Acte I, Scène 4.

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L’OMBRE, seul

L’OMBRE s’empare de la scène, y dessinant un large arc de cercle alors que sa cape virevolte. Il vient ensuite se poster face au public. La scène est sombre et seule une lumière diffuse permet de voir sa silhouette.

Viens, Mère ! Viens cueillir sur mes lèvres fraîches la rosée de ma gratitude. Mère de bien des mondes, Nuit ! Tu t’avances, drapée dans ton voile d’ébène, insaisissable maîtresse. Vierge éternelle et pourtant si féconde : innombrables sont tes visages, toi qui engendres rêves et cauchemars, feux des cieux, peurs et brûlants désirs.

Je ne sais quelle sorcellerie tu as conçue et dissimulée en ton sein, ô Divine Mère, mais ma reconnaissance s'embrase, plus ardente qu'un feu de la Saint-Jean. Quel délice que de sentir le monde m'étreindre, m'entourer de sa force placide. Je perçois enfin au-delà des bornes de mon empire.

L'Ombre s'approche du bord de la scène, un sourire mystérieux aux lèvres, et reprend sur le ton de la confidence.

Gardienne de tout secret, permets-moi d'abandonner à ta seule oreille un dessin de ma conception. Ne ride pas ton vaste front de souci, apaise-toi, et laisse ton rejeton se défausser de toute sagesse pour un temps, alors qu'il goûte pour la première fois aux joies humaines.

L'Ombre affiche un air contrit qui dissimule mal le vif plaisir qui luit dans son regard.

Alors qu'égaré, j'errais dans ma nouvelle enveloppe et découvrais les beautés et les maux de la chair, j'ai rencontré... Vous ne sauriez deviner qui, Mère ! Lumière ! Elle-même a pris formes et couleurs. Et quelles formes !

Cette écervelée ne peut cependant s'empêcher de suer par tous ses pores l'innocence, la pureté, une bienveillance envahissante, le tout étroitement tressé d'orgueil.

Ah, si vous l'aviez vue, Mère ! Ah, si vous aviez senti sa fierté piétinée, sa colère rougissante, sa rage timorée par la pudeur ! J'exultai, Mère !

Alors qu'il parle d'une voix forte, il fait les cent pas sur scène, tout à son émotion.

Ainsi ai-je décidé de la détourner d'elle-même : de la séduire, de la charmer, de la prendre, de l'envoûter. De la faire mienne, pour tout dire : d'embraser sa froideur, d'éteindre sa morgue. Je veux souffler sa lumière et la plonger dans les ombres. Et plus que tout, je la veux ardente, abandonnée, affamée…

Il pousse un long soupir, alors qu'une lueur matoise hante son regard. Il demeure un instant silencieux et immobile face au public : il semble tendre l'oreille.

Oui, j'entends dans cette brise douce et parfumée qui caresse mon corps que vous ne sauriez qu'approuver, Mère. Ainsi, j'exaucerai vos voeux... et les miens !

La lumière s'éteint tout à fait.

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