Fins absurdes - 5

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Le soleil apparut au-dessus de sa tête.

Le ciel resplendissait d'un bleu profond, sans nuage.

Hormis une brise légère et chaude, l'endroit semblait calme. Mais il y avait comme une légère vibration dans l’air.

Une gigantesque plaine s’étendait devant elle.

Pendant un instant, elle crut à nouveau être en dehors des limites de l’agglomération.

Mais elle se rendit compte qu’il n’en était rien. La plaine qu’elle avait traversée était une longue surface plane et sans texture, tandis que cet espace présentait de nombreux dénivelés, des creux et des fissures. Le sol était essentiellement rocheux, comme si elle s’était retrouvée en pleine montagne. Seuls quelques petits ilots de verdure bien mal au point venaient par moment apporter une pâle touche de couleur.

Il y avait une surface de quelques mètres de diamètre, juste sous ses pieds, visiblement métallique.

Était-elle dehors ? Était-elle à l’air libre ? Enfin ? Ou était-ce un nouvel Atopon ? Un non-lieu dans un autre non-lieu…

Elle inspecta ses mains. C’était un indice qu’elle imaginait fiable. Avec une pointe de déception, elle vit que les doigts qui passaient devant ses yeux étaient ceux de jeunes mains. Elle était donc dans un nouvel Atopon, encore...

Elle ne comprenait pas : où était-elle au juste ? Dans une plaine rocheuse ? Dans un désert ?

Et puis qu’étaient donc ces histoires de coordonnées ? Était-il vraiment possible qu’elle soit vraiment dans un monde à l’intérieur d’un monde ? Mais alors pourquoi n’était-elle pas assise sur un nouveau siège dans une nouvelle salle de transfert ? Où était le bouton, ou n’importe quel mécanisme, permettant d’enclencher la procédure de retour à l’hôtel ? Il n’y avait rien. Juste elle, debout, au milieu de nulle part. Incapable de revenir à son lieu de départ.

— Merde ! dit-elle tout haut, furieuse sur elle-même en plus de terrifiée.

Elle s’était lancée, tête baissée, bercée par la voix doucereuse de ce maudit serveur. Mais dans quoi s’était-elle donc embarquée ?

Elle commença à chercher autour d’elle, n’y avait-il rien d’autre à voir ? N’y avait-il pas un quelconque mécanisme lui permettant de revenir à l’hôtel ?

Elle se saisit en tombant nez à nez avec quelqu’un qui se tenait juste derrière elle.

Enfin… « tenait » n’était pas le mot juste. C’était bien plus étrange que cela.

Il semblait y avoir également des anomalies dans ce lieu. Celle qui se trouvait là, devant elle, en était forcément une ! Du même genre qu’elle avait déjà croisé en ville.

Il s'agissait d'une femme qui se tenait à l’envers du monde. Tête vers le sol, pieds vers le ciel ; elle se tenait accrochée à une étrange structure blanche plantée dans la roche.

Elle pendait, inversée et accrochée d’une seule main à un bout de l’étrange pylône. Elle était suspendue vers le haut, comme attirée par le ciel.

Si le monde était à l’envers, la gravité inversée, sans doute aurait-elle été en très mauvaise posture. Elle ne tenait plus qu’à une main, et ses forces semblaient s’éteindre. Elle allait bientôt lâcher prise.

Heureusement, ce n’était qu’une anomalie, dans quelques instants elle se redresserait et reprendrait pied. Elle l’avait déjà vu.

— Vas-y, lâche, n’aies crainte ! lui lança-t-elle pour qu’elle comprenne que tout cela allait bientôt cesser. Mais la jeune femme qui s’accrochait de toutes ses forces ne l’entendit pas.

Il était difficile de lire son expression en la voyant ainsi inversée, mais elle avait l’air plutôt inquiète.

La femme inversée murmura quelque-chose :

— Attraction, sauve-moi !

Sensible à sa détresse, elle lui tendit la main. Peut-être fallait-il l’aider pour que l’ordre du monde se rétablisse pour elle ? Elle n’avait jamais osé toucher une anomalie auparavant, mais celle-ci était bien plus crédible que la plupart des pantins communs de l'Atopon et elle avait envie de l’aider.

La jeune femme suspendue lui tendit une main avide d’espoir.

Elle lui tendit la sienne également. Une fois sauvée, peut-être l’aiderait-elle en retour ?

Elle fit un pas vers elle pour la saisir.

Quand leurs paumes se touchèrent, elle se traversèrent.

Et alors, presque lentement, elle vit la pauvre femme lâcher prise et filer droit au ciel.

Elle qui s’attendait à la voir réapparaitre dans le bon sens, fut profondément troublée de la voir filer à toute vitesse vers la voûte cérulée. Elle eut presque un haut le cœur en la voyant disparaître.

Il était clair que cet Atopon ne fonctionnait pas comme le sien, les personnages semblaient y éprouver de la détresse, de la peur, de l’espoir – ils y jouaient bien mieux leur rôle !

À moins que...

Elle avait, malgré le très court instant que cela avait duré, réussi à comprendre la détresse de cette femme. Ce n’était pas comme les figurants de son monde, pour qui elle n’avait que peu d’empathie ; les yeux de cette femme étaient comme ceux de sa sœur, de sa mère. Les yeux d’un alter-ego. Ce n’était pas possible, pas acceptable ; c’était aussi affreux que de voir encore une fois sa sœur ou sa mère mourir.

La voyant traverser le firmament, elle comprit soudain qu'elle n'était pas arrivée dans une nouvel Atopon. S'agissait-il du monde réel ? Si tant est qu'il puisse être à l'envers !

Dans ce cas, ce qu'il se passait était une tragédie bien réelle, et pas une erreur du système ! Cette femme allait vraiment mourir ! Elle devait la rejoindre ! La sauver !

C’est avec la force de ce désir qu’elle le sentit soudain. C’était tangible, presque évident : dans ce monde, il lui était possible de la sauver, c’était même facile.

Il suffisait de le décider. Cette impression s‘imposa à elle comme une brusque certitude, voire comme une connaissance déjà inscrite en son être.

Elle se décrocha en une fois du sol et choisit délibérément de monter vers le grand ciel.

Prodigieusement rapide, elle tenta de rattraper la pauvre jeune femme qui filait en chute ascensionnelle.

Qu’allait-il lui arriver en se précipitant ainsi vers le ciel. Son corps dont elle n'était plus sûre qu'il fut fictif allait-il supporter cette pression, cette vitesse ? Jusqu’où irait-elle ? Finirait-elle par atteindre l’espace dont ses parents lui avaient tant parlé ?

En se précipitant vers la voûte céleste, alors que le bleu du ciel basculait en un noir d'ardoise, elle vit s’approcher une surface remuante qui, bien que transparente, évoquait les eaux agitées d’une rivière.

Ce fut d’abord son infortunée camarade – la femme inversée – qui y plongea. Avant de disparaître.

Puis ce fut son tour.

Et elle disparut dans les profondeurs du ciel.

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