Chapitre huitième

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Godric enjamba sans attendre les deux grosses poutres placées en travers de son chemin, baguette allumée en avant. Il ne tarda pas à repérer la chose qui avait poussé le cri. C'était une goule de sang, encore penchée sur son repas : une carcasse animale déjà bien faisandée. Un coup d’œil rapide autour de lui permit à Godric de comprendre qu'il se tenait dans une pièce assez vaste au sol jonché d'ossements. Les goules devaient sortir chasser et revenaient manger ici lorsqu'elles ne trouvaient plus de quoi manger dans les souterrains. L'air empestait la charogne.

— Tu ne vas pas aimer ça, toi. Incendio !

Du bout de la baguette du sorcier jaillit une gerbe de flammes qu'il dirigea vers les immondices. La goule, furieuse d'être dérangée, paniquée par les flammes, se redressa subitement et montra les crocs en grognant, toutes griffes dehors.

— Stupefix ! tonna la voix de Rowena.

Un éclair rouge frappa la goule en pleine poitrine et celle-ci s'écrasa lamentablement le nez par terre. Godric laissa s'écouler un peu de temps, histoire que son feu magique embrase bien les déchets autour d'eux, amassés contre les murs. Puis, d'un geste, il convoqua toutes les flammes sur le corps de la goule qui, sous l'effet de la douleur intense, se libéra du sortilège qui la paralysait. Elle s'agita quelques secondes frénétiquement, puis expira en hurlant.

— Était-ce bien nécessaire ?

— Son cri va attirer les autres, autant que l'odeur de la chair brûlée. Ce sera plus facile pour nous.

— Et si elles sont des centaines ?

— Ce n'en sera que plus spectaculaire, n'est-ce pas Halvard ?

Halvard sembla sortir d'un rêve éveillé. Posséder une baguette donnait donc une telle force, un tel pouvoir ! Lui qui faisait trembler les hommes, ses prouesses, à côté de ce spectacle, n'étaient que tours de passe-passe. Il décida néanmoins d'apporter sa contribution. Brandissant une pierre sortie de sa poche, il la dirigea vers les flammes qui dansaient encore sur le cadavre de la goule. Il psalmodia en une langue inconnue et le feu fut absorbé par la pierre.

— Je suis d'accord, finit-il par répondre. Si nous avancions ?

Godric brandit sa baguette dans une main, son épée dans l'autre.

— Qu'est-ce que tu fabriques avec ce truc ? grogna Rowena.

— C'est un truc d'homme, tu ne peux pas comprendre.

Halvard dégaina lui aussi un long poignard. Il ne s'en servait que rarement, ses pouvoirs lui suffisant bien pour traiter avec les moldus. Mais des goules, il n'en avait jamais affronté. La sorcière soupira, exaspérée par ces mâles qui devaient toujours faire leurs intéressants, mais emboîta le pas.

Ils avancèrent pendant un long moment dans des couloirs, des salles et des tunnels. L’endroit était si labyrinthique que Godric commença à craindre de ne pas retrouver la sortie et, en conséquence, ils commencèrent à marquer les murs pour indiquer d’où ils venaient. Ils rencontrèrent plusieurs goules, mais s’étonnèrent cependant qu’aussi peu de ces créatures aient pu donner du fil à retordre à une troupe de gobelins.

Ils débouchèrent soudain dans une vaste salle. Des braseros brûlaient ça et là et Godric comprit enfin l’étendue du problème. Devant une sorte de trône était rassemblée une bonne centaine de ces créatures grotesques. Un individu était assis sur le trône et il dévisageait avec morgue les nouveaux venus.

— Tiens-donc ! Les gobelins ont-ils trop peur pour venir eux-même ? Ce ne sont pas deux sorciers qui vont me déloger.

— Nous sommes trois, rectifia Godric.

— Je sais compter, merci, rétorqua alors l’homme au teint blafard avec un sourire qui découvrit ses longues dents.

Il s’agissait d’un vampire, à n’en pas douter. Godric n’aimait pas particulièrement avoir à faire à eux. Ils traitaient les sorciers avec mépris, se prenant pour des êtres supérieurs. Godric voyait les choses différemment : ce n’étaient que des sorciers corrompus, le plus souvent de leur propres volonté, prêt à sacrifier beaucoup pour gagner un peu de pouvoir.

Les goules s’agitaient et grognaient, mais ne bougeaient pas. Leur maître exerçait un contrôle sur elles que Godric n’aurait pas cru possible.

— Je vous conseille de déguerpir. Les gobelins m’envoient vous chasser, et je compte remplir ma part du contrat. N’y voyez rien de personnel : j’ai besoin d’argent.

— Je pourrais vous faire tailler en pièce par mes goules, sinon, objecta le vampire.

— Aurais-je omis de me présenter ? fit semblant de s’étonner Godric. Je suis Godric, voici mes amis, Rowenna et Halvard. Et je peux vous assurer que ce ne sont pas quelques goules qui m’empêcheront de vous botter les fesses.

Tout en parlant, le jeune sorcier s’était avancé de quelques pas, se laissant entourer par une dizaine de goules, montrant bien qu’il ne les craignait pas.

— Ces tunnels sont à moi ! affirma le vampire. Les gobelins les ont abandonnés il y a des siècles et n’ont plus aucun droit dessus.

— Vous savez comment sont les gobelins : ils ont leurs propres règles. Ils ne cesseront de tenter de vous déloger. Pour le moment, les clans sont divisés, mais ils ont tendance à s’unir, ces derniers temps. Vous devriez saisir cette opportunité : partir maintenant en vie.

