Désirs toisés - 2

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— Milia Van Aers, Felna Van Aers ? dit une voix pincée.

La mère et la fille se tournèrent, piquées à vif, comme si on venait de leur manquer d’égard. Entrez, la Reine vous attend ! L’Inter était froide, désagréable et évitait le regard.

Elle s’écarta pour les laisser rentrer, mais ne laissa pas une ouverture suffisante pour que deux personnes puissent entrer côte à côte. Ainsi, les deux parentes faillirent se bousculer pour passer.

Felna n’avait qu’une seule envie : dépasser sa mère. Mais elle se ravisa finalement, plus par fierté que par soumission et la laissa passer en premier en se disant, en son for intérieur, qu’elle faisait cela pour consoler cette pauvre femme d’avance de la déception qu'elle aurait bientôt à affronter.

Alors Milia s’avança, auguste parmi les augustes, vers le trône. Felna la suivait, digne, mais ne voulant pas apparaître comme essayant de rivaliser avec le personnage qui la précédait. Loin s’en faut.

La salle du trône était impressionnante, de grandes colonnes partaient du plafond qui était garni de ces fameux carrelages turquoise qui dataient d’avant l’inversion. Elles venaient surtenir un plancher en bois qui avait l’usure d’un sol mille fois foulé. Au bout de la salle, il y avait ce trône, incroyable, qui était le résultat d’un enchevêtrement de branches formé dans la cime d’un arbre gigantesque qui descendait du plafond.

Cet arbre, qui semblait avoir été planté même avant l’édification du palais – c’est dire comme il était ancien – était l’arbre légendaire qui avait donné naissance à la toute première Reine. Un puit de lumière s’étendait en-dessous, Felna n’avait jamais réussi à savoir s’il était fait de cette matière si étrange – le verre – ou si simplement ce qu’on voyait là était un espace ouvert sur le ciel, quadrillé d’arceaux. L’arbre laissait passer dans son feuillage la lumière matinale qui, oblique, venait baigner la portion gauche de la grande salle.

La partie de la cime qui faisait face aux visiteurs laissait ses branches s’assembler pour former le siège royal, seul endroit où le feuillage n’était pas trop dense, autorisant qu’on puisse s’y assoir.

Et la Reine y trônait, comme si elle en était l’unique fruit.

Sa mise était vive, ce jour. Elle était enturbannée dans un étoffe rouge écarlate, telle une noble et formidable fraise royale. Son voile, éternellement gris, ne laissait entrevoir que sa bouche, comme à l’accoutumé.

Elle était en discussion avec un personnage intriguant, filiforme et pâle, au regard un peu étourdit.

— Ainsi, elle devra être de taille imposante et se tiendra inversé, vous nous entendez, Urneg ?

— Bien, votre Majesté, mais... si je puis me permettre...

— Vous ne vous permettrez rien du tout, Artes, gronda la souverraine par dessous son tissu, les mains crispées sur les accoudoirs noueux. Cette statue sera monumentale et inversée. La Reine a parlé !

— Bien, Fille de la Mère, s'inclina le soumis. Nous le soumettrons (l'homme se crispa soudain à la vue de Felna et Milia) aux... Perinsidents... dès notre retour à la Forge, acheva-t-il, d'un air méfiant.

— Nous désirons que ces traits soient des plus précis, seuls les forgerons connaissant son visage devront y travailler, est-ce clair ?

L'homme s'inclina.

« Que l'effigie nous soit soumise avant la lune d‘Art.»

— Si votre majesté nous accordait un temps suppl...

— Ni plus, ni moins, Artes, l'interrompit sentencieusement la Reine, de son trône boisé. Maintenant, partez !

L'homme déguerpit sans demander son reste. Il lança un coup d'oeil nuancé de vindicte et de détresse aux nouvelles arrivées, avant de disparaître entre les deux montants gigantesques.

La Reine se tenait enfoncée au coeur de la cîme, le regard brumeux et la machoire serrée.

— Approchez, Aers.

Les deux s’exécutèrent, contrites.

« Nous vous avons convoquées pour vous entretenir d’une question qu’il nous semble vous avoir entendu évoquer – non sans impertinence ! – lors d’une récente Assemblée, clama la reine, dont l’humeur morose tranchait avec la rigueur du propos.

Elle s’adressait bien sûr à sa mère, songea Felna, mais cela indiquait probablement qu’elle souhaitait aborder la question des Réaliens avec elles.

« Nous ne pouvons gouverner sans Réaliens, c’est un fait ! C’est pourquoi nous avons décidé de remédier à ce problème ! » dit-elle d’une voix qui peinait à trouver l’intonation vive qui aurait dû être de mise. En réalité, elle semblait lasse.

