24. Confrontation

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Mercredi 05 décembreASHLEY

Impossible de fermer l’œil de la nuit. Mes pensées étaient trop embuées par la révélation de Joe. Merde alors ! Elle était devant moi pendant tout ce temps et je n’avais rien compris, rien vu, pas fait le lien. Pourtant c’était évident. Mais parfois l’évidence est difficile à discerner. Après tout, c’est ce qu’on dit : c’est quand on arrête de chercher qu’on trouve. Du moins… en général. Putain, j’ai encore du mal à croire que Stella est l’autrice de ses œuvres. Comment fait-elle pour rester anonyme ?

Je vérifie l’heure encore une fois. Aujourd’hui, il est hors de question que j’arrive en retard au bureau. Je dois lui parler. Lui demander, pourquoi ? Mais pourquoi quoi ? Au fond, elle n’avait pas l’obligation de me le dire. Ni même de le crier sur tous les toits. Sauf que merde, elle aurait pu me faire confiance ! Elle aurait dû ! Vraiment ? Après toutes ces années ? Oui ! Je n’en ai rien à foutre du temps et des années sans elle ! Je veux tout connaître, tout apprendre d’elle ! Et ça, c’est important ! Une putain d’information qui pourrait changer sa vie !

Alors pourquoi se cacher ? Pourquoi fuir la réalité ? Merde ! Elle pourrait être exposée dans des musées et au lieu de cela, elle se contente de peindre à la volée dans les rues, sous des ponts. Je… Non. J’ai tort. Elle a des clients, des privilégiés comme Joe pour qui elle accepte de créer des travaux exceptionnels. C’est d’ailleurs sur ses décors que le Loch Ness a fait sa réputation en plus d’être un hybride entre bar et boîte de nuit. Mais quand même…

J’ai cette boule au creux du bide, ce poids qui ne cesse de grossir au fur et à mesure que je m’approche de l’entrée de l’entreprise. Elle m’a menti ! Elle avait raison… je ne la connais plus. Pourtant, j’ai cru à un rapprochement. Nos baisers ? Ils étaient réels, intenses, électriques. Ils me donnent de nouveaux frissons rien qu’en y pensant, en les voyant surgir dans mon crâne comme un rappel d’un bonheur éphémère.

Putain de coïncidence ! Non. Putain de destin qui se fout de moi.

Traînant des pieds, je parviens tant bien que mal jusqu’aux portes de l’ascenseur. Ce qui m’entoure est flou, je suis trop perdu dans le flot de pensées à la fois négatives et positives qui m’assaillent. Je navigue comme un automate. D’ailleurs, je ne suis pas certain de ma tenue. Depuis que mes pieds se sont posés sur le sol ce matin, je suis en pilote automatique. Et ce n’est pas la chevelure brune que je crois apercevoir qui me sortira de ce cercle vicieux qui semble m’emprisonnait.

Le « ding » sonore de l’ouverture des portes métalliques me fait lever la tête. Je tire une nouvelle fois sur mes cheveux que je n’ai pas pris la peine de coiffer et j’avance. Un pas après l’autre, le visage fermé. Mes mains viennent ensuite se planquer dans mes poches. L’une d’elle se serre autour du papier froissé que m’a donné Joe. Ce putain de mot qui porte la preuve de l’identité de Cassie : Stella. Merde ! C’était… elle. Toujours. Une étoile filante pour signature et un surnom que je connais, j’aurais dû savoir.

Je grogne alors que l’ascenseur se remplit, attirant l’attention des gens qui semblent m’accompagner bien malgré eux. Et ils n’ont pas intérêt à me faire le moindre reproche ! Sinon, je serais capable de mordre. Enfin… façon de parler. Je crois. Mes yeux se portent sur les boutons indiquant les étages auxquels va s’arrêter notre prison de fer, et je suis rassuré de voir que l’une des présences autour de mon corps se dirige au même que le mien. Le dernier. Celui qui touche le ciel.