— Sinon ?

— Sinon je vais vous bouter hors d’ici. Et si par un hasard malencontreux, nous échouions, les gobelins finiront par revenir et vous massacrer, tôt ou tard.

Le vampire eut un large sourire.

— Et comment deux sorciers et demi s’y prendront pour chasser toute une confrérie de son repaire ?

Il y eut un frémissement parmi les goules, comme si quelque chose qu’elles craignaient se rapprochait. Le vampire se leva de son fauteuil et s’inclina, comme en signe de respect. Jaillit alors de nulle part un autre vampire. Il avait une allure, une prestance qui trahissait une habitude de domination. Derrière lui apparurent aussitôt deux autres vampires, puis encore un dernier, une femme.

— Les choses sont souvent plus compliquées qu’elles ne le paraissent de prime abord, commenta froidement le nouveau venu, visiblement le chef des nosferatus. J’ai moi-même conclu un accord avec le souverain des lieux, celui que vous appeliez le Sanguinaire, Groborg le Borgne. D’après ses dernières volontés, nul gobelin ne doit jamais remettre les pieds dans les tunnels sacrés de son clan disparu.

Godric fut soudain très inquiet. Un vampire et des goules, c’était une chose, cinq vampires en était déjà une toute autre. Il dissimula néanmoins sa nervosité à son interlocuteur.

— Il existe des descendants de ce clan. Groborg était un fou et, à leurs yeux, ses dernières volontés n’ont pas de valeur. En assassinant les siens, il s’est rendu coupable de trahison envers son clan.

— Ce n’était pas son point de vue, répondit posément le vampire. Nous voilà dans une impasse, jeune sorcier. Ou bien vous sentez-vous à la hauteur pour affronter une armée de goules et cinq vampires, dont un Grand Ancien.

Godric tréssaillit. Peut-être n’était-ce que de la vantardise, mais si ce vampire était un Grand Ancien, il avait du souci à se faire. Non seulement lui, mais tous les sorciers, gobelins et moldus de Londres. Cette caste de vampires, particulièrement rare, était réputée pour figurer parmi les pires créatures des ténèbres qui soit. Puissants, avides et sans scrupule, les rumeurs et les légendes qui couraient à leur propos les plaçaient à l’origine des malédictions les plus tenaces, des sortilèges les plus noirs et de la magie la plus vile qui soit. Godric s’apprêtait à prendre la parole, il voulait se désengager, se retirer sans tarder pour éviter le massacre. S’ils se battaient, ils périraient à coup sûr. Mais Halvard le devança :

— J’ai passé une bonne partie de ma jeunesse à combattre des créatures semblables à vous et à ces goules. Vous ne daignez pas me voir comme un sorcier à part entière, mais je vous lance un défi ! Grand Ancien, si vous en êtes réellement un, je vous provoque en duel, selon la règle du Holmgang Draugr, le duel des non-morts.

Le vampire éclata de rire. Un rire franc et clair, comme il ne devait pas en sortir souvent de sa gorge.

— Voilà donc un connaisseur ! parvint-il à articuler après avoir repris son souffle. Je n’ai pas entendu ce terme depuis un siècle et demi au moins. Mais soit ! Selon la règle de ceux de mon espèce, je suis tenu de relever le défi. Place !


Les goules se ruèrent pour s’entasser tant bien que mal le long des murs et libérer un espace suffisant au centre. Certaines furent chassées dans les couloirs adjacents.

— Qu’est-ce que tu fais ? s’inquiéta Godric. Si tu échoues, nous serons tous tués !

— Mais si je réussis, les autres seront tenus de respecter les volontés du vainqueur. Ne t’en fais pas, j’ai affronté nombre de monstres dans les anciennes cryptes du nord. Et de pires que celui-ci. Surtout, quoi qu’il puisse se passer, n’intervenez pas. Si je me fais tuer, fuyez.

Le vampire se débarrassa de sa longue tunique grise et son corps à la peau pâle se découpa nettement dans l’obscurité, brisée seulement par la lumière rougeâtre des braseros. Il portait un pantalon de toile sombre. Ses pieds nus, son torse et ses bras maigres auraient pu faire sourire son opposant si son visage émacié et ses yeux venimeux ne trahissaient pas sa nature : un prédateur, vieux de nombreuses décennies.

Godric recula près de Rowena qui tenait sa baguette d’une main tremblante.

— Ce type est fou, murmura-t-elle. Il va nous faire tuer.

— Bizarrement, je crois qu’il sait ce qu’il fait. Si jamais ça tourne mal, nous pourrons toujours nous enfuir.

Ils échangèrent un regard et, depuis bien longtemps, ils ne s’étaient pas aussi bien compris. S’ils en arrivaient là, Godric se sacrifierait sans hésiter pour sauver son amie, lui donner du temps. Rowena caressa la joue barbue de son camarade, se remémorant toutes les fois où ils s’étaient attirés des ennuis, gamins, là-bas en Cornouailles.

Le vampire confia sa baguette à l’un de ses suivants. Selon la règle ancestrale des duels des non-morts, les artifices des sorciers étaient bannis de cette ancienne pratique rituelle. Seuls les arts anciens, ce que d’aucuns appelaient la "vieille magie”, pouvaient se pratiquer au cours d’un Holmgang Draugr. Les deux combattants se firent face et laissèrent leurs sens et leurs esprits s’ouvrir à la magie ambiante.

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