Souvenirs d'écriture : l'obsession d'une nuit

4 minutes de lecture

Mercredi 08 janvier 2020

Parfois, c'est étrange, je me rappelle avec une exactitude presque écrasante l'instant où j'ai écrit certaines portions de mes histoires. Que je me souvienne avec précision d'avoir couché les phrases de La Part d'imaginaire, Les Désillusionnistes ou SMOOTHIE, c'est presque inévitable, tant leur rédaction a marqué mon quotidien. Pourtant, à bien y réfléchir, les instants qui m'en restent sont rares, en comparaison de tout ce que j'ai pu écrire.

Je me souviens d'avoir rédigé le chapitre 14 de La Part d'imaginaire, à même le sol, le PC sur mes genoux. Di et Kiera tombaient par inadvertance à travers la porte fracassée, tandis que j'étais assise sur le tapis, dans la chambre du fond de la maison de mon grand-père. Mon chargeur penchait dangereusement, pendu à l'adaptateur de la prise branlante. Mais j'avais l'habitude ; j'avais déjà regardé intégralement Morse en évitant le court-circuit.

Il pleuvait, quand j'ai écrit l'épisode de Noël des Désillusionnistes. C'était au mois d'avril. Il pleuvait aussi, le jour où j'ai imaginé le chapitre au cours duquel Lola s’enlise dans la tourbe du parc pour gagner la bibliothèque. Il faisait nuit, à la fin du mois d'août, quand j'ai mis en mots l'affrontement final. J'écoutais en boucle le même morceau de Sohodolls en décrivant les corps abjects des démons vagabonds. J'ai versé une larme en déployant la scène des sanitaires, et j'ai posé les derniers mots du roman au petit matin, alors que le soleil était déjà haut dans le ciel.

Le morceau « Afterlife » d'Angelzoom tournait en boucle lorsque Deborah, ses sœurs et Andie sont descendues à la cave dans Wendy, my Friend Sleeps Forever. La musique répandait dans la chambre une atmosphère d'angoisse, mes muscles se crispaient. Le tout dernier chapitre fut comme un soulagement.

De SMOOTHIE, je me rappelle surtout avoir écrit durant les cours, dès lors que j'ai eu mon ordinateur portable. Ma voisine grimaçait en lisant par-dessus mon épaule la scène dans laquelle Faustine s'acharne sur les grenouilles. Le prof nous lisait Voyage au bout de la nuit. Et c'est pendant les cours d'histoire sur les penseurs du XVIIème siècle que je tapais les points de vue de Nolwenn.

Celui qui a le plus marqué ma mémoire, c'est l'épisode où Dolorès revit en cauchemar ses souvenirs du Désert. Je l'écrivais à la main, sur un paquet de copies, en attendant mon train, jour après jour. Je l'écrivais encore, sur le coin du bureau, alors que quelqu'un qui prétendait m'aimer m'empoisonnait les oreilles sur Skype, en d'effroyables assauts de RnB français.

Bizarrement, ce ne sont pas les œuvres dans lesquelles je me suis le plus investie dont le moment même de l'écriture a encré ma mémoire. Très régulièrement, je me rappelle l'instant précis où j'ai couché sur le papier les premiers paragraphes de Mémoire morte, récit qui n'a jamais dépassé la page et demi, et que je n'ai même jamais poursuivi après cette nuit-là.

Je venais d'avoir quatorze ans. Plus tôt dans la soirée, j'avais assisté au feu d'artifice qu'on tirait en juin, sur le lac, à l'occasion d'une fête locale. Depuis qu'on s'était garés aux abords de la forêt, une histoire me trottait dans la tête, à propos d'une voiture en panne et d'une fille amnésique. J'ai toujours aimé les personnages avec des troubles de mémoire ; leur propre identité devient un enjeu suffisant, même lorsqu'elle est banale au possible. Ça me vient peut-être aussi de Mulholland Drive, ce chef-d'œuvre que je suis bien contente d'avoir découvert trop jeune. Je n'arrêtais pas de penser à la conductrice de cette voiture inventée, en regardant le spectacle des lumières depuis le haut de la butte. Ma meilleure amie dormait chez moi, ce soir-là. Nous avons regardé New Girl dans la chambre d'amis et rigolé jusqu'à pas d'heure. Lorsqu'elle est allée se coucher, j'ai ressenti le besoin pressant de déverser sur le traitement de texte toutes les idées qui depuis des heures stagnaient dans ma petite tête, tout en ébullition.

Pour vous dire à quel point cette intrigue est tombée dans l'oubli – dans mon propre oubli – je serais incapable de résumer ce dont l'histoire devait parler. Il y avait un cadavre dans le coffre, mais ce n'était pas un être humain ; c'est tout ce dont je me remémore. En revanche, je me souviens très bien d'avoir éprouvé l'urgence de traduire l'idée en mots, d'avoir enduré toute la soirée la pesanteur d'une intrigue en germe qu'il ne fallait sous aucun prétexte laisser filer. J'y pense souvent, trop souvent. Je la ressens encore car, inexplicablement, ces quelques heures inspirées sans un papier pour noter quoi que ce soit se sont gravées en moi ; un véritable petit trauma auteuriste.

Sans que je puisse me rappeler les mots, l’atmosphère qui m'entourait lorsque je les écrivis imprègne encore mon subconscient. Une inimitable magie flottait autour de moi, cette nuit-là. J'écrivais courbée, les coudes arqués par-dessus les barreaux du lit de la chambre d'amis, afin que mes doigts puissent atteindre les touche du clavier, posé sur la table au-delà. Je me demande pourquoi je n'ai pas songé à rapprocher l'ordinateur ; j'étais même trop pressée pour cela, possédée par une muse vorace. Une muse d'un soir, une aventure, qui ne ressurgirait jamais pour me dicter la suite. L'obscurité nous enveloppait, l'Inspiration et moi. Je n'avais pas non plus pensé à allumer une lampe. Il n'y avait que l'écran dont le rectangle de clarté fendait la nuit, comme une fenêtre ouverte sur un monde voisin – celui qui prenait vie, incarné par mes mots. Quelque part dans ma tête, le feu d'artifice crépitait encore, des heures plus tard. J'aurais juré qu'une petite fée me murmurait suavement dans le creux de l'oreille...

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