Dans le silo

5 minutes de lecture

« Récolte » apparut en vert et la porte du silo s'ouvrit. Ils pénétrèrent à l’intérieur. L'endroit faisait environ deux mètres sur quatre et Miguel sentit le haut-le-cœur caractéristique d'un ascenseur qui descend. Il s’arrêta quelques secondes plus tard et s'ouvrit sur l’intérieur du silo environ à mi-hauteur. Une lumière irréelle venait du fond du puit, illuminant un quadrillage de petites passerelles à la hauteur où ils se trouvaient.

— C'est un champ de tomates. Il a été récolté récemment, les pousses suivantes ne sont pas encore arrivées, dit-elle en regardant le plafond.

— J'aurais mis le soleil en haut personnellement, répondit Miguel en baissant les yeux.

— Dans ce sens les plants ne se fatiguent pas à monter. Ça fait des tiges plus longue et des fruits plus gros.

Christelle mit un doigt sur son oreille.

— C'est bon Hermès, tu peux y aller. Oui, je reste bien au bord. Non … Mais … Mais non c'était pas une pneumonie, j'avais juste eu un petit rhume. Bon, tu y vas ?

Un gargouilli sourd provenant du plafond se fit entendre. S’ensuivit une pluie printanière tombant en goutte fine du ciel artificiel. Des millions de gouttes d'eau rafraîchissantes ruisselèrent sur le visage euphorique de Miguel. Il s'avança sur la passerelle, écarta les bras et leva la tête au ciel la bouche grande ouverte. Il fut rapidement trempé jusqu'aux os. Christelle rit en le regardant.

— J'ai fait ça la première fois aussi. Hermès va pas être content.

— Haha ! Je m'en fiche d’Hermès !

— Ah oui, j'ai dit ça aussi, répondit-elle.

— C'est la plus belle douche que j'ai jamais prise !

— Hey, baisse les yeux.

— Pourquoi ? La pluie ne vient pas du sol ! répondit Miguel dégoulinant de pluie.

— Baisse les yeux, fais-moi confiance.

Miguel regarda par-dessus la balustrade. Au début, il fut ébloui par la luminosité du faux soleil. Il vit alors les gouttes de pluie tomber vers la lumière, comme aspirées par l'astre, chacune reflétant et réfractant sa lumière comme une myriade de billes de cristal. Un anneau de couleurs concentriques se dessina sous ses yeux. Rouge, orange, jaune, bleu, violet. Et au-delà du violet, une autre nuance bleutée à peine visible se laissait deviner. Toutes les couleurs de la création étaient alignées là, sur les parois du silo. Les arcs-en-ciel générés virtuellement avaient des couleurs plus criardes. En voir un en vrai était totalement différent. L’œil n'arrivait pas à définir sa position exacte. Il n'était pas projeté sur un mur ou affiché sur un écran. Il était simplement là, à l'intersection de la source de lumière et de l'observateur. Miguel resta quelques instants hypnotisé par ce qu'il voyait. Finalement, la pluie cessa et les couleurs disparurent. Il aperçut les dernières perles de pluie tomber sur le sol sous ses pieds. Ne restèrent que quelques flaques et de l'eau ruisselant sur les parois du silo. L'endroit lui sembla soudain froid et triste et il commença à frissonner. Christelle s'approcha de lui.

— C'est déjà fini ? demanda-t-il l'air ailleurs.

— Oui. Il ne faut pas en abuser, ça représente quelques mètres cube quand même. Allez, viens, t'es trempé.

Elle l'aida à essorer sa veste et lui frictionna les bras pour le réchauffer. Son regard s'était adouci au fil des jours et son ambivalence atténuée. La froideur de son iris artificiel cédait petit à petit la place à une simple bienveillance en harmonie avec son autre œil.

— Miguel … tu dois partir.

— Pardon ?

— Je veux dire … Tu dois continuer ta route. Quoi que tu cherches, tu ne le trouveras pas ici.

— Comment … Pourquoi tu dis ça ? J'ai fait quelque chose de mal ?