— Au plus près des étoiles. Quelle connerie, marmonné-je en serrant les mâchoires.

Et alors que mes pensées retournent auprès des œuvres de Stella, que la boîte de métal se met en mouvement, la mélodie qui d’habitude sort des enceintes sous des airs doux et frais de printemps m’agressent les tympans. Non mais je rêve ! C’est quoi encore ce BORDEL ? Qui a osé foutre cette merde dans mon ascenseur ? Sous les sons criants des paroles Mon beau sapin, je m’agite.

Je repère d’abord les sourires de certains employés, puis les regards interrogateurs se poser sur moi avant d’entendre les gloussements des deux Monique qui cachent leur bouche de leurs paumes. Pauvres connes ! Et dans un demi-tour pour trouver le coupable de cet acte, je tombe sur les yeux cristallins de celle qui me hante. Cassie ! Putain, elle n’a pas fait ça quand même ? D’ailleurs, comment ? Au fond, je m’en contrefous ! Bordel ! Une chanson de Noël ? Vraiment ?

Non ! Et puis quoi encore ?

Et pourquoi maintenant ?

Elle n’en a pas assez de me tourmenter ?

De jouer avec mes nerfs ?

De jouer les innocentes ?

Plus je l’observe, et plus mon corps se tend. Mes bras viennent se croiser sur ma poitrine, mon souffle se fait plus fort, plus lent aussi. Et mes sourcils se froncent à m’en faire mal, mais je n’y prête pas attention. Loin de là, parce que celle qui attire à présent tous les regards - des plus curieux aux plus furieux - c’est Cassie. Cette femme à la chevelure brune qui penche la tête avec une sourire crispé, tordu par la surprise. Elle ne s’attendait pas à cette réaction de ma part. Mais putain, Stella ! Noël est mon cauchemar ! Mon putain de monstre dans le placard. La valise que je traîne comme un boulet attaché à ma cheville. Alors…

— Pourquoi ? grogné-je entre mes lèvres.

Elle n’ouvre pas la bouche. Le silence prend place. Nos spectateurs sont accrochés autant que moi à ses lèvres. Et cette fois, je n’ai pas envie de jouer, pas envie de l’embrasser, ni envie de sa douceur. Tout ce que je veux, c’est la vérité ! Cette putain d’histoire qu’elle me cache et surtout une explication à ce merdier qui me brûle les oreilles. La chaleur qui envahit mon visage n’annonce rien de bon. Alors j’essaie de me retenir, de retenir ses paroles qui risquent de la blesser mais je vais exploser.

Il ne suffit que de deux minutes à l’ascenseur pour faire une première escale. Personne ne bouge, la curiosité surement alors je lui tourne le dos. Me tiens droit et attends que mes salariés se donnent la peine d’aller travailler. Un, deux, trois. Je compte les secondes qui passent dans l’espoir de calmer mes tremblements et lâche un soupir pour évacuer la pression mais les doigts qui viennent se glissaient dans mon dos n’allument que plus l’étincelle du feu qui s’empare de mon corps.

Je me décale d’un geste brutal.

Les gloussements aigus des pimbêches m’horripilent. Nous ne sommes plus que quatre dans la boîte de métal mais je sens qu’elles vont vite sortir de là. Il le faut. Pris dans un orage, j’appuie d’un doigt ferme sur le bouton de l’étage juste en dessous du notre. Une minute et les portes se réouvrent. Cette fois, mon corps se met en mouvement sans retenue. J’attrape les bras de chacune des deux femmes et les pousse vers la sortie.

— Mesdames, un peu d’air ne vous fera pas de mal. Je voudrais que vous passiez dans le bureau du RH pour récupérer les dossiers de vos futurs stagiaires. Merci.

