais d’autre sur moi ?

Elle esquisse un léger sourire. Toujours ce sourire mystique.

- Je vois que je commence à t’intéresser… Après avoir été arrêté chez Jade, tu as été inculpé pour homicide volontaire. Tu as essayé tant bien que mal d’expliquer ce qu’il s’était passé à tes parents et à la famille de Jade, mais personne ne t’a cru, et tous t’ont accusé de vouloir te chercher des excuses. Désespéré, tu t’es finalement résolu à plaider coupable. Mais avant d’aller en prison tu as eu un réflexe intelligent : tu as demandé à avoir ton mémento avec toi soi-disant pour « passer le temps ». A peine incarcéré, tu l’as utilisé pour sortir le plus vite possible et qu’on te proclame innocent. Et depuis, tu t’es promis de ne plus retoucher à ton mémento, par crainte ton propre pouvoir.

Je suis perplexe. Je me demande toujours comment elle peut savoir autant de choses sur moi.

- Dis-moi Chiara, toi et tes potes, mis à part vos soi-disant pouvoirs, vous êtes qui exactement ? Et qu’est-ce que vous me voulez ?

- Tout ce que je peux te dire pour le moment, c’est que nous sommes comme toi, nous avons des pouvoirs que nous appelons des Dons. Nous n’avons pas choisi de les avoir, nous les avons, c’est tout. Les individus comme nous qui possèdent des Dons sont divisés en deux catégories : ceux qui veillent sur le monde et ceux qui le terrassent. Nous sommes du bon côté. Et le pouvoir que tu possèdes nous est essentiel pour poursuivre nos objectifs.

- Du bon côté tu dis ? Je ne sais pas si des gens du bon côté ne se seraient pas simplement contentés d’envoyer une lettre recommandée au lieu de kidnapper leurs éventuels et futurs coéquipiers…

- Sin, notre organisation est clandestine, tu comprends bien que nous ne pouvons pas nous permettre de prendre des risques inutiles. (Elle me remet un bout de papier avec un numéro de téléphone écrit, sûrement le sien.) Bien entendu, tu as jusqu’à la fin du festival pour nous soumettre ta réponse. Si tu désires en connaître davantage sur la nature de tes pouvoirs, tu sais ce qu’il te reste à faire.

Je me lève, à moitié apaisé. Mis à part le fait que cette métisse connaisse mon nom, je ne semble courir aucun danger. Contrairement aux opposants de Vito Corleone, il s’agit là d’une offre que je peux refuser. Je me dirige une seconde fois vers l’entrée où cette fois les gardes sont enfin disposés à me laisser passer. Cependant, j’ai la sensation d’avoir oublier quelque chose. Je me retourne vers la jolie brune et la regarde droit dans les yeux.

- Une dernière question Chiara… Quel est ton Don à toi ?

Toujours assise, elle se tourne légèrement et lance un regard vers son acolyte au teint noir. Il lui répond par un hochement de tête. Il a dû lui confirmer son accord. Chiara se retourne alors vers moi.

- J'ai le don de la mémoire. Je peux ressentir les sentiments et connaître les souvenirs de chaque personne dès le moment où je suis en contact direct avec elle. Et les altérer si besoin.

Je lui réponds par un hochement de tête avant de me retourner et de passer la porte. C’était donc ça son secret ! Voilà pourquoi elle savait tant de choses sur moi ! Néanmoins, maintenant qu’elle m’a faite cette révélation, je pense à une chose… Elle ne peut utiliser sa faculté que sur les gens qu’elle a déjà touché, or elle sait que je possède mon mémento depuis mon enfance. Je me retourne précipitamment mais la porte est déjà fermée lorsque je saisis enfin. Je regarde le bout de papier entre mes mains. Mais alors… depuis combien de temps me surveille-t-elle ?

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