Acte I, Scène 1

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LE JOUR, LA LUMIÈRE


En arrière-plan, le soleil se lève et une aurore rosée se dessine au niveau de la scène. Sortent des coulisses la Lumière, dans sa robe diaphane, et le Jour, un enfant potelé de quelques années. La Lumière tient le Jour par la main. Ils marchent calmement, portant des regards curieux tout autour d'eux. Au milieu de la scène, un banc désert.

LE JOUR, d'une voix étonnamment grave et mature, contrastant avec sa petite stature.

Ma Soeur, quelle est cette étrangeté ? Nous voilà tous deux prisonniers et pourtant libres de l'éther où nous étions relégués. Nous voilà, marchant main dans la main dans ce monde que nous n'avons fait qu'effleurer pendant...

LA LUMIÈRE l'interrompt.

Comment savoir, mon Frère ? Comment ressentir, décrire, comprendre ce qui n'était pour nous qu'une conception étriquée ? Car qu'est le Temps pour celui qui parcourt à chaque cycle le même chemin, naissant et mourant dans le ballet originel des choses, toujours protagoniste des Cieux ? Ou pour celle qui contemple toujours la nouveauté la première, dont la vitesse est telle que nul ne la rattrape jamais ?

LE JOUR, avec un sourire, s'immobilise.

Regarde, quelques instants se sont écoulés, et le temps me paraît déjà une réalité. Je sens déjà sur mes lèvres l'idée que cela fait un long moment que nous déambulons ainsi, et que ma main s'accroche à la tienne. Arrêtons-nous un moment, si tu le veux bien.

LA LUMIERE, s'arrête à son tour, observant tout autour d'elle.

Tu as raison. Je sens dans l'éclat de notre père que sa chaleur se répand sur le monde, à mesure que tu t'avances, Jour. Toi encore frêle, timide il y a peu, embrase maintenant la campagne environnante de tes voiles orangés et pourpres. Je te sens gagner en force, tenir ma main avec plus d'assurance. N'es-tu pas déjà plus grand qu'à l'instant ?

LE JOUR a grandi, et semble en effet plus âgé. Il atteint maintenant le coude de Lumière.

À mesure que j'accompagne le chemin de Père, je croîs. Bientôt je traquerai dans tous les recoins l'Ombre, extirpant d'elle la moindre fraîcheur. Et je passerai, rapide, balayant sur mon passage le temps des humains comme autant de poussière. Et demain, je serai un autre Jour, marchant dans les mêmes traces sans pourtant me ressembler.

LA LUMIÈRE le regarde un instant avec tendresse, caresse sa joue, et l'entraîne dans sa marche.

Viens, petit Frère. Bientôt, tu seras grand. Tu incarnes le changement, la vie et la mort, l'espoir et la perte. Tu es deux, et déjà tu sembles avoir capturé le temps. Moi, j'ai du mal à me sentir une alors que je suis d'ordinaire la somme d'infiniment petits, de particules impalpables... Pourtant, j'aime ce contact de ta main dans la mienne. Marchons jusqu'à ce que le jour finisse. Je baiserai alors ton front, t'envelopperai d'un suaire de clarté, et te laisserai reposer avec Père jusqu'à demain. Ce sera mon premier lendemain.

LE JOUR presse sa tête contre l'épaule de Lumière. Il est maintenant un adolescent. La scène est dorénavant éclairée d'une lueur citronnée, celle de la matinée qui avance déjà.

Je ne veux pas. Qui sait quand reviendrai-je ? Serais-je à nouveau exilé loin du monde, un point avançant sur la ligne du temps, une aiguille dans un cadran, le contraire de la Nuit pourtant ? Ou demain encore, pourrais-je tenir ta main et découvrir ce monde en le touchant ?

LA LUMIÈRE

Je ne sais te répondre. Toi, tu suis ta course sans plus te réfléchir. Et moi, seule, prisonnière de cet écrin nouveau, faible et lente comme jamais, je vais errer à travers ces lieux étroits, privée d'ubiquité. Qui sait ce que je rencontrerais ? Et si des loups se lançaient à mes trousses ? Et si ce corps fragile se trouvait malmené ? J'ai peur de ces possibles qui s'offrent, et je me sens timorée, et un peu lâche, aujourd'hui.

LE JOUR entoure les frêles épaules de la Lumière d'un bras solide. Il la dépasse maintenant d'une tête et rayonne d'une mâle confiance.

N'aie crainte, petite Soeur. Demain ressemble à aujourd'hui, et je t'y protègerai. Tu m'y raconteras ta nuit, alors que tes couleurs auront pâli. D'une main assurée, il fait tourner la Lumière sur elle-même, esquissant un pas de danse. Vois midi, comme je suis fort, heureux, puissant. Personne ne peut se cacher de mon avancée, et tu nous précèdes, nous suis, nous entoure, illuminant le monde de ta beauté.

LA LUMIÈRE

Comme tu es fort, toi aussi. Dans tes bras, ainsi, rien ne semble pouvoir m'arriver.

LE JOUR ralentit peu à peu la cadence.

Rien ne peut t'arriver.

LA LUMIÈRE fronce légèrement les sourcils, et passe un bras autour de la taille de Jour

Ne t'essouffle pas, Petit frère. Respire le bon air. Laisse les rayons de Père chauffer ta peau.

LE JOUR

Je sens... Sa chaleur. Et la mienne, lentement, glisse hors de moi. Lumière, je ne veux pas vivre l'agonie.

LA LUMIERE repousse doucement une mèche de cheveux derrière l'oreille du Jour.

N'y pense pas. Songe à demain. À la faim d'un temps réservé à ton empire sur le monde. Songe au pas rayonnant avec lequel tu défies l'obscurité.

LE JOUR se voûte peu à peu, semble peiner à avancer maintenant.

Oui... Oui... Mais déjà...La clarté diminue. Toi aussi. Te voilà rose, or, violine. C'est le déclin du Jour.

LA LUMIÈRE le dirige vers le banc et l'aide à s'asseoir.

Songe à tous ces humains. Comme ils l'aiment, cette fin du jour. Tu es le coeur de leurs romances ; le clairon de l'amour ; le rendez-vous des lèvres.

LE JOUR est assis, voûté, ses deux mains enserrées par celles de la Lumière.

Je voudrais seulement durer un peu plus longtemps. Que ma fin ne soit pas une célébration pour eux. Ne pourraient-ils faire le deuil de ma mort ? Prier pour mon retour, pleurer mon départ comme celui d'un proche, d'un ami... Pourquoi se réjouissent-ils de mon naufrage dans l'océan, quand le soir m'emporte ?

LA LUMIÈRE prend doucement la tête du Jour, et l'installe sur ses genoux. Elle caresse ses cheveux.

Là, mon tout petit... Te voilà mélancolique, plein de reproches et de chagrin. Si l'on ne pleure pas ton départ, ne salue-t-on pas ton retour, chaque jour, d'un sourire, si ce n'est d'une fête plus cérémonielle... Ne pleure pas. La Mort va te cueillir bientôt, comme un fruit trop mûr.

LE JOUR au front chenu ferme les yeux et murmure.

Baise mon front, douce Lumière. Et attends-moi demain ici-même. Je viendrais te trouver...

Le Jour s'évanouit doucement, alors que la Lumière pose ses lèvres sur son front. Pendant un instant, un halo lumineux demeure, sur le banc, là où il se tenait.

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