Elles n’ont pas le temps de réagir que déjà je m’applique à presser frénétiquement l’interrupteur de fermeture des portes. Plus vite, plus vite ! J’ai besoin d’être seul avec celle qui me tourmente, qui s’amuse avec moi, qui… Merde ! Je suis un vrai pantin. Une marionnette dont le cœur est aux pieds d’une brune à la silhouette ravageuse. Elle me mène par le bout du nez, et son putain de secret est égal à un poignard dans le dos. La tension s’accumule sur mes épaules, je fais craquer ma nuque pour tenter, dans un moment de désespoir, de me détendre.

Dos à Stella, je n’entends que son hoquet de surprise comme réponse à mon geste.

Je grogne.

J’ai l’impression d’être une bête sauvage prête à sauter sur sa proie. Et ma proie semble prendre peur. Elle s’agite derrière moi. Vacille d’un pied à l’autre. Souffle à deux reprises avant de, je crois, essayer d’attirer mon attention sur elle. Mais je suis trop nerveux. Et son contact provoque chez moi, un nouveau grognement accompagné cette fois d’un hérissement de poils incontrôlable. Elle va me rendre dingue. Elle me rend fou ! Complétement.

— STELLA ! hurlé-je en me tournant enfin vers elle.

Je remarque ses tremblements sous le cri de son surnom mais ils ne m’arrêtent pas. Mes bras se dénouent. Mes paumes viennent se plaquer de part et d’autre de sa tête. Mon corps se rapproche d’elle pour l’acculer contre la paroi du fond. Je la surplombe de mon regard. Et j’en suis certain, ce ne sont plus des étincelles que mes yeux lui jettent mais des éclairs. Elle frissonne, baisse la tête un instant avant de la redresser et de planter ses prunelles bleues dans les miennes.

Une minute. Soixante secondes. C’est tout ce que j’ai avant que les portes ne s’ouvrent sur notre étage. Et je compte bien les utiliser à bon escient. Mon front se colle au sien, et si hier ce geste se voulait tendre, aujourd’hui il est signe de provocation. Je serre les mâchoires, grince des dents. Ma poitrine se soulève et se baisse à un rythme si lent que je me demande comment je parviens à un tel exploit, tant ma colère est ardente.

— Ash… murmure-t-elle en plongeant ses yeux larmoyants au plus profond de mon regard.

— Non ! grogné-je de plus belle.

Elle ne m’aura pas ! Je veux savoir, je veux comprendre.

— Pourquoi ?

— Quoi ? Je… je pensais que tu savais que je te provoquerais. Je veux dire… le pull, les baisers, le nœuds. Hier. Enfin… c’est pour les fêtes. Les autres avaient l’air heureux d’entendre une musique pleine de joie. Je… Éric et Eliott m’ont aidée.

Elle panique. Débite ses explications sans filtre. Ne s’arrête de parler que quand elle m’a enfin tout dit. Mais ce n’est pas le sujet qui me préoccupe. Cette musique au fond, elle n’est que l’allumette qui a déclenché ma fureur. Et le feu n’est pas près de se calmer. D’ailleurs, je grommelle, je me penche jusqu’à frôler de mes lèvres son oreille, celle qui porte la marque de lune.

— Ne te fous pas de moi. Stella, n’est-ce pas le nom derrière lequel tu te planques ?

Elle frissonne sous mes paroles. Tente de s’écarter de mon corps, mais ses mouvements ne la poussent que plus vers moi. Et la douceur de ses mèches sur le bout de mon nez me déride légèrement. J’inspire, expire, apprécie le temps d’un instant la chaleur des mains de Cassie sur ma poitrine. Elle serre ma chemise, essaie de croiser mon regard mais ne trouve que mon menton à sa porter. Alors sans que je m’y attende, elle dépose un nuage de baisers tendres sur ma mâchoire.