— Non, non, pas du tout. Je l'ai vu, à l'instant. Ce que tu as ressenti, cet éclair, cette envie dans ton regard. Je connais cette sensation. Tu dois y aller. Si tu restes, ça te hantera en permanence. Ce manque en toi te dévorera petit à petit. Tu chercheras toujours quelque chose du regard, au loin, au coin d'un mur, derrière une porte. Et un jour, bien trop tard, tu te rendras compte de ton erreur. Tu peux rester encore un peu, j'aime bien passer du temps avec toi, mais il faut que tu penses à partir.

Miguel resta silencieux. Passés la surprise, puis le déni, le doute s'installa rapidement en lui. Depuis qu'il s'était installé ici, il n'avait pas songé à repartir. Ses idées de voyages s'étaient dispersées et il s'était plusieurs fois imaginé vivre dans ce secteur. Mais ce qu'il avait ressenti pendant cette pluie avait ravivé quelque chose. Ce besoin de découvrir, de voir plus loin que les couloirs interminables de la cité.

— Peut-être. Il faut que j'y réfléchisse …

— Non, tu le sais très bien. Tu ne peux pas rester.

— Tu pourrais venir avec moi ? Ca ne te dirait pas d'accompagner un voyageur un peu paumé comme moi ?

Un sourire légèrement mélancolique se dessina sur les lèvres de Christelle. Ses yeux brillants fixèrent Miguel quelques secondes avant de se détourner vers le fond du silo.

— Non, arrête tes bêtises. Viens te changer plutôt, tu vas prendre froid.

— C'est pas des bêtises, je suis sérieux.

Christelle retira son pendentif et lui passa autour du cou. Vu de plus près, il ne s'agissait pas d'un simple bijou. Il comportait un petit capuchon à son sommet ainsi qu'une tige coulissant à l'intérieur d'un petit cylindre.

— Tu en auras plus besoin que moi, lui dit-elle

— Qu'est-ce que c'est ? Un porte-bonheur ?

La jeune femme sourit.

— J'ai une tête à porter des portes-bonheur ? Non, ça s'appelle un piston à feu. Regarde.

Elle dévissa le petit capuchon qui renfermait une minuscule brindille de paille.

— Ici tu mets quelque chose qui brûle. Un bout de papier, de bois, de tissu, n'importe quoi de suffisamment petit. Ensuite, tu sors le piston et tu appuies un coup sec.

Elle sorti la tige aux trois-quarts et appuya violement dessus. Le fragment s'embrasa comme par magie. Un léger souffle de la jeune femme fit briller la minuscule braise d'un rouge intense.

— Voilà comment on allume un feu.

Miguel regarda la braise fumer légèrement au bout de ses doigts, hypnotisé. Il avait déjà vu des flammes dans des fours ou des incinérateurs, mais jamais créées de la main de l'homme.

— Comment … Où est-ce que tu as eu ça ?

Le pendentif semblait maintenant être un artefact magique n'appartenant pas à ce monde. Un objet capable de faire du feu à partir de rien.

— Hermès me l'a offert pour mes dix-sept ans. Il l'a fait lui-même.

— Tu veux dire qu'il l'a dessiné lui-même avant de l'imprimer ? Il ne l'a pas trouvé dans la banque d'objet ?

— Non, il l'a fabriqué. A partir d'autres trucs qu'il a trouvé. Je t'avais dit que c'était un génie !

— Comment ça marche ?

La petite brindille s'était refroidie et il n'en restait plus qu'un fragment carbonisé.

— Je ne sais pas. Hermès a essayé de m'expliquer plusieurs fois. Tout ce que j'ai compris c'est que ça utilise un gaz parfait, ou quelque chose dans le genre. Allez viens, d'ailleurs il va sûrement te passer un savon en te voyant trempé comme ça !

Christelle prit l'échelle pour remonter. Miguel poussa un soupir résigné et choisit de pénétrer dans l’ascenseur qui attendait encore patiemment. Les portes se fermèrent sur lui et la machine entama son ascension.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 7 versions.

Vous aimez lire borokov ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0