Désirs toisés - 3

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— Non, je ne souhaite plus en parler, Mina ! C’est comme ça, ordre de la Reine ! Et ton devoir est de m’accompagner !

— Comme il vous sierra, madame, murmura l’Inter, en jetant l’éponge.

— Si tu as quelque amant à laisser derrière toi, il ne te reste pas beaucoup de temps, mon amie, file donc !

— Il n’y a pas d’amant, madame… c'est ma famille que je laisse…

— Oh là là, Mina, fini les simagrées, veux-tu ? Il ne s’agit que de quelques jours, après tout ; tout au plus une semaine ! la tança Felna, en se rendant compte qu’elle s’adressait aussi à elle-même.

Elles avançaient vers le port du quartier royal, deux porteurs Inter les secondaient en trainant de lourds bagages.

Les palais astraux étaient un lieu où la mode vestimentaire se faisait parfois extravagante. Il fallait avoir de quoi suivre la tendance, sinon qu’allait-on penser d’elle ?

Quelle plaie d’avoir à quitter ainsi la cité et devoir voyager ainsi durant deux longs jours, quel ennui à venir, songea-Felna déjà fatiguée d’avance. Sa peine s’était guérie d’elle-même quand elle avait annoncé leur départ brutal à Mina qui, s’effondrant, l’avait préservée d’avoir à elle-même s’effondrer.

Travaillant avec les domestiques sur le détail de ce qu’il fallait emporter, elle avait lentement oublié l’affront de la Reine et le programme douteux à venir.

Elle verrait enfin son grand-père, cela faisait tellement longtemps !

Et puis les palais astraux étaient des merveilles dont on disait qu’il fallait au moins les voir une fois dans son existence.

D’une pierre deux coups, comme le disait l'antique expression !

Elle se retrouva donc presque guillerette à arpenter les plateformes en direction du port.

Elle préférait négliger l’idée, pourtant présente, que bientôt elle aurait un retour de flamme, autant de sa propre détresse que de la part de sa mère, sournoise et rancunière.

Sur le chemin, ils croisèrent encore ces horribles singes. D'autres Aers étant présents, ils ne lui adressèrent pas la parole, mais ils la regardèrent avec intérêt. Ils auraient pu tout aussi bien lui dire « à bientôt, Felna » de leurs petits yeux pervers.

Elle espéra que ces monstres n’avaient pas aussi élu domicile aux palais astraux. Par chance, c’était hautement improbable. Encore un problème de moins ! Finalement ce voyage partait sous de meilleurs auspices qu’elle n’avait d’abord pensé.

Restait néanmoins le fait d’avoir à voyager avec sa mère.

Mais Felna se disait qu’il y aurait probablement de nombreux moyens de l’éviter. Heureusement, ces voyages ne se passaient pas dans la promiscuité. Elle ne devrait pas rester assise en face d’elle à devoir se regarder dans le blanc des yeux, tout en essayant de trouver des sujets de discussion à peine capable de masquer les tensions qui viendraient indubitablement naître entre elles.

Non, songea Felna. Sur la voile, se mère ferait dans l’apparat, comme toujours, et elle garderait ses attaques pour les réunions en petit comité, pour bien la descendre devant son grand-père.

Felna l’entendait d’ailleurs, elle traversait le pont juste derrière elle. Trainant un cortège de domestiques trimbalant encore plus de valise que sa fille, tout en bavassant à qui mieux-mieux avec d’autres Aers, du même voyage, comme si elle partait en simple villégiature et non en mission royale.

Qu’est-ce qu’elle peut être irritante, songea-Felna en s’évertuant à ne pas se retourner pour ne pas avoir à la saluer.

Le port n’était plus qu’à deux pas et déjà la voile se profilait en dessous du plafond, prête à voguer sur les nuages. Les vaisseaux qui ralliaient les palais astraux étaient bien plus charmant que les esquifs communs qui traversaient la Cité. Celui-ci était entièrement peint en blanc, pour ne pas jurer avec sa structure en corne. Le bambou était aussi travaillé, pour donner meilleure allure à l’ensemble et échapper de la médiocrité du fonctionnel. Un bien bel objet, digne des siens, songea Felna en arrivant sur l’embarcadère.

Surprise, elle aperçut sur ce dernier une silhouette qu’elle reconnut très vite.

Un homme, assez fin, se dressait aux abords de la voile parmi des Artes s’occupant du chargement. Etrangement, il les aidait.

Cela faisait plusieurs lunes qu’elle ne l’avait pas vu. Mais elle ne se sentit pourtant ni contente ni déçue ; en réalité, elle était plutôt étonnée.

Felna trouva son allure changée. Il semblait un peu plus voûté qu’avant, comme s’il avait vieilli en très peu de temps. Sa barbe légère était aussi un peu plus fournie. Et son regard, bleu ciel, toujours aussi vif, semblait contenir une inquiétude que son sourire, accueillant, semblait nier.

Avec bruit et précipitation, sa mère la dépassa ; elle était visiblement contrariée.

— Raul ! Mais que fais-tu ici ? Tu as quelque chose à me dire ? C’est ça ? claqua-t-elle comme si elle voulait le gifler avec des mots.

— Non, ma douce, lui répondit ironiquement le père de Felna, je suis là pour vous accompagner !

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