La tension que j’ai accumulée depuis hier semble s’adoucir. Mes dents se séparent et arrêtent de grincer, mon nez tombe dans le creux de son épaule. Merde ! Elle va finir par me faire fondre. Mon esprit s’embrouille. Stella en profite pour glisser ses mains autour de ma taille. Elle me cale contre elle, me rassure sans même comprendre mes réactions. Ni mes cris, mais elle sait, qu’au fond je ne lui ferai rien. C’est juste de la provocation. Pourtant, je ressens ce besoin de…

— Excuse-moi.

— Ce n’est pas la musique, hein ? me demande-t-elle en me poussant de ses doigts pour enfermer mon visage dans ses paumes.

Sa voix est calme, mais je perçois toujours ses tremblements. Putain… je lui ai vraiment fait peur. Seulement, j’ai du mal à contenir ma colère, mon incompréhension et mes craintes. Si elle n’a pas confiance en moi alors pourquoi accepter de travailler à ce poste ? Je fronce les sourcils alors qu’elle m’examine sous tous les angles, cherchant un indice de ce qui m’a mis dans cet état. Et au moment où j’ouvre la bouche pour lui répondre, je suis interrompu par l’ouverture des portes de l’ascenseur.

— Bordel ! râlé-je en me libérant du contact de Stella. Suis-moi.

Elle hoche la tête. Ses bras retombent comme des pierres le long de ses côtes, et elle avance à ma suite sans un mot. Nous progressons en silence, sous les regards curieux de mes employés. Les rumeurs vont déjà à bon train, alors un peu plus ou un peu moins… Je fronce tout de même les sourcils me demandant si je n’ai pas été trop excessif avec les deux femmes abandonnées un étage en-dessous.

Non ! Merde, elle m’a caché son identité !

Cette pensée m’arrache un nouveau grognement.

Dans mon dos, j’entends le hoquet de surprise de Cassie.

*

CASSIE

Inquiète, j’avance d’un pas incertain en observant le dos tendu d’Ashley. Ses épaules sont crispées, sa respiration est lente. Trainante, presque terrifiante. Dans l’ascenseur, il m’a fait peur. Je m’attendais à ce qu’il réagisse mal mais pas à ce point. Pas à un tel degré, parce que je l’ai vu cette lueur de fureur dans ses émeraudes d’habitude si sombres. Il m’en veut ! Mais pourquoi ? Apparemment, pas pour le changement d’ambiance de la boîte métallique. Alors quoi ?

« Stella, n’est-ce pas le nom derrière lequel tu te planques ? » Sa question s’incruste dans mon crâne, elle y tourne en boucle. Non, ce n’est pas Noël le problème. Mais comment ? Je savais bien que mon surnom allait me trahir. Pourtant, j’avais encore cet espoir qu’Ash ne ferait pas le lien. Quelle idiote ! Bien sûr qu’il a compris ! Non, non, non… Je… NON ! Je panique, surement pour rien. Mais oui, c’est ça ! Il a juste été surpris par les notes de la chanson et c’est ce qui l’a fait réagir au quart de tour.

Pourtant, la vague de colère a laissé place l’instant d’après à l’hésitation et la crainte. La peur de l’abandon, même furtive, je l’ai entendu dans son soupir. Merde, Ash… Tu ne m’aides pas ! Et au lieu de m’expliquer quoi que ce soit, il exige que je reste sur ses pas, que je traîne mon corps tremblant jusqu’à son bureau. Je le sais, m’arrêter au mien ne sert à rien. Il veut parler. Mais de quoi ? Je l’ignore. Enfin… j’espère. Parce que, je ne suis pas prête à avoir cette conversation. Pas tout de suite.

— Petite sirène ! m’interpelle Éric en sortant de la salle de pause et m’apercevant à quelques pas de la paroi de verre.

Je n’ai pas le temps d’ouvrir la bouche que déjà des doigts fermes encerclent mon poignet et me tirent en avant. Déséquilibrée, je trébuche, le corps musclé de Crève-cœur me rattrape. Ses yeux tombent sur moi une seconde, et ce que j’y lis me donne des sueurs froides. D’ailleurs, la seconde suivante, il crispe les mâchoires, souffle à travers ses narines qui se contractent et grogne sur son ami. Ne lui laissant pas la chance de s’incruster entre nous.