Mère et fille trépignaient d’impatience autant l’une que l’autre. À l’exception que Felna, ne s’étant pas encore proposée pour le titre, se sentait pressée de rapidement s’annoncer comme candidate avant que le nom de son mari soit prononcé.

Mais au fond, pourquoi était-il absent, s’il devait être question de lui ? La Reine pensait-elle déjà à Felna ? Ou… Ou à sa mère ! Non, on ne l’aurait pas invitée si c’était le cas.

De toute façon que ça concerne son mari ou non, elle estimait qu’il fallait profiter de son absence.

— ... Justement, ma Reine, osa-Felna, pensant que la souveraine venait de clore sa phrase. Je...

— Silence.

Le mot était parti, brutal, définitif. Felna eu presque l’impression de voir la ponctuation apparaître devant elle, fermant le propos sans pitié et précipitant sans vergogne à la ligne suivante le reste du propos – propos dans lequel aucune ligne, ni même une lettre, ne serait pour elle.

Elle crut entendre – si faiblement qu’elle n’aurait pu jurer l’avoir entendu – un très léger soupir d’aise chez sa mère.

« Nous vous avons convoquée, toutes deux, pour vous demander de prendre la prochaine voile en direction des palais astraux. Là-bas, vous devrez convaincre Eléas Finn Aers de revenir à la cour. Le précieux Réalien de notre mère sera, comme vous l’avez laissé entendre, un atout précieux pour notre règne. S’il ne daigne pas répondre à nos sollicitations écrites, il sera peut-être plus enclin à suivre sa belle-fille et sa petite-fille. Puis elle ajouta, avec une sorte de soupir dans la voix :

« Si vous échouez, je devrai précipiter des gardes pour le ramener. Un sujet reste un sujet, quel que soit son âge ou ses états de service, il doit obéissance à sa Reine.

Tout indiquait – l’attitude, le ton, la posture – que l’entretien était fini. La souverraine ajouta malgré tout, comme un dernier coup de lame, définitif, les laissant sans vie :

« Maintenant, sortez. »

Felna et sa mère, abattues, s’en allèrent alors.

Leur grâce habituelle étant restée au pied du trône, piétinée par la souveraine, elles partirent le pas trainant. Ce faisant, elles essayaient de garder contenance. Terrible épreuve, car l’accablement s’était abattu sur elles telle la foudre.

Felna était furieuse ; non pas à l'encontre de la Reine, mais contre elle-même.

Elle avait l’impression d’avoir réduit à néant, en quelques instants seulement, toutes ses chances de devenir un jour Réalienne. Pourquoi donc avait-elle parlé ? Était-elle stupide ? Était-elle une de ces greluches qui se précipitent, le rêve au ventre, vers un mariage qui ne promet clairement que le malaise et l’ennui, mais que leurs espoirs fous ont transformé en projet magnifique ?

La Reine, celle-là même qui les avait maudits, n’aurait clairement jamais pensé à elle. Qui était donc Felna ? La souverraine ne la connaissait pas, elle ne l’avait même jamais vue, ni entendu sa voix. Qu’allait-elle imaginer ?

Felna n’osa même pas regarder sa mère. Elle avait forcément compris que sa fille avait un tout autre projet que ce qu’elle avait sournoisement planifié pour Idas – car ils avaient comploté, ces deux-là, Felna le savait pertinemment ! Elle savait aussi qu’elle recevrait ses foudres plus tard, au moment où elle s’y attendrait le moins.

Et Felna allait devoir voyager avec elle dans la même voile. Elle redoutait par avance ces instants, sachant pertinament que sa mère, femme explosive, finirait invariablement par décharger ses tensions sur elle.

Les palais astraux, deux jours de voyage... avec elle…

Felna avait envie de pleurer en pensant à la distance qui la séparait encore de son grand-père. Doublée de la colère de sa mère qui, comme si elle était encore une petite fille, lui donnait l’impression que d’un seul regard elle pourrait la bannir hors du monde ; sans soutien, sans refuge et sans les bras d’un père pour la rattraper non plus.

Ses larmes n’étaient pourtant pas téméraires – ou alors étaient-elles pudiques ? – car elles s’arrêtèrent juste au bord de ses yeux.

Elles se réfugièrent plutôt dans sa gorge, pour s'y disputer, afin de la nouer.

Les palais astraux… le bout du monde… à peine en deçà des confins. Qu’y avait-il pour elle là-bas ? Le néant de l’ennui, la peine due à la réclusion, peut-être même le risque de voir son voyage finir au Ciel ! Qui sait ?

Sa seule consolation consistait à savoir qu’au moins là-bas elle n’aurait pas à subir les assauts de son mari. Cette idée permis enfin à ses larmes de trouver le chemin de ses yeux.

Elle dépassa sa mère, pour ne pas qu’elle puisse les voir et fonça vers ses appartements.

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