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Lundi 17 décembre 2019

Chère Sally,

En y repensant, on ne s'est jamais écrit de lettres.

De toi à moi : un colis Amazon dont j'ignorais la provenance.

De moi à toi : une carte postale, intégralement rédigée en messages codés, de peur que ta mère tombe dessus.

Aujourd'hui, j'écris à cœur ouvert.

Il y a trois mois, j'ai décidé de faire un film sur nous. Sur le lieu de notre rencontre.

Tu te souviens, toi, où on s'est rencontrées ?

Je sais que toi aussi, parfois, tu mens, quand on te pose la question...

Quand je t'ai parlé de ce projet, en septembre, ça ne t'a pas vraiment surprise. Ça ne t'a pas dérangée. Ça ne t'a même pas intriguée. Tu as pris ça avec le même détachement que tout le reste. Ton habituel soutien, aussi affirmé que lointain.

Notre histoire – osons dire ça solennellement – c'est l'histoire de la distance.

D'une rencontre qui, dans le monde réel, n'aurait jamais dû avoir lieu.

D'un amour fracturé par l'absence, d'éternelles retrouvailles enflammées.

D'un quotidien qui se teinte d'une présence invisible.

D'obstacles insoupçonnés qui nous changent à jamais. De stigmates indélébiles.

Toi et moi, c'est la lutte perpétuelle de la confiance aveugle contre le mutisme de l'hypocrisie.

Un idéal qui, sans cesse, vient se heurter au mur de la réalité.

Le virtuel qui s'échine à prendre une forme concrète...

C'est aussi ce qu'est ce film.

La tentative absurde de représenter ce que je peine déjà à exprimer avec des mots.

Les images se cherchent, se percutent, se mélangent maladroitement.

Ce ne sont que des souvenirs. Des bribes de vie mises bout à bout. Des fragments en phase de devenir un tout, aussi cohérent que l'existence peut l'être. Un hasard séquencé.

Les cuts surgissent sans prévenir.

Le paysage défile longuement à travers la vitre du train, entre deux lieux que nous partagerons brièvement.

Tu n'es presque jamais à l'écran.

Je sais que tu détestes, quand mon objectif cristallise ton image à ton insu.

Toujours à te trouver quelconque ou laide. À faire semblant d'être superficielle.

Je sais aussi que tu accepterais sans rien dire que ton portrait mitraille mon film. Tu me vendrais toute ton image pour un sourire.

Mais je n'en abuserai pas. Égoïstement, parce que je préfère la garder pour moi seule.

Surtout, parce que ton visage ne brille pas par sa présence, au quotidien.

L'incertitude de nos rencontres a fait d'un simple de tes regards un événement à part-entière.

À l'écran aussi, tu seras un événement. Une ombre furtive. Un reflet dans une vitre. Une main ou une jambe sans attache.

En ton absence, mes griffonnages prennent le pas. Mes écrits, mes dessins. Mes vidanges mentales. Mais également mes lectures solitaires. Le Paradis perdu. Je deviens l'ange déchu. Le monde sans toi, mon pandémonium. Un Enfer au creux duquel les souvenirs se muent en démons.

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