— Pas. Maintenant.

— Mais mec, tout va bien ?

— LA FERME ! Putain. Laisse-nous, tu veux. Pour une fois, tu attendras comme les autres, hurle de plus belle, Ashley.

Sa poitrine se soulevant cette fois de manière effrénée. Ses pectoraux montant et descendant contre ma poitrine. Je l’examine, je ne prête pas attention à Éric qui malgré le ton de Crève-cœur essaie de désamorcer la bombe, lui sortant les mêmes explications que moi quelques minutes plus tôt. Mais rien n’y fait. Ash n’en démord pas. D’ailleurs, leur discussion tourne en rond. L’un tentant des blagues douteuses et l’autre, grognant et hurlant des insultes à tout va. Superbe image pour un directeur d’entreprise. Mais je crois qu’à ce stade, Ash s’en fout.

Des gloussements me parviennent au-delà de leur dispute. Les MONIQUE ! Merde, elles ont eu le temps d’arriver et de récolter les miettes de cet échange. Bien entendu, je suis au centre de la tourmente ! Bravo, Cass, tu cumules ! Manquerait plus que madame De Cœur débarque ! Bordel, le combo final, le K.O parfait. Il faut que j’agisse, que je calme la tempête. Et vite, sinon Éric risque de déchanter.

— Ashley. Calme-toi. Viens, on va parler.

— Ne. Me. Dis. Pas. De. Me. Calmer, articule-t-il en prenant mes pommettes entre ses mains.

— Petite sirène ?

La voix d’Éric est parée d’inquiétude. Alors sans me décrocher d’Ash, je hoche la tête. Tout ce que doit apercevoir notre gaffeur en chef se sont mes boucles qui vacillent de haut en bas. Mais cela semble suffisant. Je l’entends se racler la gorge, ronchonner avant d’annoncer à voix haute qu’au moindre soucis, il débarque avec du renfort. Un simple OK sort d’entre mes lèvres, et plongeant mon océan dans les émeraudes étincelantes de Crève-cœur, je l’incite à me lâcher.

Cette fois, il se détache complétement de mon corps. Et malgré la tension qu’il y exerçait, sa chaleur me rassurait. Sauf qu’à présent, elle s’efface pour laisser place à un froid glacial. Avant que je ne me réanime pour suivre le diable qu’a pris possession d’Ash, je jette un coup d’œil en arrière. Lisse ma jupe et observe le corps affaissé d’Éric qui nous tourne le dos. Il est déjà à quelques pas des pimbêches qui m’analysent.

Quel enfer !

— Vous n’avez pas du boulot les commères ? s’invective Éric. Dégagez le passage ! Du vent, je vous dis !

Je ricane intérieurement en percevant les mots du gaffeur. Puis, je finis par entrer dans le bureau, ferme la porte derrière moi et actionne l’interrupteur qui nous permet d’avoir une certaine intimité. Respire, Cass, ça ne peut pas être si terrible. Et bien si ! Quand je me retourne vers l’objet de mes inquiétudes, il est crispé. Les bras tendus en appuient sur le dessus de son bureau, la tête penchée en avant, elle se balance entre ses coudes. Et il…

— Grogne ?

— Quoi ? sursaute-t-il en faisant volteface pour emprisonner mon regard dans le sien. Merde, Stella ! Tu ne me facilites pas les choses.

Il marmonne en s’approchant de moi. Puis, il vient s’emparer de mes mains, entrelacent nos doigts sous un œil patient et il m’attire à lui. Encore. Il me plaque contre son torse, nos mains pendant de chaque côté de nous. Liées. Mais à quoi il joue ? Je ne comprends plus rien. Je suis dans un flou total. Ashley me perturbant à passer du chaud au froid en deux secondes. Sauf qu’au fond, je le vois, il n’est pas calme. Il tente seulement de se contenir. De se retenir de peur de me faire fuir.

Il inspire avec force, hausse les épaules et me surprends en appuyant son menton au creux de ma clavicule avec douceur. Il pose son front sur le haut de mon épaule et je sens ses paupières papillonner. Son souffle forme un cercle chaud à travers les mailles de mon pull. Je frissonne, mes poils se hérissent dans une sensation agréable. Trop réconfortante dans la situation actuelle. Mais je ne peux retenir un gémissement de satisfaction quand enfin ses lèvres se déposent sur la peau sensible de mon cou.

— Je sais qui tu es, déclare-t-il en se détachant de ma nuque.

Je ne dis rien, ne répond pas, trop peureuse de comprendre où il veut en venir. Et mon manque de réaction l’agace. J’en ai conscience sauf que je ne fais rien pour changer ça. Alors il me lâche. S’éloigne un instant. Puis il me tend un bout de papier tout froissé. D’abord sceptique, je ne bouge pas, mais il insiste. Attrape ma main, la retourne, ouvre mes doigts et pose ce qui semble être un mot au centre de ma paume. Merde ! NON !

— Explique-moi. Pourquoi ?

Je fronce les sourcils. Fais l’idiote dans un dernier espoir qu’il doute de sa certitude. Cependant, je le sais, il ne laissera pas tomber. Parce que lui comme moi, nous nous connaissons et mes tocs nerveux qui reviennent, comme une rafale de vent en plein visage, ne me trahissent que plus encore. Ma main libre venant s’amuser à enrouler l’une de mes mèches autour de mon index. Dans un geste répétitif. Incontrôlable.

Jusqu’à ce que… Ashley.

— Arrête ça, tu veux. Tes cheveux ne t’ont rien fait.

Il s’est radouci. Mais pour combien de temps ?

— Parle.

Ma bouche reste close.

— Parle-moi.

Mes lèvres sont toujours fermement collées l’une à l’autre.

— Stella…

Même mon surnom n’y change rien.

— Merde ! Mais c’est qu’elle va me faire disjoncter ! grogne-t-il.

Cette fois, je me mors la lèvre inférieure.

Retenant mes paroles.

— CASSIE ! PARLE ! Je t’en supplie… PUTAIN !

Il hurle, et s’il s’était contenté de sa supplique, j’aurais peut-être répondu avec calme mais son injure me sort de mes gonds. Je n’en peux plus de ses réactions. De sa tension. De cette électricité dans l’air qui nous oppresse tous les deux. Je suffoque. Je sens mes joues chauffer, se teinter d’un rouge cramoisi. Mes poings se serrent, mes jointures, j’en suis certaine blanchissent. Il veut comprendre. Très bien !

— Parce que ta vipère de mère a pourri toutes mes chances ! parce qu’à part El, Cole et mon imprimeur, personne ne sait qui je suis ! Parce que merde, j’aime ça ! OK ! Oui, je suis : elle. Je suis : Stella ! Depuis le début ! Oui, je t’ai menti ! Mais putain, Ash, comment voulais-tu que je te fasse confiance ? Ça fait onze ans ! Tu as disparu de ma vie, m’a tourné le dos. Je t’aimais, putain !

— MAIS MOI AUSSI, BORDEL ! Tu crois que c’était un plaisir de rompre ? Jeanne a contrôlé ma vie ! Elle a regardé mon père agonir avant d’amorcer un geste pour appeler les urgences ! Et dès le lendemain, elle a commencé à prendre les rênes. Bordel de cul ! Cass, ça m’a déchiré le cœur. Je venais de perdre mon seul repère, Malory a été viré juste après et j’ai dû renoncer à toi. TOI, PUTAIN ! Mon étoile ! Ma lumière ! Alors oui, j’aurais aimé que tu m’avoues que c’était toi ! Je t’ai pourtant dit à quel point j’admire ces œuvres. TES putains d’œuvres d’arts qui habillent chaque recoin de cette ville ! Qui prolifèrent sur les murs de mon refuge ! Putain, tu sais combien de fois j’ai demandé à Joe d’ouvrir les portes de la boîte pour que je puisse y admirer les peintures ? Alors merde… parle-moi. Je t’en supplie. PARLE-MOI !

Nos voix portent l’une après l’autre. Je suis abasourdie par ses paroles. A force de crier, nos corps se sont rapprochés, alpagués pour mieux s’enlacer. Mes paumes ont retrouvé son torse. Nos respirations s’accordent dans une harmonie parfaite. Ses mains viennent encadrées mon visage qu’il relève vers le sien. Je frissonne, de plaisir cette fois, sous son contact. L’étincelle d’orage qui brillait au creux de ses pupilles s’est transformée en étoiles. Des milliers de facettes, des points de lumière au milieu des ténèbres verts.

Mon corps se hisse sur la pointe de mes pieds. Nos bouches se frôlent, se cherchent. Mes paupières clignotent, une fois, deux fois. Ses yeux ne quittent pas les miens. Ses pouces sur mes joues dessinent des cercles. Il n’est pas conscient de ses gestes. Ils sont automatiques. Électriques. Sa peau bien que légèrement rugueuse est douce. Elle me réchauffe le cœur, recolle de nouveau morceau du membre qui bondit à toute allure dans ma poitrine.

Mes seins viennent s’appuyer sur les pectoraux d’Ashley. Il retient sa respiration un instant. Décroche son regard du mien pour y porter attention avant de revenir se plonger dans mon océan limpide. Merde… Je n’en peux plus. Mes jambes commencent à trembler. Mes doigts se crispent sur le tissu fin de la chemise de Crève-cœur. Je respire de plus en plus fort. Soupire sans trouver pour autant mes mots. Je veux lui expliquer, tout lui dire, mais ce n’est qu’une excuse qui sort de ma bouche. Un murmure honteux…

— Je suis désolée. Je n’aurais pas dû te mentir. Mais, j’avais… j’ai peur, Ash. Stella, c’est une partie de moi. Je te raconterais tout. Mais…

— Pas tout de suite, susurre-t-il d’un air entendu.

Puis, il souffle. Son haleine à l’odeur de menthe me chatouille le nez. Je le plisse et alors que sa main droite se détache de mon visage pour tirer sur ses cheveux, il vient titiller le bout du sien. Une seconde plus tard, je l’entends baisser les armes.

— Bordel, Stella…

C’est tout ce que je perçois avant que ses lèvres s’emparent des miennes. Cette fois, notre baiser est différent. Délicat, passionné mais surtout emplit d’un sentiment nouveau. Un renouveau. Un souvenir du passé qui se transpose à notre présent. Un gémissement m’échappe en même temps qu’Ashley lâche un grognement de satisfaction. Mes doigts s’aventurent jusque derrière sa nuque, se scellant autour de son cou pour me maintenir sur mes jambes pantelantes. Merde ! C’est puissant, plein de ce sentiments qui me terrifient.

Ashley me porte presque jusqu’à ce que ses fesses s’appuient sur son bureau. Ses mains encerclent ma taille. Il me soulève, mes pieds s’ancrent, s’emmêlent dans son dos. Nos corps fusionnent, se reconnaissent. Forment un tout que je ne veux pas détruire. Et l’instant se fige. Le temps se suspend, nous laissant tout le plaisir de profiter de ce moment que nous savons éphémère. Parce que lui comme moi avons conscience que je vais devoir m’expliquer. Mais…

— Plus tard, murmure Ash en reprenant sa respiration pour mieux revenir à l’assaut de ma bouche.

Oui. Plus tard.

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